Louise Couvoisier signe une belle œuvre, complexe et profondément émotive, qui explore la foi, le doute et l'humanité dans toute sa fragilité. Ce premier long-métrage, ambitieux dans son propos comme dans sa forme, s'impose comme une déclaration d'intention artistique, révélant une cinéaste capable de mêler réflexion philosophique et puissance narrative. Inspirée par des questionnements théologiques et existentiels universels, Couvoisier joue dans le carré de sable de réalisateurs visionnaires qui ont utilisé le cinéma pour sonder l'âme humaine, d'Ingmar Bergman (Le Septième Sceau, 1957) ou de Terrence Malick (The Tree of Life, 2011).
L’intrigue, construite comme une mosaïque, suit vingt personnages dans une petite ville rurale française, chacun représentant un rapport particulier à la foi ou au divin. La caméra, souvent contemplative, capte leurs rituels, leurs hésitations, et leurs moments d’abandon ou d’illumination. Ce dispositif rappelle l’approche chorale de Robert Altman dans Short Cuts (1993), où les récits individuels tissent une fresque collective. Cependant, Couvoisier va encore plus loin en inscrivant ces destins dans un contexte quasi mythologique, où la nature – magnifiquement filmée – devient un personnage à part entière. Les paysages, baignés d’une lumière douce et souvent irréelle, évoquent les toiles de Caspar David Friedrich et confèrent au film une dimension atemporelle, proche de la transcendance.
Visuellement, Vingt Dieux est beau à voir. La photo, signée par Claire Mérel, est profonde, épouse le propos du film. Chaque cadre est soigneusement composé, chaque couleur semble porteuse d’une signification spirituelle. Ces choix esthétiques rappellent le travail pictural de Tarkovski dans Stalker (1979) ou Nostalghia (1983), où chaque image semble imprégnée d’une quête intérieure. Mais là où Tarkovski se concentrait souvent sur l’angoisse métaphysique, Couvoisier injecte une chaleur humaine inattendue, notamment à travers des moments de grâce presque imperceptibles – un sourire, une main tendue, un souffle de vent dans les arbres – qui rappellent les éclats lumineux d’Agnès Varda dans Les Glaneurs et la Glaneuse (2000).
Le jeu des acteurs est tout aussi très bien joué. Les performances naturalistes de Laure Calamy et Swann Arlaud – tous deux sublimes dans des rôles de croyants désabusés – contrastent avec l’intensité mystique de nouveaux venus comme Louise Grinberg, qui incarne une adolescente en quête de rédemption. Cette diversité d’approches contribue à l’intensité émotionnelle du film et fait écho à des œuvres telles que Magnolia (1999) de Paul Thomas Anderson, où le jeu collectif est au service d’une vision artistique unifiée. La musique, composée par Bertrand Chamayou, amplifie encore ce mélange d’introspection et de grandeur, oscillant entre silence sacré et envolées orchestrales, un peu comme le faisait Arvo Pärt dans la bande-son du film Le Sacrifice (1986).
Vingt Dieux est une œuvre ambitieuse, à la fois profondément intime et universelle. Louise Couvoisier, avec ce film, s’inscrit dans la tradition des grands cinéastes contemplatifs, tout en affirmant une voix singulière, ancrée dans une sensibilité résolument contemporaine. Ce film, qui interroge notre rapport au divin et au sacré à l’ère moderne, est une expérience cinématographique rare et précieuse, en tout cas pour ma part, qui détonne avec le paysage woke du cinéma français et international actuel. Une véritable révélation, et l'annonce d'une carrière prometteuse pour une réalisatrice dont le nom restera à surveiller.