Visages Villages commence comme un Blablacar VIP et se conclut comme un rendez-vous manqué sur Copains d'avant. La production a été financée en partie par crowdfounding et JR dans une scène du film plaisante en disant qu'il a rencontré Agnès Varda sur un site de rencontres. Voilà un film 2 (mise au) point zéro !
Le projet des deux artistes est né de la simple envie de travailler ensemble. Le film restitue ce travail autant qu'il documente l'apprivoisement entre le trentenaire XXL et la l'octogénaire XXS. Leurs différences les amusent d'abord puis progressivement les intriguent et finissent par devenir un des sujets du film.
Il faut dire sans plus attendre que si le film se nourrit de la complicité artistique des deux compères, Visages Villages est du cinéma absolument vardien. On y retrouve son esprit d'escalier et ses transitions rusées aux coutures volontairement apparentes, on y retrouve aussi sa fantaisie et sa douleur. Varda teinte l'énérgie de JR d'une tendre mélancolie, elle apporte surtout une essentielle profondeur à son dispositif de collage dont le systématisme interroge.
Partis sur les routes de France à la rencontre des villages, AV et JR créent l'événement et suscitent l'émotion de leurs habitants en les affichant en très grand format sur les murs des maisons selon le protocole artistique habituel du second. Varda au début du film accompagne ce mouvement, passagère du camion laboraboire, observatrice curieuse et conseillère avertie. Ces séquences trop inégales sont ponctués de très beaux moments (le regard perdu du futur retraité, le sonneur de cloches, les femmes des dockers). Mais rapidement le propos du film s'enrichit de la place que prend la rencontre des deux réalisateurs (Varda assure le montage final) et de la matière dont elle alimente le projet. Cette matière c'est sa vie, sa filmographie, le talent avec lequel elle conjugue les deux. Et plus que jamais cette manière c'est la générosité dont elle fait preuve face à la curiosité de JR. Il faut à la fois louer l'opiniâtreté de JR à devoiler sa partenaire et regretter sa farouche réticence à donner la pareille.
Dans la continuité des Plages d'Agnès, Varda plonge dans ses souvenirs et pour reprendre une expression chère à Alain Cavalier développe une "proximité affective avec la communauté des morts". Point d'orgue des collages géants, la photo que Varda a fait de son ami Guy Bourdin pivotée et collée par JR sur un bunker d'une plage normande réunit joliment leurs deux univers. Il y a également la visite sur la tombe des époux Cartier-Bresson devant lesquels Agnès Varda confesse attendre la mort non seulement sans peur mais avec une forme d'impatience.
Le film réussit à imposer un ton résolument léger, presque potache, tout en dessinant, au gré de son itinéraire, une carte du sentiment de la perte, beaucoup plus grave.
Il n'est pas question de dévoiler quoi que ce soit de la séquence finale si ce n'est qu'elle est bouleversante, par son hors-champ mais aussi par l'émotion d'Agnès Varda. On sort du cinéma avec le sentiment du grand privilège d'avoir reçu de ses nouvelles et admiré sa malice d'être au monde. Et avec, dans un coin de la tête, la mélodie du Petit bal perdu.