Joaquim est mort au Portugal, avant d'avoir vu le fruit de son amour, cette maison du Cap Vert que sa femme a fini de bâtir sans lui, au milieu des montagnes rouges. Vitalina arrive à Fontainhas après l'enterrement, et dès son arrivée, on lui dit qu'il n'y a rien pour elle ici. Et c'est vrai : personne n'est là pour l'accueillir, pas même la cahute où vivait Joaquim, où les portes sont trop basses, où la pluie fait un vacarme épouvantable sur le toit de tôle, où le plafond s'écroule tandis qu'elle prend une douche. Vitalina se cogne aux portes - tel est le réel de cet amour déchu : Joaquim n'avait pas prévu qu'elle le rejoindrait un jour. Elle doute d'avoir été aimée, puis peu à peu comprend : ce n'est pas Joaquim qui ne la reçoit pas, mais le Portugal tout entier. Ce pays ne veut pas d'elle, comme il n'a pas voulu que Joaquim vive librement, dignement, et continue de porter cet amour qu'il éprouvait pour sa femme. 
Le paradoxe sur lequel le film tient en équilibre est le suivant : comment le cinéma pourrait-il accueillir ceux qui ne l'ont jamais été ? Pedro Costa répond : par la lumière, le cadre, le temps et la parole. Cerné par le béton presque doré d'une porte trop basse, le visage de Vitalina apparaît et dit que l'amour compte plus que tout. Elle le dit dans un murmure, comme un tableau - on n'est pas sûr qu'elle ait ouvert la bouche. Elle le dit alors même que l'homme qu'elle a aimé vient de mourir en laissant derrière lui quelques preuves de ses trahisons. Costa laisse place à cette parole, ce visage inoubliable, ce corps mal adapté, ces yeux brillants, cette douleur folle, cette foi malgré tout, cette histoire, ces quelques mots. Le film est à la fois sombre et coloré. Si les scènes sont moins denses qu'à l'accoutumée (le récit semble un peu délité), chaque plan rend le spectateur curieux. Majoritairement obscur, des taches de couleur surgissent, très vives, presque électriques. C'est un cauchemar troué par des intensités. Et peu à peu les personnages sortent de la nuit, et vont parmi les chiffres d'un cimetière, sous un ciel bleu. Pedro Costa met en scène la levée du jour - levée d'un corps aussi, auquel on attribue enfin une tombe, et auquel Ventura aux mains tremblantes offre une étrange cérémonie. Puis les amis s'élèvent sur le toit de la cahute pour le réparer. On pense alors à la phrase de Tchekhov dans Platonov : "il faut enterrer les morts et réparer les vivants". C'est toute l'ambition de ce beau film.

Multipla_Zürn
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le 17 janv. 2022

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