Film conseillé par un membre de SC suite à ma récente découverte du superbe Un Homme Et Une Femme, Viva La Vie semble malheureusement être l'un des longs-métrages les plus mal-aimés de Claude Lelouch. Pourtant, l'intelligence et la pertinence des propos priment dans chaque scène d'une œuvre aussi fascinante qu'admirablement bien pensée, écrite, réalisée et interprétée. Et bien que la musique de Didier Barbelivien soit aussi insupportable que déjà ringarde en 1984, orchestrée et arrangée par Guy Mattéoni (l'homme derrière les partitions françaises des vieilles séries enfantines que suivait mon père lorsqu'il était garçonnet, Albator et San Ku Kaï), elle reste le seul point noir d'une œuvre dont Lelouch a toujours essayé de garder le canevas secret.
En 1984, la crainte d'un conflit nucléaire ébranle la planète entière. La pop culture s'en mêle et le clip du second single du groupe britannique Frankie Goes To Hollywood, Two Tribes, doté par ailleurs d'une bassline dévastatrice, se voit diffusé en boucle sur les chaînes TV musicales où deux personnages caricaturant les leaders politiques américains et soviétiques de l'époque, Ronald Reagan et Konstantin Tchernenko, prennent part à un combat de catch dans une arène dont les spectateurs représentent les chefs d'État du monde. Avec son message à destination du public sur la conduite à tenir en cas d'attaque nucléaire, la chanson est un véritable succès commercial. C'est sûrement dans cet esprit que Lelouch aborde le scénario de Viva La Vie. Lessivé par le cuisant échec public d'Edith Et Marcel, son précédent film, le cinéaste se plonge dans le travail pour éviter de sombrer dans la dépression. Une drôle d'époque où les radios transmettent perpétuellement des rumeurs de guerre, la course à l'armement nucléaire, les échecs des conférences sur le désarmement (voir en ce sens le génial documentaire Race To Oblivion, réalisé en 1982 et animé par l'acteur activiste et engagé Burt Lancaster). En situation financière difficile, Lelouch sait qu'il pourra à nouveau toucher le cœur du public avec un sujet aussi sensible et omniprésent dans les médias.
Sauf que le cinéaste ne dévoile absolument rien à quiconque. Aux comédiennes et comédiens, il ne donne que le texte de leurs personnages respectifs qui ignorent les répliques des autres protagonistes. Lelouch veut jouer sur l'incompréhension de son casting, magnifier ainsi leurs émotions, leurs questionnements, leur écoute aussi… Avec Michel Piccoli, Charlotte Rampling, Jean-Louis Trintignant et Évelyne Bouix dans les rôles principaux, Lelouch sait qu'il obtiendra naturellement ce qu'il imagine. Une pléiade de magistraux seconds-rôles venant s'ajouter aux quatre protagonistes, le réalisateur s'autorise à croire que la seule présentation de son casting reste nécessaire pour promouvoir son film. Le thème, lui, doit rester secret et c'est en connaissance de cause (et d'absolument rien d'autre) qu'il invite les spectateurs à découvrir son film. Un pari fou, risqué, à l'image de la passion du cinéaste pour le cinéma.
Au final, la presse de l'époque clame que Viva La Vie est l'un des films les plus audacieux, les plus originaux et certainement les plus maîtrisés de Lelouch. Car jamais, sans doute, il n'avait fait un tel pari. En contant l'histoire de deux couples (Charlotte Rampling et Michel Piccoli d'un côté, Évelyne Bouix et Jean-Louis Trintignant de l'autre) qui ne se sont jamais rencontrés mais vont vivre exactement la même extraordinaire mésaventure, Lelouch plonge dans un genre qu'il n'a jamais effleuré jusqu'ici : la science-fiction. Depuis le début des années 1980, en France, suite aux triomphes commerciaux de Star Wars et de Rencontres Du Troisième Type (où apparaît par ailleurs François Truffaut), le genre s'immisce jusque dans certaines séries A. Bertrand Tavernier s'y essaie avec La Mort En Direct, Christian de Chalonge avec Malevil, Alain Robbe-Grillet avec La Belle Captive ou encore Yves Boisset avec Le Prix Du Danger. Lelouch, lui, c'est avec Viva La Vie qu'il rejoint la liste des essais, parfois infructueux, du genre dans notre pays. Et l'homme s'en sort avec une réussite exemplaire, mettant l'accent sur le mystère scénaristique à tiroirs où les spectateurs ne savent pas vraiment où ils sont et où ils vont, mais ne se perdent jamais.
Au départ, on se croit dans un polar, et puis non, c'est un film fantastique. Et une demi-heure plus tard, c'est encore autre chose. Et puis encore autre chose. Et puis encore… Et effectivement, si l'on avait toutes les clés avant d'entrer dans l'univers du film, une bonne part de magie serait brisée et ce serait fort dommage. Alors c'est bien sûr un Lelouch très différent des autres, mais ça reste néanmoins du Lelouch puisque le sujet principal du film reste le couple. Un homme, une femme. Voire, ici, deux hommes et deux femmes. Et le thème de fond, à travers ces deux couples, est sûrement le mensonge en tant que vertu. Le simulacre du comédien, de l'homme d'affaire et des sentiments avoués ou désavoués. Les simulations dans la politique et les relations diplomatiques grâce auxquelles certains désastres guerriers peuvent parfois être évités. Les mensonges du quotidien pour éviter de mettre à jour certaines fragilités, parfois blessantes pour soi-même ou pour les autres. Et les contrevérités de nos rêves, pourtant si empreints de vérité lorsque l'on sait les traduire. Le tout rattrapé par la féroce dangerosité humaine. Lelouch aborde tout cela avec Viva La Vie. Et son film est aussi complexe que beau. Comme la vie.
Merci à damdouss pour la très chouette découverte.