Exilé aux États-Unis durant la Seconde Guerre mondiale, Jean Renoir réalise Vivre Libre avec l'idée d'offrir un message patriotique et propagandiste quant à la Résistance contre l'Axe et ses relais collaborationnistes sur le territoire français. Particulièrement ravi de cette commande provenant de la RKO, le cinéaste met toute son âme à la mettre en scène et se verra immensément blessé par l'accueil glacial réservé à son métrage lors de sa sortie en France, ainsi que par les nombreuses lettres d'insultes à son égard.
Pourtant, en choisissant Le Chant Du Départ comme thème principal, hymne révolutionnaire écrit en 1794 par Marie-Joseph Chénier et mis en musique par Étienne Nicolas Méhul, Renoir offre à son film un souffle antifasciste aussi incontestable qu'exemplaire tout en soulignant un affligeant collaborationnisme, actif ou passif, qui sévissait principalement au sein de la bourgeoisie française. Refusant cet humiliant effet miroir à la vision de Vivre Libre, les plus nobles vilipendèrent le film qui conserve, toujours et encore, une très fâcheuse réputation.
Néanmoins, l’œuvre reste sublime d'humanité. Et bien que son objectif principal eut été de développer une forme de propagande pour renforcer la détermination des Alliés dans la lutte contre le nazisme, les critiques de l’époque avait noté que le scénariste Dudley Nichols adoptait une approche sensiblement nuancée. Les Allemands, avec particulièrement le personnage du Major Erich von Keller, un éloquent et érudit défenseur des avantages du régime nazi, ne sont pas forcément présentés comme de simples brutes. Les Français, hormis quelques résistants, ne sont pas non plus montrés comme des héros luttant contre la tyrannie. Et en accusant ouvertement la bourgeoisie, à l’exception de quelques intellectuels de gauche, d’avoir laissé Hitler prendre le pouvoir en 1933, d’avoir rapidement capitulé face au nazisme et d’avoir collaboré activement ou passivement avec l'ennemi, Vivre Libre déroule un discours criant de vérité qui fut sûrement très difficile à entendre après la Libération.
Avec une approche que n'aurait certainement pas renié un cinéaste comme Paul Verhoeven, Nichols et Renoir iront jusqu'à s'inspirer du célèbre discours final de Chaplin dans Le Dictateur pour offrir un poignant monologue au toujours excellent Charles Laughton, accusé d'avoir assassiné un très respectable noble, fervent collaborateur qui n'avait pas hésiter à dénoncer le frère de sa petite amie incarnée par la magnifique et talentueuse Maureen O'Hara. L'hypocrisie, la peur, les mensonges et les attitudes humaines sont ainsi disséqués ici face à une oppression invasive et le film reste en cela un remarquable document empreint de patriotisme, sans aucunement sombrer dans les pièges faciles du nationalisme primaire et ballot. Et si la mise en scène de Renoir reste indiscutablement discrète, c'est certainement pour mieux s'effacer face à la complexité des personnages, tour à tour lâches et téméraires. Bref, simplement humains.
Et puis il y a Maureen, sublime et immortelle, qui a réussi une nouvelle fois à me faire fondre en larmes. Après Quasimodo et La Taverne De La Jamaïque, elle retrouve l'exceptionnel Charles Laughton pour la troisième fois dans ce film très injustement méconnu, sous-estimé et qui reste à découvrir de toute urgence.