Situé entre Une femme est une femme (1961) et le Mépris (1963) Vivre sa vie a été conçu comme les deux autres films en référence à Anna Karina. Vivre sa vie a été tourné dans l'espoir de recoller les morceaux avec elle, alors qu'elle voulait reprendre sa liberté. De ce point de vue l’objectif n’a pas été atteint, Anna Karina au contraire a fait une tentative de suicide et la prochaine étape sera donc le Mépris.
Pour tenter d’arriver à ses fins Godard a eu recours à un personnage qui est à la fois emblématique de « l’aliénation sociale petit-bourgeoise » d'après les marxistes et un classique des romans populaires du XIXème siècle: la prostituée au grand cœur.
Il n’y a pour autant rien de sordide ni aucun jugement moral pesant sur cette jeune femme qui tente de vivre sa vie. Le film est simplement un prétexte pour donner à Anna K. un rôle valorisant et pour cela Jean-Luc la filme sous tous les angles, ce qui, il faut le reconnaître, n’est pas désagréable. Mais il ne va pas au bout de ses idées, on ne la voit jamais à poil et ce film sera donc placé sous le signe de la frustration, d'autant qu'il n’y a pas de suspense côté scénario, le spectateur, connaissant à l’avance le triste destin des filles de joie dans le cinéma ou les romans d’avant-guerre prévoit donc la fin du film.
Vivre sa Vie est ainsi un film que Godard a tourné avant tout dans son propre intérêt, mais fait rarissime chez lui en se préoccupant aussi du spectateur. Une scène mérite le détour: un jeune homme met un disque dans un juke- box : il s’agit de Jean Ferrat qui chante Ma Môme et là, miracle, la magie opère pendant quelques secondes, c'est la preuve que les dialogues ou la musique sont nécessaires pour apporter de l'émotion mais hélas JLG ne retiendra pas la leçon.
Mais Godard a surtout plein de bonnes idées de mise en scène qui impressionneront la critique intello: des personnages aux dialogues inaudibles filmés de dos, une insertion de plans de Jeanne d’Arc de Dreyer, l'emploi d'une voix-off aux intonations d'ennui blasé, une conversation dans un bistro avec le philosophe Brice Parain, une construction en 12 "tableaux", et un aphorisme qui a au moins le mérite d'être cohérent avec l'idée que se fait Godard des actrices « Faire du cinéma et faire le tapin, c'est la même chose ». Godard ne se prend pas au sérieux en somme à cette époque mais le problème c'est que JLG se prendra de plus en plus pour un metteur en scène de génie et recyclera ses idées originales dans plusieurs films suivants.
Le film résout également une partie de l'énigme qui faisait débat à l'époque: comment une jolie fille dotée de sensibilité avait-t-elle pu un temps partager la vie d’un type aussi laid et ennuyeux? Vivre sa vie apporte certains éléments de réponse.
En résumé c'est un des rares films de Godard qui soit encore regardable, grâce à deux atouts imparables: un atout charme avec Anna Karina et une durée raisonnable: seulement 1H24.