"Voici le temps des assassins" un drôle de titre pour un excellent film noir de Julien Duvivier réalisé en 1956.
Histoire d'un restaurateur qui se fait manipuler et rouler par la fille de son ex-femme. Le restaurateur c'est Jean Gabin et la fille de son ex-femme, c'est Danièle Delorme. Le contraste entre les deux personnages est saisissant :
Le premier, André Châtelin, vend du bonheur dans son restaurant de classe qui sert de la cuisine raffinée ; on s'y rend pour une partie de plaisir d'autant plus que l'accueil est avenant. Jean Gabin qui l'interprète est dans sa deuxième époque et joue un notable, bien installé, heureux de sa réussite professionnelle, flatté que les "grands " de ce monde viennent chez lui, l'adulent et parfois lui demandent conseil...
La deuxième, Catherine, est une bête malfaisante, malveillante. Une araignée qui tend ses fils posément autour de Châtelin, éternel naïf avec les femmes, pour mieux l'avaler. Objectif : la galette du restaurateur. C'est Danièle Delorme qui assure le rôle. Dans tous les sens du verbe assurer. Car le personnage est effrayant et extraordinairement crédible. Et c'est une grosse surprise car Danièle Delorme joue en général des femmes gentilles, pudiques, victimes du destin. D'ailleurs, c'est bien ce personnage qu'elle joue en façade. Julien Duvivier ne cherche pas à masquer la véritable nature de Catherine et permet au spectateur de très vite comprendre les manigances de Catherine et de suivre, avec effroi et avec l'œil de l'entomologiste, l'évolution du piège qui s'ouvre pour avaler le restaurateur puis qui se referme.
Le film vaut essentiellement par le jeu, parfait, de Danièle Delorme, strictement encadré par une mise en scène efficace de Duvivier. Par exemple, l'arrivée de Danièle Delorme (je devrais dire l'approche du...félin) au début du film, est un modèle du genre avec la caméra qui la filme sous plusieurs angles avant qu'elle ne se jette sur sa proie.
C'est la marque d'un grand cinéaste capable de faire des films aussi variés que Voici le temps des assassins, Marie-Octobre, Pepe le Moko et ... Don Camillo !
Il faut aussi souligner les personnages secondaires comme Gérard Blain, autre grand naïf bien fait pour s'entendre avec Gabin ou bien Germaine Kerjean, mère de Chatelin, qu'il faut voir en train de tuer un poulet au fouet ou encore en train de corriger Catherine avec le même fouet.
Ainsi que Gabrielle Fontan en éternelle servante bougonne.
Ainsi que Lucienne Bogaert en mère manipulatrice et droguée de Danièle Delorme qu'on retrouvera comme mère abusive de Jean Desailly dans "Maigret tend un piège" de Delannoy.
Film fascinant et passionnant bien caractéristique de la fameuse qualité française des années 50-60.