John Woo s’adapte à l’américaine et offre au spectateur un spectacle de cinéma d’action millimétré. Avec deux stars au casting, John Travolta et Nicola Cage, pour un jeu de comédie dans l’échange, c’est par moment impressionnant. Face/Off est le second long métrage du hongkongais à Hollywood, et le réalisateur ne renie ni son écriture, ni son art de la mise en scène et de l’image en mouvement. Jusqu’à s’auto-citer dans un final splendide.
La scène d’ouverture, sépia tendre autour d’un manège, voit l’insouciance brisée à jamais lorsque la balle assassine traverse l’épaule de l’agent Sean Archer (Travolta) pour finir dans le cœur de son fils. L’irréversible blessure jamais ne se refermera, évidemment, et dans le ciel bleu, quelques ballons s’envolent doucement que personne jamais ne rattrapera.
Toute la mise en place découle de là : un flic meurtri cavale derrière un criminel insaisissable depuis longtemps, et ce drame initial en a fait une histoire personnelle. Seule la vengeance apaisera la douleur, un jour peut-être, comblera le vide. En attendant, il y a le jeu des corps : Archer caresse le visage de ceux qu’il aime de sa large main, tout en douceur, tandis que sur le tarmac d’un aéroport Castor Troy (Nicolas Cage) semble danser, la veste au vent dévoilant deux flingues scintillants avec lesquels il prolonge son corps solide. Et ce détail fraternel, l’homme, au charme machiavélique et imposant, s’agenouille aux pieds de son petit frère pour renouer son lacet.
À l’issue du premier gun fight arrive le conflit : les frères Troy sont hors d’état de nuire, Castor dans le coma, et son jeune frère Pollux en prison de haute sécurité. Mais la bombe qu’ils ont laissée est introuvable. L’agent Archer se voit proposer une greffe du visage de son ennemi et une remodélisation corporelle, afin d’infiltrer la prison, de leurrer Pollux, et d’obtenir les informations nécessaires à la sécurité publique.
Les mouvements des corps sont ici le relais des âmes, les gestes passent d’un comédien à l’autre, et la danse de John Travolta lors du désamorçage de la bombe est un petit bijou de cinéma tant on y retrouve le Nicolas Cage de l’aéroport. Les petits détails reviennent aussi, pour toujours rappeler qui est qui : Archer (Nicolas Cage) caresse le visage de son épouse tandis que Troy (John Travolta) s’agenouille pour renouer le lacet de son frère.
Un avant-gout de duel se joue bientôt, à travers un cercle d’une dizaine de miroirs. Il faut à chacun tirer sur son corps à travers son propre reflet, qui n’est que l’image de l’ennemi. Il leur faut briser le miroir pour espérer chacun se retrouver. Alors, le grand final se prépare autour d’un enterrement à la plage : les mouettes, l’église, les ralentis. La séquence est au rythme lent de la mise en place qu’affectionne John Woo. Jusqu’aux coups de feu.
Face/Off est un film tendu de bout en bout par le maitre John Woo. Le scenario ne comporte aucune scène superflue, et tout s’enchaîne en un élan cinématographique au style précis, chirurgical. Les corps se transmettent les mouvements tout comme John Woo a su se greffer sur Hollywood pour en tirer le meilleur – un budget, de grands comédiens –, sans renier ce qui a fait sa réputation jusqu’à présent : l’homme s’adapte aux changements, aussi extrêmes soient-ils, sans se perdre jamais.
Matthieu Marsan-Bacheré