Vortex est une impressionnante et difficile expérience, alors que Gaspar Noé met de coté le sensationnalisme de sa mise en scène souvent très dérangeante. Mais il arbore les thèmes similaires à ces autres films (la drogue, la dépendance, la descente aux enfers) en passant cette fois à travers l'amour d'un couple qui semble ne plus réussir à s'offrir quoique ce soit.
Il choisit d'abord cette mise en scène très singulière du double cadre séparé en deux, où chacun vit dans son espace temps. Il y a parfois des ellipses dans l'un alors que l'autre est continu, mais c'est censé se dérouler sur la même temporalité, puisqu'ils se rejoignent. En plus d'être une prouesse visuelle, ce drôle de paradoxe temporel permet d'ancrer cette espèce de perte de sens du temps avec nos deux protagonistes, accentuée par la maladie de la mère, et le désarroi du père qui n'est plus que mauvaise foi, à la recherche d'un amour et d'un rêve qu'il ne souhaite pas voir disparaître. Au début assez calme, nous montrant le quotidien de ce couple qui semble bien triste, la mise en scène va au fur et à mesure resserer l'étau, que ça soit dans les cadres, les situations, le décor qui semble de plus en plus petit, jusqu'à ce que l'on étouffe, jusqu'au climax de fin, qui renvoie à la dureté de la réalité. Le film est en permanence dans une représentation de ce qui est mauvais, dangereux, triste pour nos protagonistes, car ils souhaitent finalement, au fond d'eux même, ne plus vivre. Et c'est cette volonté de mourir qui, sans être directement dite (quelques fois en famille seulement) anime le jeu latent du vieux couple.
Le temps est le personnage principal de ce long-métrage, mais aussi l'ennemi de nos personnages : le temps détruit tout, fait tout oublier, de l'étincelle de l'amour au gaz resté allumé. Et malgré les quelques évènements qui viennent essayer de donner espoir, le temps finit toujours par rattraper ce qu'il se passe, que ça soit le passé du fils joué par Alex Lutz, incroyable de justesse, sans doute l'un de ses meilleurs rôles, la perte de mémoire de la mère, ou bien la quête de vie recherchée par le père, ne cessant de se cacher ce que le temps efface. Finalement, l'amour ne raisonne qu'à travers les instants où le temps ne peut agir : sur les photos. Ce sont les photos qui viennent ajouter le vécu et les années de tendresse que le couple a traversés. Le diaporama de fin en est bouleversant de sens. Cet enfermement dans une spirale qu'on ne peut pas arrêter, animée aussi par les médicaments que se prennent les parents de façon totalement aléatoire et dangereuse, est aussi accentuée par la dépendance : qu'il s'agisse de drogue dure, de recherche d'amour, de cigarettes.
Tout est là pour contribuer à la dureté du temps qui passe trop lentement. Seule une scène, probablement la plus magnifique du film, se complète avec les deux cadres, ce qui crée une légère distorsion dans l'espace, mais où une discussion à trois fait sauter tous les tabous, avec un réalisme toujours très juste et une simplicité touchante dans les dialogues, l'écoute, les regards. Tout en étant dur à vivre, Vortex est un reflet d'humanité et d'amour, pas celui que l'on voit dans les films, celui que l'on vit dans le réel avec nos compères, notre famille, notre passé. Mais même avec la plus grande humilité du monde, le temps est toujours là pour nous rappeler à la réalité. Et cette réalité est difficile. La force et la puissance du film résultent dans cette prise de conscience. C'est là aussi que le dernier plan du film a sa symbolique : on se met à rentrer dans un espace que l'on ne connait pas, où l'on ne sait pas comment le temps se comporte, ce qui laisse entrevoir l'espoir d'une meilleure vie pour ce couple qui a su s'aimer, mais qui ne savait plus vivre.