Chronique familiale intensément touchante, traitant avec une implacable justesse, de la lente et inévitable détérioration des liens familiaux entre enfants et parents vieillissants...
et saisissant avec finesse la solitude de la vieillesse.
Cette histoire s'inscrit dans le contexte de mutation du Japon vaincu d'après-guerre, de la société qui se transforme, s'américanise... la famille se disperse... on est loin de la ballade de Narayama ! Et les vieux parents doivent maintenant s'adapter à ce nouveau contexte... OZU pose ici son regard pénétrant et intelligent, sur un vieux couple qui vit paisiblement dans la petite ville de province d'Onimichi, au sud du Japon. Trois sur cinq de leurs enfants (l'un d'entre eux est mort à la guerre) sont installés loin d'eux , à Tokyo et Osaka : Koichi l'aîné, médecin marié à Fumiko, parents de 2 jeunes enfants, Shige une fille qui gère un salon de coiffure, Keizo qui travaille à Osaka, Shoji mort à la guerre, mais avec la femme duquel ils restent connectés (Noriko)... seule une jeune fille Kyoko, jeune institutrice, vit avec eux.
En manque de leurs enfants qu'ils ne voient quasiment jamais, ils décident d'entreprendre le long voyage en train, qui les sépare de Tokyo.
Retrouvailles assez courtoises, courbettes de politesse convenues, mais les effusions sont modérées et manquent manifestement de chaleur, les petits enfants se sauvent en les voyant et semblent ne pas les connaître, et on ne tarde pas à se rendre compte qu'en réalité cette intrusion va peser péniblement sur le quotidien de ces enfants absorbés par leurs occupations... les deux aînés décident de les envoyer quelques jours en cure thermale, histoire de s'en débarrasser, tout en se donnant ainsi bonne conscience. Seule Noriko, pourtant la moins fortunée et la moins liée par le sang, aura de vraies attentions pour eux... une connivence de la solitude sans doute...
La caméra d'Ozu est absolument implacable pour saisir depuis sa position discrète et fixe, "au ras du tatamis" les détails des ressentis des protagonistes, les non-dits, les souffrances internes masquées par des sourires figés de sérénité. Un parcours mental extrêmement touchant, décrit avec minutie depuis l'enthousiasme initial du projet jusqu'au constat résigné de l'éloignement inéluctable...
Le spectateur s'embarque avec eux dans une progression empathique dramatique, parfaitement restituée dans des scènes en apparence anodines, comme celle du petit qui se sauve à leur simple vue, tandis que les adultes feignent de rire, la radinerie sur les ingrédients servant à la composition des repas... chaque séquence illustre en fait avec subtilité les traits de caractères de ces enfants, semble t'il, égoïstes, mais souligne surtout une évolution fatale de la société japonaise . Par voie de conséquence, société à laquelle on peut sans mal identifier la nôtre !
La longue partie finale qui retrace les étapes de la mort de la mère est magistralement rendue avec une lenteur qui permet d'apprécier dans tous ses détails les travers des humains... quelques uns échappent à la règle... Ce n'est ni triste , ni gai, c'est la réalité dans tout ce qu'elle a de plus cru ! Et malgré tout illuminé par le sourire solaire de Noriko.
Entre les scènes intimistes de ce microcosme familial, des plans sublimes teintés de mélancolie, viennent soulager le poids de cette tragédie silencieuse et ordinaire, comme les silhouettes en kimonos à carreaux des grand-parents aussi parallèles que leurs paires de chaussons alignées à la porte de leur chambre, face à la magnifique baie d'Atami et celui du grand père, fraîchement endeuillé et philosophe, en admiration devant le lever du jour sur la baie d'Onimichi
"on ne peut pas trop exiger d'eux ils sont plus gentils que la moyenne" affirmait il à un de ses vieux amis déprimé...
Encore un chef-d'oeuvre absolu !