Attention, à ne pas lire si vous voulez éviter le spoil
Le 26 décembre 2018, moins de 48h après le réveillon de Noël qu'elle attendait tant, ma grand mère est décédée. Cela faisait plusieurs semaines qu'elle semblait affaiblie, on pensait tous qu'il s'agissait simplement d'un coup de fatigue car même les médecins n'étaient pas plus inquiets que d’habitude. Quelques jours avant le réveillon, elle avait dit quelque-chose d'un peu étrange lors d'un repas de famille, mais personne n'y avait trop prêté attention... Elle avait eu une sorte de présentiment, comme si au fond elle savait qu'elle allait partir.
Noël en famille était de loin la chose la plus importante pour elle. Elle avait clairement lutté pour pouvoir partager ce dernier moment avec nous, nous en sommes maintenant convaincus.
"Voyage à Tokyo" a beau se dérouler il y a plus de 60 ans, dans un pays aux mœurs très différentes des nôtres, son histoire m'est parue vraiment familière et proche de ce que nous avions vécu cette année là. Le réveillon de Noël est le voyage vers Tokyo, Tomi est ma grand-mère et nous sommes ses enfants n'ayant pas su interpréter les signes à temps.
Pas besoin d'être un grand critique cinéma pour s'en rendre compte: pour Ozu, l'Homme passe avant tout. Son cinéma véhicule un message positif et optimiste qui invite à s'intéresser à l'autre avant de le juger, d'accepter l'imperfection de chacun et mieux comprendre l'autre. Le sentiment de rejet que ressentent les parents est légitime, mais c'est aussi normal pour les enfants de se détacher de ces derniers. Il en va de même pour l'envie de voir ses enfants réussir, devenir de grands patrons ou des professeurs renommés... Oui, il est normal d'être déçu de les voir échouer ou du moins ne pas atteindre le sommet comme on l'espérait, mais comme le dit si bien Shukishi, il faut surtout célébrer leurs succès et les encourager pour ce qu'ils font.
Au fond, "Voyage à Tokyo" n'invente rien, il ne fait que relater de la plus belle des manières la vraie vie d'une famille, avec ses hauts et ses bas. Pas d'artifice, juste des petites scènes de vie aux apparences anodines qui pourtant sont riches de sens.
La tristesse du père, je l'ai également vue de mes propres yeux avec mon grand-père. Ce sentiment de vide après des années et des années avec sa moitié, Chishû Ryû l'a également parfaitement retranscrit à l'écran. Le final est vraiment bouleversant et - chose assez rare pour le souligner - j'ai réellement versé une larme lors de la scène où le père offre la montre à sa belle fille... C'est magnifique parce que c'est simple, c'est magnifique parce que sa transpire la sincérité.
Pour ne rien gâcher, je trouve également très intéressante la manière dont Ozu aborde le renouveau du Japon post Seconde Guerre mondiale. Véritable toile de fond, le thème de la guerre est inhérent à l'époque dans laquelle se déroule l'action et façonne les personnages. Les pères ont enterrés leurs fils, les mères ont perdus leurs enfants, il faut apprendre à vivre avec ce douloureux souvenir dans un monde qui change et tente de rebondir en allant vers l'avant.
Comme les personnages du film, nous sommes à la fois heureux d'avoir pu passer une dernière très belle soirée tous ensemble avec ma grand mère, mais nous restons fatalement tristes de ne pas en avoir fait plus pour elle ce soir là. On en revient toujours à ce satané conseil qui détient la seule et unique vérité: aimons-nous à chaque instant de notre vivant afin d'éviter d'avoir des regrets !
Mamie, je n'ai cessé de penser à toi en voyant ce film, je te dédie cette critique, cet hommage maladroit qui vient du cœur.