Marchant dans les pas de Martin Scorsese, qui s’intéressait aux Etats-Unis et à l’Italie avec sa série documentaire Voyage à travers le cinéma…, Bertrand Tavernier entreprend une incursion cinéphilique dans le patrimoine de notre cinématographie nationale. Au fil de ce que nous pourrions qualifier de vagabondage, Tavernier passe de portrait en portrait, de film en film, avec la même ardeur travailleuse qu’une abeille butinant de fleur en fleur, esquissant une trajectoire qui prend forme au gré des associations d’idées, de ses affinités et de ses souvenirs. Au départ de cette initiative aussi louable qu’ambitieuse, il y a le souvenir bien précis d’un enfant qui assiste au jour de la Libération, émerveillé par l’ambiance de feux d’artifice et de foule en liesse. Matrice de la trajectoire à venir de Tavernier - autant comme cinéphile que cinéaste -, cette image inaugurale pose les bases savoureuses d’une invitation au voyage, d’une déambulation dans l’intériorité d’un homme fou de cinéma.
D’emblée, le cinéaste français resserre son approche sur les œuvres et les hommes qui les font - auteurs bien sûr, mais aussi collaborateurs, ces hommes de l’ombre souvent déterminants - plutôt que sur des catégories théoriques, « styles » et autres « courants esthétiques ». Son admiration sans bornes pour l’œuvre de Jean Renoir (sans épargner toutefois l’homme qu’il était) et de Jacques Becker, son approche nuancée de Marcel Carné, et l’exhumation de personnalités dont le travail reste méconnu (certains cinéastes, comme Edmond T. Gréville, mais surtout des compositeurs, Maurice Jaubert en tête), resteront les pivots de ce Voyage, premier d’une série de trois épisodes appelés à constituer une somme assez monumentale sur le cinéma français. Cette approche in situ, partagée en un formidable élan de générosité, regorge d’anecdotes et d’éclairages passionnants, quoique trop souvent ramenés à un statut strictement informatif. On pourra en effet regretter que le portrait intime laissé entrevoir au début ne s’efface progressivement, comme s’il n’avait finalement été que le prétexte à un état des lieux encyclopédique. De fait, Voyage à travers le cinéma français n’assume pas complètement le postulat subjectif de sa démarche initiale, la vision se voulant in fine englobante et sans guère d’aspérités. La facture classique, la forme assez plate et presque nonchalante, ne feront toutefois pas oublier la beauté du geste de Bertrand Tavernier : par cette magnifique somme d’extraits qu’il donne à voir, ce passeur aussi érudit que bienveillant ne vise rien de plus, en avivant notre soif cinéphile, qu’une incitation à la découverte. Rien de plus ? En soi, c’est déjà exceptionnel.