Vestiges d'un amour.
Roberto Rossellini s'est inscrit dans les arcanes du 7ème Art comme la figure de proue du mouvement néoréaliste italien ; mouvance d'influence documentaire qui se démarque par une recherche d'authenticité dans le portrait d'une société d'après-guerre en pleine reconstruction. Sa rencontre avec la sublime Ingrid Bergman, à la fin des années 40, va cependant marquer un tournant décisif dans sa carrière et l'emmener vers d'autres terres cinématographiques. À la fois muse et amante, elle lui inspire plusieurs films, dont un somptueux Voyage en Italie.
Nous sommes en 1954, et déjà la page du néoréalisme semble tournée dans ce noble mélodrame mettant en vedette Bergman face à l'acteur George Sanders. Dans les rôles de deux époux britanniques, Alexander et Katherine Joyce, ils prennent part à un voyage en Italie (Envoyez le générique) pour vendre la demeure d'un vieil oncle récemment décédé. Se retrouvant pour la première fois seuls face à eux-mêmes dans ce périple, ils arrivent à la dure réalisation que leur mariage s'étiole et qu'ils n'ont rien à se dire, rien en commun.
Les personnages du film de Rossellini se languissent dans un ennui ambiant, tournant en rond dans cette trop grande villa italienne qui leur pèse sur les bras. Le mari se morfond dans un cynisme constant, ne pouvant supporter l'oisiveté, tandis que la femme s'évade dans des poèmes en quête d'un romantisme que l'autre ne lui offrira évidemment pas. Ils ne trouvent d'autre occupation que se laisser à la jalousie, seule émotion qu'ils sont encore en mesure d'exprimer dans ce mariage moribond.
Chacun va donc décider d'avoir une affaire. Lui s'enfuit vers Capri, et tourne pathétiquement autour de femmes qui n'ont aucun intérêt pour lui, allant de rencontres fortuites en prostituées sans jamais que cela ne mène à rien. Plus il tente d'approches, plus sa solitude se fait évidente derrière la façade craquelante de son sarcasme. Elle s'élance dans une affaire spirituelle avec l'Art, fuyant la demeure vide d'amour au profit de musées et lieux touristiques, cherchant le romantisme dont elle rêve tant dans les sculptures et les paysages baignés par la mémoire d'un ami poète disparu. Au final, les époux n'y trouvent tous deux que plus de tristesse et de solitude.
Alors qu'ils décident finalement de divorcer, les larmes de Bergman sont interrompues par un ressort dramatique habile lorsque leur hôte italien les invite à assister aux fouilles des vestiges de Pompéi. C'est là que l'œil néoréaliste de Rossellini se révèle discrètement, dans la façon dont la caméra englobe les décombres avec empathie et perd les époux dans des plans larges des ruines, symboles tangibles de leur mariage en déréliction. Le point culminant de cette séquence est la mise au jour bouleversante de deux amants ensevelis dans les cendres du volcan, image trop vive (et ô combien romantique) pour l'épouse qui préfère s'enfuir.
Rossellini conclut son ode à un amour en peine par une fin heureuse, il est vrai, un peu facile. Mais dans le fond, qui n'apprécie pas un happy ending ? Alors que, dans les dernières secondes, un plan révèle ostensiblement l'ombre de la caméra, on ne peut s'empêcher de penser que le réalisateur a gardé expressément cette "erreur" comme un clin d'œil au spectateur ; d'autant plus puisqu'elle est immédiatement suivie de ces répliques :
ALEX - "Comment peuvent-ils croire à cela ? On dirait des enfants.
KATHERINE - "Mais les enfants sont heureux."