Pour commencer, voir un film exactement en même temps que des milliers d'autres cinéphiles à travers la France, c'est une expérience intéressante sur le principe. Surtout post-séance en fait, avec l'impression de participer à une ébullition collective très précise, le genre de chose qui ne se passe généralement qu'avec les programmes télé en prime time, et dont j'ai rarement pu faire l'expérience avec le cinéma. Cinéphiles de France, aimons-nous, c'est Dame Nature qui l'a dit (en vrai c'est pas vraiment le cas d'ailleurs, n'en déplaise à Malick et sa conclusion à la Sense8 bas de gamme).
Sinon, difficile de poser des mots sur un film aussi abstrait, mais je l'ai fait pour Koyaanisqatsi donc pourquoi pas ici également. Déjà, parlons-en justement de Koyaanisqatsi, dont Voyage of time fait irrémédiablement penser. En terme de puissance des images, du montage et clarté du propos, ça me paraît indéniable que Koyaanisqatsi lui est supérieur, en tout cas c'est un film qui est parvenu à dégager plus de puissance selon moi. MAIS, le discours diffère légèrement, car là où Koyaanisqatsi se concentre surtout sur les dérives du monde moderne, l'accélération des modes de vie face à la puissance passée de la terre, Voyage of time cherche davantage à s'effacer devant le monde et ses différentes périodes. Le parti pris est moins fort, moins au centre de la mise en scène. La critique de l'Homme est présente, mais elle est davantage là pour remettre sa supériorité en perspective, replacer sa durée d'existence sur l'échelle de celle de la Terre. Un programme limpide que Malick ne cherche jamais à casser, mais qui a le mérite de se dérouler avec une équité révélatrice. Une équité d'ailleurs plus ou moins réussie selon les périodes, avec une représentation des Homo-sapiens particulièrement ratée, où la mise en scène se concentre principalement sur le fait d'à tout prix cacher le sexe de ces hommes et femmes primitifs (mais musclés comme des athlètes et sans saletés, malgré de fausses dents hideuses), et une période sur les dinosaures malheureusement un peu faible.
Il y a beaucoup de beauté dans ces images, néanmoins cette beauté ne se recèle justement que dans les images en elles-mêmes, et rarement par le montage ou le discours énoncé par Cate Blanchett (qui est relativement inspiré selon les passages, mais pas vraiment indispensable au métrage). Du coup, on s'émerveille souvent devant les plans, mais c'est à chaque fois un nouvel émerveillement qui vient chasser le précédent. Une suite d'émerveillements éphémères. Ce qui n'est pas déplaisant en soi, mais me donne l'intuition que Voyage of time sera vite oublié. Peut-être qu'il n'a qu'une vocation éphémère lui-aussi, après tout.
Dommage du coup que le film se termine par le pire, avec sa morale façon "c'est l'amouuur qui nous unis" qui, au-delà du fait d'être une vision des choses simpliste et éculée, vient contredire la vision d'une nature ambivalente, qui laisse faire puis condamne sans raison apparente, que déploie pourtant l'entièreté du film avant cela.
Tout de même, pour finir, une considération éthique qui m'a fait m'interroger : pourquoi est-ce que seuls les moments filmés du monde actuel oriental, représentant souvent une certaine misère sociale, sont en images d'archives ? Je comprends l'intérêt pratique, dans le sens où ç'aurait été compliqué de les filmer de la même manière que le reste. Mais tout de même, ça ne pose pas un problème que tout le reste soit "beau", "esthétisé" à l'extrême, y compris les passages du monde contemporain occidental, et que ces passages du monde contemporain oriental soit eux cantonnés aux images d'archives ? Je pose peut-être une question qui n'a pas lieu d'être, mais je me demande si ça ne témoigne pas quand même un petit peu d'une certaine forme de mépris bienveillant.