Film élégant et réfléchi, "We blew it" prend le temps de s'installer, n'ayant peur ni de la longueur ni de l'immobilité des plans, ni de s'attarder sur des visages et des silences. Traités à égalité (du grand cinéaste à la supportrice pro-Trump) par une caméra jamais moralisatrice, tous les intervenants ont le temps de (se) raconter, de dire ce qu'il ont vécu, ce qu'il ont compris ou non, ce qu'ils regrettent ou non. Tout à coup, c'est une autre Amérique, loin de celle des chaînes info, qui apparaît à l'écran. Amérique dans laquelle le vote pour Trump est motivé par un discours souvent structuré qui ne peut être congédié par un rejet condescendant ou un rire automatique. Amérique dans laquelle un vieux barbier de quatre-vingt-dix ans peut expliquer comment une population a tenté de résister à la désertification de sa ville, au bord de la Route 66, entraînée par la construction d'une voie rapide. Mais qu'est-il arrivé à l'Amérique ? Au final, on ne le saura pas vraiment. Mais chacun a sa petite idée.
Car l'intérêt de "We blew it" réside en réalité dans le fait qu'il est autant traversé par l'Amérique qu'il ne la traverse. A preuve, cette séquence formidable où la caméra, montée sur une automobile, refait le trajet de JFK à Dallas, passe devant le fameux immeuble, prend la rue des fameux événements et des fameuses images. On voit la fenêtre d'où seraient partis les coups de feu, l'endroit d'où Zapruder a filmé, etc. avant que la voiture, continuant, malgré tout, n'entre dans un tunnel et plonge dans le noir. Et c'est là que "We blew it" vise juste. D'une part, il fait l'économie de la voix off. Rien n'est expliqué, rien n'est décrit mais les images (et leur mise en scène) parlent, en disent long sur l'histoire américaine, ses mutations, ses traumatismes (assassinat de JFK, Watergate, guerre du Vietnam,etc.) qui ont contribué à créer à l'intérieur des Etats-Unis un pays qui n'y croit plus (et le film met bien en lumière le lien profond que chaque Américain entretient avec son pays et sa mythologie). D'autre part, le film est hanté par d'autres films. On saisit alors ici ou là la référence à tel film ou tel cinéaste (et Michael Mann n'est jamais loin, à preuve le plan d'ouverture) avec la certitude qu'on en manque, qu'on en rate, faute d'avoir vu les films, faute de connaître cette histoire. Si bien que "We blew it", tout en filmant l'Amérique non comme un lieu mais comme un espace (avec la métaphysique qui va avec) fait aussi deux choses : d'une part la critique d'un capitalisme (cette idée qu'on n'ose plus discuter) qui a tout balayé sur son passage, et d'autre part (en partie) l'autobiographie de son auteur et le portrait de sa mélancolie.
Et l'on ne boudera pas son plaisir devant le générique dément ouvrant le film, sorte de compilation de l'Amérique, de ses monstres, de ses traumatismes. Là, aussi, dans cette séquence rappelant le test délirant que passe Warren Beatty dans "A cause d'un assassinat", on saisira, dans la profusion d'images, des références nettes à l'histoire américaine (ex : le mot "pig" renvoyant aux mots écrits sur les murs par les assassins de Sharon Tate avec son propre sang). Et l'on restera, pensif, devant le long plan final, vertigineux et fascinant, qui clôt avec beauté, lenteur et profondeur, un film qui nous a autant rempli l'esprit que nettoyé la rétine.