Pendant environ quinze ans, Jean-Baptiste Thoret aura été une des plumes les plus intéressantes de la critique de cinéma française, une sorte de dernier des Mohicans, vestige d'une autre époque, où la critique de cinéma ne se contentait pas du jugement de goût mais défendait aussi une vision du cinéma et un point de vue. Thoret l'a dit, il en a probablement fini avec cet exercice qui ne lui convient plus, fatigué de l'inintérêt croissant que génère le cinéma et de la faiblesse de la production contemporaine. Il nous revient donc avec ce beau documentaire qui nous montre qu'il n'a pas encore tout dit.
Thoret décide de voyager à travers les Etats-Unis à la rencontre des cinéastes qui ont marqués les années 70 (sa période de prédilection) et des américains qui ont vécu ces années. Très vite, le spectateur cinéphile s'aperçoit que Thoret n'est pas là pour livrer un énième documentaire sur le Nouvel Hollywood ni même sur le cinéma de manière globale. Son intérêt pour cette période sert avant tout de point d'ancrage pour s'intéresser de manière générale à ce qu'a représenté cette période sur le plan social et politique pour les Etats-Unis. A la manière des road-movies auxquels il a par ailleurs consacré un de ses ouvrages, Thoret s'embarque dans une virée à travers les Etats-Unis pour interroger la figure mythiques des 60's et des 70's. C'est le premier des nombreux intérêts du film car pour qui connaît bien le travail du critique, on sent la grande maturité qui a aboutit à ce projet où le cinéaste semble s'interroger autant lui-même que ses interlocuteurs.
Le film commence par une plongée déstabilisante dans l'Amérique de 2016 qui s’apprête à voter pour Donald Trump. Sans jugement d'aucune sorte, on écoute ces hommes et ces femmes loin des caricatures que l'on se figure parfois. Beaucoup ont été des hippies, ont fumés de la marijuana et sont nostalgiques de l'époque où ils se rendaient aux concerts de Janis Joplin ou des Doors. Mais la situation économique, l'inertie et les mensonges gobés au fil des années les amèneront à voter pour le funeste candidat. Puis, le discours se fait plus général, plus gobal et nous parle tout simplement des regrets et de l'amertume de toute une génération face au gâchis qu'aura été leur jeunesse. Avec une certaine ironie, Thoret et ses interlocuteurs n'éludent rien des erreurs, des renoncements de cette génération. Certains avouent qu'ils militaient la journée surtout pour pouvoir lever le soir la belle militante avec qui ils avaient sympathisé, d'autres reconnaissent que la nécessité de gagner leur vie les a fait rentrer dans le rang,... Il est très étonnant de voir ces personnes parler aussi librement de ce que leurs combats sont devenus. Toutefois, le film ne tombe jamais dans le cynisme et ne juge jamais. D'ailleurs, même si l'ironie est présente, chacun laisse planer une once d'espoir en l'avenir dans son discours.
Et impossible aussi de ne pas évoquer la beauté visuelle du film. Aidé par les majestueux paysages offert par l'Amérique, Thoret et son chef opérateur mettent en boîte des images somptueuses qui achèvent de donner un caractère totalement cinématographique à ce documentaire. L'usage de la musique est pertinent et le film dégage une profonde mélancolie en accord avec son propos. Encore une fois, difficile de ne pas être fasciné par la manière dont Thoret parvient, d'une réflexion sur le Nouvel Hollywood, a passer à un propos plus large sur le poids de ces années dans la mythologie américaine et, encore plus globalement, à livrer une réflexion sur l'engagement, l'art, la politique et les années qui passent. Un vrai film de cinéma, brillant et qui donne l'impression comme rarement de sentir vibrer le pouls de l'Amérique d'aujourd'hui et d'hier.