Réjouissant OVNI que ce Ready or Not (ou « Wedding Nightmare », en français... ça ne s’arrange pas avec le temps), que l’on dirait presque surgi de nulle part. « Presque » parce qu’il a bénéficié d’un petit buzz dans les semaines qui ont précédé sa sortie, sans lequel une poignée de personnes, tout au plus, seraient allées le voir, et sans lequel l’auteur de ces lignes se serait attendu, tout au plus, à un amusant nanar d’horreur estival (réalisateurs inconnus, casting vide de stars, pitch grotesque…). Un buzz mérité, mais dont le public se serait bien passé, car une rencontre avec un OVNI n’a pas la même saveur si elle est attendue ! Soyons clairs : le meilleur moyen d’apprécier le film de Matt Bettinelli-Olpin et Tyler Gillett, c’est de se rendre à la séance avec le moins d’informations possibles, c’est-à-dire en ayant évité au maximum pitch, extraits, et bien entendu, bande-annonce, d'autant plus que celle du présent film est bouffie de spoilers. Dans ces conditions, le « WTF » fonctionnera à 1000%. Donc, lecteur qui n’a pas encore vu Ready or Not, cesse dans l'instant ta lecture de cette critique bouffie elle aussi de spoilers, et vas donc le voir « vierge », c’est le meilleur conseil que tu pourras recevoir. Ready or Not est un modèle de film SATISFAISANT, aussi cool et violent que sa formidable affiche le promet. En tout cas, ne vous fiez pas à la note globale SC, quand même un sacré repère de croque-morts (désolé).
Ready or Not est topissime. « Topissime » est un semi-néologisme bien pratique, dans notre cas, car il exprime un gros enthousiasme sans prétendre que l'on tient un chef-d’œuvre. Ce film n’est PAS un chef-d'oeuvre. Il est juste… jouissif à 90%. Génial… et en même temps, pas… et malgré tout, si... limite irrationnel, comme truc. C’est que cela se joue parfois à l’association d’une poignée d’éléments forts, et à la singularité assumée de cette association, une singularité capable d’éclipser le mauvais et de transcender le bon. L'idée de départ, de Ready or Not pourrait se résumer à l’équation suivante = You're Next + Get Out + Eyes Wide Shut + Rosemary's Baby + Cabin in the Woods. You’re Next pour son jeu de massacre en maison de campagne et sa belle-famille un chouïa suspecte, Get Out parce que c’est ce qu’on ne cesse de souffler nerveusement à l’héroïne très, très tôt dans le film, Eyes Wide Shut pour sa superclasse néo-aristocrate inaccessible au commun des mortels et ses masques chelou, Rosemary’s Baby également pour sa belle-famille et sa secte glauque (même si le bébé manque ici à l’appel), et enfin, Cabin in the woods pour son ultime twist qui fait basculer le film dans un fantastique complètement inattendu. Oui, ça fait un peu beaucoup, à tel point que ça aurait pu, que ça aurait DÛ donner n’importe quoi. Seulement, ce n’est pas le cas. Et c’est précisément cela, cette inattendue réussite, qui éclipse les couacs que nous ne manquerons pas d’aborder.
Pile le bon esprit
Tout ceci est beaucoup une question de ton, vraiment. Aucun des films précités ne contient d’élément humoristique prépondérant, pas même You’re Next en dépit de son caractère franchement jouissif, mais leur mix serait difficilement passé sans une bonne dose d’humour ; les co-scénaristes Guy Busick et Ryan Murphy (non, un autre Ryan Murphy) (heureusement) ont compris cela, au bénéfice d’un produit final dont la folie fantasque, le macabre ravi, et le léger goût pour le burlesque se manifestent très tôt, envoyant leurs premiers signaux dès la scène de mariage. Insistons donc sur le fait que ce n’est pas un film d’épouvante raté sous prétexte qu’il ne fait pas peur. Ce n’est PAS un film d’épouvante, mais une comédie noire riche en hémoglobine. Pour autant, ces conteurs malins et leurs coréalisateurs ont également eu l’intelligence de ne pas traiter leur sujet comme une bouffonnerie inconséquente : à aucun moment le spectateur n’a l’impression de voir une parodie de You’re Next, Get Out, Eyes Wide Shut, ou Rosemary’s Baby. Le film est BOURRÉ de répliques qui font mouche dans le registre sardonique teinté d'absurde, mais c’est un VRAI thriller, avec de VRAIS enjeux, et une dose de violence bien salissante qui fera à quelques reprises grincer certaines dents – voir toute la partie dans la grange avec le sale gosse et la fosse à sacrifiés. La coexistence de l’humour et du drame n’a jamais été une mince affaire, et beaucoup de conteurs s’y sont brisés les dents, les deux finissant par se parasiter, mais Ready or Not, lui, combine intelligemment le gore intense au comique récréatif. « You think it’s a game ?! », demandera vers la fin du film le patriarche Le Domas à son fils Daniel, auquel ce dernier répondra par « Yes… "hide and seek", remember ? » : cela résume parfaitement l'esprit du film.
Il aurait été par ailleurs un peu triste d’occuper un décor aussi grandiose et photogénique que le manoir d’influence médiévale Casa Loma pour y tourner une bouffonnerie (précisons que s’y sont ajoutés deux autres décors de tournage pour composer le manoir Le Domas dans son entièreté). S’il y a bien quelque chose que les plus gros détracteurs de Ready or Not ne pourront nier, c’est que le film est esthétiquement superbe. Avec l’aide du chef décorateur Andrew Stearn, également occupé ces temps-ci par The Handmaid’s Tale, les deux réalisateurs ont mis au point un univers clos où s’exprime librement toute l’opulence malade du clan Le Domas, jusqu’aux costumes – à commencer par la superbe robe immaculée de l’héroïne. Et si leur utilisation de la caméra à l’épaule est un peu excessive car pas toujours justifiée par l'action, elle est parfaitement adaptée à l’utilisation de la lumière naturelle (recours surprenant dans un registre habituellement moins exigeant esthétiquement), l’union des deux donnant du corps au décor, plongeant le spectateur un peu plus profondément dans les méandres de ses corridors et passages secrets sans jamais avoir à lui expliquer où l'héroïne se trouve, puisque l’idée est de le paumer à peu près autant qu’elle dans un décor dont l’aspect labyrinthique est accentué par son état de panique. Le film bénéficie également d’un excellent travail de montage : souffrant d’un seul petit passage à vide sur lequel nous reviendrons, Ready or Not est une virée incroyablement énergique et rondement menée en plus d’être atmosphérique, une virée serrée, aussi serrée que la durée du film, quatre-vingt-dix minutes sans matière grasse, ou si peu.
Serrée et tendue, donc. Et entre deux éclats de rire, on ne pourra s’empêcher de stresser pour Grace, l’héroïne, d’autant plus que le film a l’air suffisamment méchant et caustique pour tuer cette dernière, se dit-on tout au long. Après tout, c’était la conclusion de la première mouture du scénario, comme c’était le cas de Get Out… Mais quel gâchis cela aurait été !
Et elle descendit des cieux !
Oui, quel gâchis. Venons-en donc à l’autre élément crucial au succès de Ready or Not : le combo Grace + Samara Weaving, son interprète, « scream queen » de classe A et révélation d’actrice dont le film marque la tonitruante entrée sur le devant de la scène. Minute nerd énamouré : Weaving est, dans Ready or Not, une vision absolue, fusion surnaturelle de Margot Robbie et d’Emma Stone en ce qu’elle est à la fois classiquement canon, comme Robbie, et pleine de cette expressivité cartoonesque et de cet impeccable timing comique qui avaient placé Stone sur une comète avec Easy A. Une vision capable de conserver sa grâce dans une robe de mariée déchiquetée et barbouillée de sang – qui passera de l’immaculé au noir de crasse, symbole parmi tant d’autres. Et dotée d’une énergie folle, qui se révélera un appui capital au film lors de son passage à vide susmentionné. C’est bien simple : forte d’un personnage jamais caricatural et aussi authentique dans la vulnérabilité que dans son instinct de survie, Weaving compose dans Ready or Not la plus extraordinaire minette combattante qu’on a vue au cinéma depuis 10 Cloverfield Lane et son combo Michelle + MEW. Le film aurait pu être divertissant avec un tas d'autres actrices… mais pas autant. Après Crawl, on peut dire que l’été 2019 n’aura pas été avare en héroïnes de « survival » mémorables.
Une des innombrables raisons d’éviter la bande-annonce de Ready or Not avant d’aller voir ce dernier est que celle-là, quoique très amusante, commet le double-péché de trop en montrer – c’est devenu la norme dans les bandes-annonces hollywoodiennes – et de tromper un brin le spectateur sur la marchandise. La tromperie était de faire croire au public que Grace allait passer la seconde partie du film à dégommer du richard en montrant son seul « kill » de tout le film. Et hélas, ça a marché, certains critiques étant passés complètement à côté du film pour cette raison. Ready or Not n’est pas You’re Next. Son héroïne a beau être une « bride », on n’est pas dans Kill Bill. Sa survie dépendra à plusieurs reprises d’une aide extérieure, et carrément d’un Satan ex machina, à la toute fin. Elle aura beau se rebeller et avoir l'air super bad-ass, elle n’en restera pas moins la victime des excentricités meurtrières du clan Le Domas. Alors… déception ? Pas vraiment. En fait, c’est mieux comme ça. Le film aurait perdu beaucoup de son originalité, en plus d’enfiler une perle féministe bien lourde, si sa blondinette taille mannequin s’était transformée en Wonder Woman du jour au lendemain. Ça ne l’empêchera pas de filer quelques mandales et de se débattre comme une championne, mais ces scènes ne seront pas si nombreuses, ni les moments forts du film (surtout pas tout ce qui se passe avec le majordome, des plus faiblards).
Pile ce qu’il faut de profondeur
L’intérêt du scénario est ailleurs. En fait, sans jamais trahir l’esprit de farce qui l’anime – car les motivations de la famille Le Domas ont quand même quelque chose de complètement grotesque –, Ready or Not prend la peine de soigner son histoire.
Certains reprochent au contraire au film de manquer de substance. Les scénaristes ont-ils suffisamment exploré ses thèmes, de l’effet corrupteur de l’argent à la dégénérescence dynastique, en passant par la dangerosité du respect aveugle des traditions ? Nah. De toute évidence, ils auraient-ils pu faire mieux, par exemple, qu’une poignée de répliques du genre de « it’s true what they say, the rich really are different ». Quelques flashbacks explorant les origines de la malédiction aux côtés de l’arrière-grand-père Victor et de l’obscur Le Bail auraient été les bienvenus. Et à l’exception des personnages de l’époux Alex et du grand-frère Daniel, force est de reconnaître que les membres de la famille Le Domas tiennent sur des tickets de métro. Mais une partie de ces doléances est aussi déplacée que le reproche fait au personnage de Grace de ne pas être une vengeresse tout-terrain.
Effectivement, il y avait matière à trousser quelque chose d’intéressant avec quelques flashbacks dédiés aux origines du clan maudit, intéressant et autrement plus mémorable que des dialogues explicatifs. Il est généralement préférable de faire passer des informations au spectateur à travers l’image plutôt qu’à travers des expositions orales (cf. la très parlante expression « show, don’t tell » des anglophones). Mais nous avons bien dit « généralement ». Oui, il aurait été amusant de voir le Diable cuisiner sa petite malédiction dans son coin dans un décor XIXème siècle, mais tout bien réfléchi, cela aurait davantage DESSERVI le film : l’idée, avec cette malédiction, est qu’on ignore si elle est réelle, ayant en fait toutes les raisons de croire l’inverse, c’est-à-dire que les Le Domas ne sont qu’une bande de tarés ayant poussé l’esprit superstitieux au maximum de ses capacités financières.
Effectivement, les personnages autres que Grace, Alex et Daniel tiennent sur un ticket de métro, mais d’une part, le film ne se prétend pas une étude de caractères, et d’autre part, ce n’est pas synonyme de mauvaise caractérisation. À leur degré de développement, le beau-père (Henry Czerny, réjouissant d’hystérie) fonctionne très bien en connard mégalomaniaque dont les nerfs s’avèrent bien moins solides que prévu, la belle-mère (Andie McDowell faisant plutôt pas mal sa Jessica Lange) fonctionne très bien en Lady McBeth pragmatique, la belle-sœur cadette Emilie (Melanie Scrofano, qu’il est amusant de voir complètement nulle au tir alors qu’elle joue Winnona Earp) fonctionne délicieusement en boulet cocaïné de la famille, tante Helene fonctionne très bien en vieille sorcière acariâtre que son passé noir sang étoffe un peu, Charity et Fitch fonctionnent très bien en pièces rapportées prêtes à tout pour bien se faire voir des beaux-parents… pas besoin de plus que ça pour un thriller azimuté d’une heure trente. Aucun personnage ne commet d’actions qui manquent de sens ; chacun a des motivations claires aucun il se tient. Ajoutons à cela que chacun a droit à une poignée de répliques mémorables, et le compte y est (le « I don’t know what I’m doing ! » d'Emilie étant la meilleure de très loin).
Par ailleurs, eux non plus ne doivent pas nourrir d’attentes déplacées, comme celle de les voir se transformer en ennemis mortels, car Ready or Not n’est pas non plus Chasse à l’Homme (oui, oui, le film avec JCVD). Les membres de la dynastie Le Domas auraient pu, au fil des générations, tirer de la tradition du jeu un goût raffiné pour le meurtre et sophistiquer cet art, mais nulle chasse du Comte Zaroff, ici. Ces zigotos-là subissent le jeu presque autant qu’ils ne l’infligent aux pauvres hères qui ont tiré la mauvaise carte. Certains le jouent avec un fanatisme qui sert à masquer leur névrose, d’autres le font par principe, d’autres sans vraiment y croire, d’autres en s’emmerdant royalement. Dans certains cas, on parle littéralement de dégénérés, comme une dynastie royale aux gènes étrillés par les mariages consanguins. Et à la fin du film, on pourra littéralement les qualifier de « fin de race »...
Deux frères
Un des quelques personnages étoffés du film, et le plus réussi après Grace, c’est donc Daniel, campé avec un sacré charisme par un Adam Brody qu’on ne voit clairement pas assez au cinéma, et dont la dépression alcoolisée « fait » littéralement certaines scènes. Cela peut étonner, de prime abord, car Daniel est le personnage le MOINS déséquilibré de sa famille, or on s’attendrait à ce que les plus mémorables soient les plus dingos, mais justement : son « charme » tient à son état profondément désabusée de type sain d’esprit qui se sait entouré de malades et condamné par le sang à les côtoyer, ce qui fait de lui à la fois un personnage auquel on peut s’identifier ET un cas intéressant. Brody lui prête un flegme vraiment inattendu.
Son petit frère et le mari de Grace, Alex, est le dernier des trois personnages du film à bénéficier d’un certain développement. Seulement, il est la source d’un des principaux reproches que les détracteurs de Ready or Not font au film : son revirement final contre Grace qui manquerait cruellement de cohérence. Inscrivons-nous en faux : si ce revirement peut décevoir, il n'en manque pas. Alex aura beau se comporter comme une baltringue, ce qui ne manquera pas de lui coûter la vie, il n’en sera pas moins crédible dans son aveuglement. Premièrement, toute l’aide énamourée qu’il apporte à l’héroïne, au début du jeu, ne doit éclipser le fait qu’il est celui qui l’a conduite dans la gueule du loup en premier lieu, preuve qu’il est moins libéré des traditions qu’il ne le prétend. S’il était aussi brouillé avec sa famille qu'il le laisse entendre, il aurait épousé Grace à Las Vegas, mais non : au bout du compte, il a choisi de rester collé à sa famille autant qu'il l'a choisie elle. Ensuite, lorsqu’elle lui demande pourquoi il lui a fait courir ce risque, le petit gars lui répond qu’il ne voulait pas la perdre… signe que son intérêt personnel primait déjà sur la vie de sa fiancée. Mais de cela, peut-être n’est-il même pas pleinement conscient. Il SAIT que Grace PEUT tirer la mauvaise carte, mais quand Daniel le lui rappelle, répond que les chances sont dérisoires… ce qui est à la fois vrai, et un vœu pieu, un aveuglement. Un aveuglement destiné à ne pas voir le triste fond de son propre caractère : ce qui compte, pour lui, c’est d’AVOIR Grace, sans vraiment la respecter en tant que personne, puisqu’il prend à sa place la décision de risquer sa vie. Qu’il se retourne contre elle à la fin, quand il réalise qu'il l'a perdue pour de bon, n’a de fait rien d’incohérent. Ajoutons à cela la peur du Diable, et c'est parti.
Tradition du pouvoir, pouvoir de la tradition
Si Ready or Not ne propose pas une fascinante et pénétrante exploration des rapports de force sociaux, cette dernière est bien là, et l’on devine les inspirations marxistes de ses scénaristes. Parce que la mode est au féminisme revanchard, entendons-nous sur le fait que le film n’en est PAS une énième expression, pas plus qu’il n’est un brûlot anti-mariage : s’il oppose deux catégories, ce ne sont certainement pas les hommes aux femmes, mais la superclasse à la piétaille. Y voir une condamnation du principe même de classe sociale, comme le suggèrent certains, serait un peu exagéré – l’auteur de ces lignes ne considère pas ce dernier comme intrinsèquement mauvais –, mais le film ne loupe pas les effets de sa dégénérescence, comme les dérives inhérentes à la richesse dynastique, et l’extrême violence que peut porter en elle une structuration verticale basée sur la seule taille du compte en banque. Une violence qui peut échapper au contrôle même des puissants : la nuit du film met en scène des gens riches ébranlés, sinon terrifiés, par la volatilité de leur puissance. Le film en profite même pour rappeler que ladite piétaille contribue à l’entretient de cette violence à travers les personnages des trois domestiques, qui ne sont pas forcées de jouer mais existent pour servir, et le zèle du majordome, qui n’aurait rien à craindre quand bien même la malédiction s’avérait réelle, et pourtant joue comme s'il en était. Il est intéressant de noter que le film a été produit par James Vanderbilt, de la richissime dynastie Vanderbilt, dont les récentes générations, quoique probablement plus équilibrés que les Le Domas, ont été plus douées à dilapider la fortune amassée par leurs ancêtres qu’à la gonfler…
Mais si Ready or Not dit quelque chose de substantiel, c’est surtout sur l’idée de tradition, comme nous l’avons évoqué plus haut. Arrêtons-nous un instant sur cette dernière. D’un point de vue empirique et pratique, elle est fondamentale. Elle lie les gens, renforce l’unité des familles, puis des cercles plus larges, permet l’entretien des valeurs morales sans lesquelles la société bascule dans un relativisme mortifère, met en valeur les modèles à suivre pour les plus jeunes (mais pas seulement, voir le rôle structurant de la figure du héros). Elle est la source des normes inhérentes à toute société humaine, la somme des enseignements de siècles d’expérience, le ferment de l’unité, encore plus cruciale que les normes. Qui sont la culture. Une culture n’a pas à justifier son existence d’un point de vue rationnel et matérialiste, ou alors les mathématiques araseraient la diversité culturelle en même temps que le relativisme arase les valeurs. Le problème est que, sans vouloir jouer le jeu des progressistes, on ne peut ignorer les risques inhérents au respect aveugle des traditions. Certaines peuvent se perpétuer à notre détriment, entretenues par le conformisme naturel de notre espèce, qui nous conduit parfois à répéter les erreurs de nos prédécesseurs, confondant bien-fondé et popularité. Les Lumières du XVIIème siècle ont apporté la puissance de l’esprit critique à une Europe dont l’enrichissement incontrôlé ne pouvait que conduire à d'immenses bouleversements, qu’ils soient positifs ou non ; le problème de taille que cela a posé est que tout est alors devenu relatif. Tout ne doit pas être relatif, tout ne l’est pas. Mais la posture opposée comporte, elle aussi, son lot de dangers. C’est ce qu’aborde Ready or Not, entre autres, et l’air de rien. La tradition du jeu est-elle bonne ? Assurément, non. Tout en respectant l’idée de spécificité culturelle, on peut s’autoriser un petit coup d’universalisme en condamnant toute tradition qui requiert un sacrifice humain. Tuer quelqu’un, ou tout du moins un innocent et hors du cadre de la justice si l’on approuve la peine capitale, c’est mal. La première caractéristique des Le Domas n’est plus d’être des conservateurs, mais des ordures criminelles.
L’idée du respect aveugle d’une tradition se complique davantage encore lorsqu’est versée une bonne dose de mysticisme dans la tambouille. Ce que l’illustre arrière-grand-père Victor a fait avec le mystérieux Le Bail ne fut rien de moins qu’un pacte avec le Diable, la fortune de son clan dépendant de la disposition de ses descendants à jouer le jeu... jusqu’au bout. C’est ce point, l’implication de ces derniers, qui, en plus de faire le sel du film, pose la question du bien-fondé d’une tradition en rappelant le pouvoir aliénant du mysticisme.
L’inadaptation d’une tradition antédiluvienne aux changements d’époques est un argument favori des tenants du « progrès ». Elle a le mérite d’être posée par le film à travers l’attachement radical du patriarche Tony à jouer le jeu dans les conditions originales, en employant des armes archaïques, par exemple (hache, arbalète, etc.), et en refusant tout recours à la technologie contemporaine comme les caméras de surveillance, afin de se mettre à la place de l’arrière-grand-père Victor, un peu son Mahomet à lui. Cela parait noble, au départ : les Le Domas sont une dynastie, une dynastie est une micro-société, et une société a besoin de règles. Puis l’on se rend compte que tout ne se tient pas parfaitement, puisqu’il laisse en même temps son majordome traquer Grace à l’aide de sa BMW très contemporaine. Le respect peut être aveugle… comme il peut être d’une hypocrisie confondante. Jusqu’à un certain point du jeu, les « chasseurs », Le Domas de sang ET pièces rapportées, ont le mérite de suivre la tradition du jeu à la lettre, motivés par Tony. Mais à la fin, quand cette petite troupe réalisera que rien ne va plus, que l’aube approche dangereusement et que leur proie continue de leur échapper… la tradition pourra tout à coup aller se faire foutre. Tous n’auront pas fait preuve de la même hypocrisie que Tony Le Domas. D’amusants mini-débats éclateront durant la nuit, à mesure que la situation se corsera, entre les « anciens », comme ce dernier et tante Helene, et des esprits plus pragmatiques, ou plus cyniques, comme Emilie et Fitch, incarnant, à leur manière, le camp « progressiste ». Ready or Not n’est peut-être pas une thèse, mais sa géniale réplique « It’s not tradition that he was born before cameras » vaut à elle seule bien des monologues sur le sujet…
Cerise sur un gâteau déjà savoureux
Les dernières minutes de Ready or Not valent à elles seules une critique à spoilers tant elles sont réjouissantes. À ce stade, le troisième acte s'est montré légèrement inférieur aux deux précédents (l’exact inverse de You’re Next) : tout ce qui s’est passé à la frontière et hors du domaine des Le Domas, avec ce majordome complètement incapable (cf. la scène de la voiture), a manqué d’énergie et d’inspiration, et la répétition de la capture de Grace a cassé un peu l’irrésistible dynamique qui caractérisait le film jusqu’à un certain point (tardif, hein). Puis arrive l’aube, et cet hilarant moment où la famille de tarés réalise que la malédiction n’était qu’un énorme foutage de gueule – le spectateur étant quant à lui assez indécis à ce sujet. Puis arrive l’ultime twist, qui voit tout ce petit monde exploser dans de grotesques geysers de sang, façon True Blood… révélant finalement que NON, la malédiction n’était PAS un énorme foutage de gueule, que le Diable existe, qu’il s’est un jour nommé Le Bail, que tout était vrai, et que les Le Domas, tout immoraux fussent-ils, avaient donc raison... de respecter la tradition. Ah ouais, carrément !
Le troisième acte, et le film dans son entièreté, bénéficient de ce twist à plus d’un titre. Tout d’abord, il surprend, et sans que cela ne se fasse au détriment du récit : cette issue était tout à fait envisageable dans la logique interne de l’histoire, mais le spectateur n’y croyait juste pas, pas vraiment. Jusqu’aux geysers de sang, Ready or Not avait l’air d’une critique de la superstition et du respect aveugle des traditions ; après les geysers, le film l’est toujours, mais avec un « yeaaaaaaah ! » en plus, surtout quand on pense à la géniale accolade de Le Bail à Grace (l’air de dire « bon boulot, gamine »…). Ensuite, il n’enlève rien à ce que l’on prenait pour le climax du film, la fausse révélation que les Le Domas croyaient à une chimère, ni à ce délicieux moment où ils se sont sentis bien cons : l’effet demeure. De ce point de vue, ce twist rappelle un peu celui du Take Shelter de Jeff Nichols (= les visions du protagoniste étaient réelles, et il n’est donc pas fou) qui, lui aussi, survenait après un dénouement pourtant amplement satisfaisant (= les visions du protagoniste étaient le fruit de sa psychose et il accepte d’être soigné) sans pour autant le trahir. Ces deux retournements font l’effet d’une cerise sur un gâteau déjà savoureux. Pour finir, il brouille son propos sur le respect des traditions : les Le Domas restent-ils à ce point déments si le réel est lui-même dément ? Le comportement de ceux qui y croient à mort, comme le patriarche, ne se trouve-t-il pas quelque peu justifié, moralement, sa survie et celle de sa famille entière dépendant du sacrifice de Grace ? Après tout, le respect des traditions n’est-il pas en partie une question de vie ou de mort pour une culture, et donc, dans un certain sens, pour son peuple ?
En fait, ce twist, tout en étant aussi inattendu que celui de Cabin in the Woods, nourrit bien davantage le propos de son film…
À voir, donc, et pas qu’une fois
Vous l’avez compris, Ready or Not, sous ses dehors de thriller horrifique, n’est pas une coquille vide exclusivement dévouée à l’entertainment. Sa boucherie grotesque est un spectacle « pulp », oui, mais pas que. C’est du popcorn, pas du popcon. Le tout étant d’accepter que c’est AVANT TOUT du popcorn, du fun avec un F majuscule. Du fun qu’il est bon de soutenir, en cette sinistre époque d’adaptations médiocres, remakes, reboots, et rereboots, en allant le voir une deuxième fois, par exemple !
Certains défenseurs des studios Disney, dont l’hégémonie ne signifie objectivement rien de bon d’un point de vue culturel, invoquent ce film comme une preuve que la diversité de l’offre dans le cinéma hollywoodien demeurera inchangée. Problème : Ready or Not a été produit par Fox Searchlight AVANT le rachat de la Fox par l’Empire. Bien essayé. Prions maintenant pour la suite. En attendant, merci la Fox.