Tuer n'est pas jouer

WEI or die est un film disponible ici ayant la particularité d'être interactif. Une personne est retrouvée noyée dans un lac à côté duquel avait lieu un week-end d'intégration. La police réquisitionne tous les appareils ayant enregistré quelque chose durant cet évènement afin de comprendre ce qui a bien pu se passer. On suit ainsi ces enregistrements vidéos, mais comme la plupart se chevauchent il faudra choisir en cours de diffusion lequel on regarde (d'où l'interaction du public). Vous préférez suivre la discussion de telle bande de potes, regarder la dispute ailleurs, ou vérifier la caméra de surveillance ?

Ce procédé a ses avantages, mais aussi ses inconvénients. Il faut parfois faire des choix, si on suit une conversation on en loupe une autre (à moins de repasser le film, la timeline permettant d'accéder directement à la séquence souhaitée). C'est parfois frustrant, il aurait pu y avoir moyen d'éviter ça. En revanche, ce procédé permet de faire des parallèles intéressants. Alterner entre ceux qui font la fête ou qui discutent de sujets divers pendant qu'ailleurs on voit arriver un drame, ça renforce un sentiment d'insouciance ainsi que l'idée que les gens ne sont pas bien au courant de ce qui arrive à leurs camarades. L'effet se trouve ici justifié et réussi. On a aussi quelques moments où l'on se retrouve à alterner entre les sources vidéo en se demandant si on ne risque pas de passer à côté d'une déclaration ou d'un évènement important. Le défilement étant automatique, ça donne une impression de temps réel qui incite à se trouver partout à la fois, comme si on voulait surveiller ces étudiants. Cela nous implique efficacement et nous fait un peu jouer au détective. Enfin, certains passages se trouvent renforcés par le fait que tous les enregistrements parlent de la même scène, mais en se focalisant sur le visage d'une personne ou d'une autre. On se met alors à choisir si on doit dévisager le mec qui a déconné (et donc à le culpabiliser) ou voir sa victime, par empathie (ou voyeurisme ?). Donc cette idée de nous faire choisir la vidéo à mater se révèle judicieux, bien qu'elle pose malgré tout quelques soucis.

La réalisation est de bonne qualité, par contre il faut oublier que les caméras sont sensées être tenues par des étudiants. Il y a de nombreux changements de plans sans que cela n'occasionne d'ellipse (la musique intradiégétique en faisant foi) et des ralentis, donc on ne pourra pas faire comme s'il s'agissait de vrais enregistrements. Qu'à cela ne tienne, les images restent bien filmées et je trouve ça largement préférable à un sentiment d'authenticité. Les acteurs se montrent très naturels et convaincants, et surtout l'écriture fait mouche. Quand je vois les beaufs qui font leur lourd ou les petits rigolos qui se lancent dans des débats à la con, j'y crois. Je me reconnais là dedans et je reconnais des gens que j'ai croisé. Il y a des petits moments de déconnade, des réflexions plus ou moins pertinentes, bref tout ce qu'on trouve dans un regroupement d'étudiants. L'écriture est pour moi la plus grande qualité du métrage...

... mais elle souffre de partis pris où je m'y retrouve moins. Les pubs nous annoncent un film nous faisant "entrer dans l'enfer d'un week-end d'intégration" et nous avertit que c'est l'antre du sexe, de la drogue et de l'alcool. Et tout le film va dans ce sens. Toutes les scènes nous présentent au moins une situation craignos, voire excessivement craignos, souvent du bizutage. Les scènes montrant les aspects positifs d'un WEI sont beaucoup trop rares, on reste dans une optique de diabolisation plutôt que de sensibilisation. En dehors de ceux qui veulent profiter du sexe/drogue/alcool le film ne donne vraiment pas envie de faire du WEI, cet évènement où l'on se ferait humilier. On voit bien des rencontres qui se font, mais on a du mal à saisir le fun qui peut se dégager autrement qu'en se foutant une race. Sensibiliser sur les dangers du WEI et du bizutage c'est bien (plusieurs évènements du film ayant apparemment été tirés d'authentiques faits divers), mais il aurait été sympa de rappeler son utilité communautaire au lieu de n'en faire qu'une épreuve à laquelle il faut survivre. Des gens n'auront pas d'autre point du vue du WEI que ce film et pourraient penser qu'il y a des fraternités limites sectaires. Au USA peut-être, en France pas des masses, et surtout pas celle qu'on voit dans le film. Là je ne m'y reconnaissais pas.

Dommage, je me retrouve partagé entre cette production qui est franchement chouette et prenante, et cet engagement maladroit contre les WEI qui me gêne. Si la volonté était juste d'avertir les orgas de se comporter calmement pour que tout le monde puisse s'amuser, elle me paraît trop maladroite. Mais pour quelqu'un qui n'avait pas envie d'aimer le film, je me suis finalement bien fait embarquer. C'était moins caricatural que ce que je craignais, il y avait de bonnes idées et la réalisation se montre intéressante. Je vous invite à y jeter un coup d'oeil, bien que je sois frustré de voir ces talents gâchés par une idée de base à laquelle je n'adhère pas, du moins pas sans élément pour contrebalancer le trash.