Western musical et social signé Robert Wise
Le 14 novembre 1960, Ruby Bridges est la première enfant noire à se rendre dans une école pour les blancs. Autant dire que les Etats-Unis sont très largement ségrégationnistes à cette période (depuis 1955, et durant toute la décennies 60, les combats de Martin Luther King Jr, notamment, bousculent le pays et ses lois). Il est bon de rappeler, à ce moment, que le communautarisme est majoritaire, que les Etats-Unis d’Amérique ne sont pas si unis que cela.
Et le film West Side Story de Robert Wise et Jerome Robbins, adapté du musical de Leonard Bernstein, Arthur Laurents et Stephen Sondheim ne va pas prouver le contraire, lui-même largement inspiré du Roméo et Juliette de William Shakespeare. Autrement dit, une énième histoire de gang, une énième variation de combats de cow-boys et d’indiens, d’immigrants et d’autochtones : les Jets (américains d’origine européenne) contre les Sharks (immigrés portoricains). Mais ici on ne sait plus très bien qui est le cow-boy et qui est l’indien.
En effet, ces deux gangs rivaux qui se disputent une rue, semblent tout autant ennemis dans la vie qu’alliés dans la danse, et ce dès le prologue, magnifiquement chorégraphié, mêlant le jaune des Jets et le rouge des Sharks. La danse millimétrée par Robbins semble atténuer la violence des combats (comme c’était le cas dans une autre comédie musicale signée Stanley Donen : Seven brides for seven brothers, 1954). Mais de part et d’autre, à l’issue de combats (chorégraphies à la fois drôles et spectaculaires) qui dégénèrent, les adolescents meurent quand-même (aucun nom ne sera dévoilé pour ne pas risquer de divulgâcher l’histoire à ceux qui ne l’auraient pas encore vu !), ce qui crée un fort décalage avec l’euphémisme ambiant du film. La danse d’ailleurs, à plusieurs reprises dans la suite du film, remplace furtivement le combats à l’arrivée des policiers, représentants dépassés de l’autorité qui essaient tant bien que mal d’unir les deux groupes. Une autre entité tente de pacifier les relations entre ces deux frères ennemis : l’amour. Celui, impossible, qui frappe comme la foudre Maria, la sœur de Bernardo le chef des Sharks, et Tony, un ancien membre des Jets très proche de Riff le chef des Jets. Soit dit en passant, ce ne sont pas les représentants de l’autorité (officier Krupkee et lieutenant Shrank) qui règlent le conflit, mais ces deux amoureux que rien ne pourrait séparer.
La particularité de ce film est son discours social, qui se remarque essentiellement dans les chansons America ou Gee ! Officer Krupkee, soulignant les inégalités et les difficultés sociales de certaines familles aux Etats-Unis. On peut reprocher à certaines autres chansons (Maria, ou Tonight) leur romantisme excessif, mais il vient contrebalancer l’ambiance fil-de-rasoir qui surplombe l’intrigue. C’est donc par le contraste que les images et les sons se répondent et créent un autre discours, social. On remarque également, d’un point de vue technique et cinématographique, une grande modernité. Les premiers plans survolant New-York à la verticale sont inédits ; et les dix premières minutes du film sont muettes. Mais cela sert à accentuer de nouveaux contrastes : la parole et le mutisme (la parole mettant en avant les accents différents, que le mutisme efface), la hauteur et les bas-fonds (métaphoriquement peut-être, une volonté d’ascension sociale qui échoue à plusieurs niveaux).
Le succès du film n’a d’égal – d’un point de vue personnel cette fois – que sa virtuosité, autant dans la précision des chorégraphies que dans les choix formels (parfois un peu kitsch, notamment l’usage du flou, mais souvent intéressants, notamment la mise en scène du mariage improvisé avec les mannequins ou la séquence dans le bar où le conseil de paix se transforme, à l’arrivée du policier, en séance de jeux). Et la postérité, citant sans cesse West Side Story (Jacques Demy, Jean Girault ou Claude François) retiendra ce film comme un des plus grands chef-d’œuvres du cinéma (10 oscars !). On attendra donc le remake que Steven Spielberg prépare pour 2020, soixante-ans après… un éternel recommencement, à l'heure où Trump veut construire un mur à la frontière mexicaine?