L'histoire intemporelle de Roméo & Juliette transposée dans un quartier pauvre de New York, le West Side, dans les années cinquante. Deux gangs se font la guerre pour un bout de bitume : les Portoricains, surnommés les Sharks, et les Jets, locaux de souche, graine de délinquance ayant grandi dans un environnement clos, pauvre, sans l'espoir d'apercevoir d'autres horizons. Quant aux Portoricains, depuis leur petite île, leur espoir était sans aucun doute Manhattan ; au lieu de ça, ils se sont retrouvés dans de vieux immeubles, sans un job valable. Collision violente de deux mondes différents.
Plus important, brûlant et destructeur que l'histoire d'amour un peu trop mièvre et naïve entre un ancien Jet, Tony, et la petite soeur du chef des Sharks, Maria, l'ennui est le véritable thème du film, à l'origine des maux, des problèmes et des conflits de chaque protagoniste. C'est l'ennui qui mène un pauvre gars à en frapper un autre, qui laisse des jeunes désoeuvrés et paumés ; c'est l'ennui qui, combiné à l'ignorance, donne la haine, et observe avec satisfaction deux bandes qui s'opposent pour une broutille, qui n'est que le prétexte pour se battre à cause d'une couleur de peau plus mate, d'un délicieux accent espagnol chantant sur des "r" roulés, et d'origines différentes.
West Side Story est une alliance fantastique et réussie du sonore et du visuel. Les chorégraphies sont splendides, particulièrement lorsqu'elles prennent la forme de combats de rue. Les longs corps des danseurs se déplient et tentent de s'arracher de l'ennui qui leur colle à la peau, et alors, d'une légèreté époustouflante, ils bondissent, se contorsionnent, se grandissent, avec une souplesse sensuelle et sublime, ainsi qu'une jeunesse resplendissante : tout le prologue, devenu mythique, illustre à merveille mes propos précédents : dix minutes sans une parole, silencieuses et pourtant illustrées par la musique, des claquements de doigts, des regards assassins, et un ennui assourdissant. Les musiques et les chansons sont magnifiques et cultes, de "America" à "Maria" en passant par "I Feel Pretty" et "Tonight", en faisant le détour par l'humour avec "Dear Officer Krupke", séquence à mourir de rire.
George Chakiris, qui joue Bernardo, le chef des Sharks, est tout simplement somptueux et son jeu est, selon moi, admirable ; je trouve qu'il porte réellement le film, et c'est également le plus adulte et le plus sombre des personnages. Natalie Wood est superbe, mais son amant Roméo, interprété par Richard Beymer, est un peu fade, avec son sourire béat. Les Jets, notamment leur chef, Riff (Russ Tamblyn), sont éclatants de jeunesse et d'énergie, tout comme les Sharks. Rita Moreno, alias Anita, la petite amie de Bernardo, et qui interprète "America", est drôle, lumineuse et crève l'écran.
West Side Story est un film électrique, une boule d'énergie, culte et classique, possédant une saveur et un charme extraordinaires, avec des chorégraphies renversantes, des décors géniaux, des musiques entraînantes, et comportant des scènes mythiques, notamment la séquence du début (sans oublier des vues aériennes jouissives), la scène de "America" et du bal, ainsi que la fin, tragique, douloureuse et pourtant porteuse d'une lueur d'espoir (je me noie dans le lyrisme, sorry).
Dommage que certaines scènes, notamment celles où se retrouvent Tony et Maria, soient trop empreintes de mièvrerie. Heureusement, l'humour, notamment des Jets, et les séquences dansées, apportent une légèreté prenante et, surtout, une envie irrésistible de danser devant son miroir (NB : je ne dis pas que ça me concerne évidemment, je ne suis pas de ce genre. Enfin, demandez à mon voisin d'en face, je crois qu'il a beaucoup ri en me voyant me déchaîner juste à côté de ma fenêtre qui est en vis-à-vis avec la sienne. Ma gêne était palpable. Et inutile de mentionner que je suis une piètre danseuse aheum.)