Anthony Chen choisit les longs moments intimes et plutôt dramatiques pour traiter son portrait d'amours interdits. Une critique sociétale subtile et humaniste, même si on peut regretter parfois un manque de caractérisation globale des personnages et des sujets évoqués. Vu par le regard d'une professeure malaisienne installée à Singapour, Ling, (parfaite Yeo Yann Yann), l'émotion s'invite par un simple plan, un regard, un instant saisi, sans crier gare.
Deux personnages esseulés, l'une en mal d'enfant où les non dits mineront un semblant de vie commune dégradée, cantonnée au seul rôle reproductif. L'autre aux parents souvent absents, amoureux impatient de sa professeure et adepte des arts martiaux comme remède à son mal-être.


Si le réalisateur pose le contexte politique de la Malaisie et de ses manifestations, le sujet restera en toile de fonds mais pointe par le décor de Singapour, (à majorité chinoise, et ancienne colonie britannique), une société obsédée du rendement économique où l'anglais est privilégié et le chinois remisé aux oubliettes, creusant le fossé entre relations familiales, traditions et modernité, où chacun parlera dans une langue différente lors de leurs échanges. Conflit dans lequel se débat Ling, enseignant le chinois à des élèves démotivés. Cette jeune femme mésestimée à tous les égards, ni vue ni entendue n'aura que son attachement réciproque avec son beau père handicapé dont elle s'occupe avec abnégation et finira remerciée sans ménagement une fois celui-ci décédé. La fougue amoureuse de Wei Lun (Koh Jia Ler) venant chambouler l'ordre établi, finira de la plonger dans une crise existentielle libératrice.


On pense 50 ans plus tard à ce même portrait de femme que traitait si justement Mikio Naruse dans une femme dans la tourmente ou à ce film particulier qu'est Okuribito (Départures) de Yôjirô Takita dans la gestion des gestes et des silences, où une seule scène aura suffi à emporter l'adhésion.
De la même manière, on est saisi par la performance de Yang Shi Bin, tout en économie de moyens, vieux et submergé par la solitude, qui par un seul geste nous mettra les larmes aux yeux.
Et c'est dans cette gestion du mouvement et des expressions presque imperceptibles que le cinéaste démontre son talent, sans fioriture, sans bruit et sans musique, seulement rythmée par une tonalité constamment pluvieuse, aux teintes sourdes, venant accompagner les sentiments de ses personnages, en pleine débâcle.


A. Chen opte pour la sobriété, si ce n'est certaines scènes acharnées du jeune garçon, qui croit dure comme fer à sa première et unique histoire d'amour que rien ni personne ne devrait entraver. Nostalgie et souvenirs viendront se superposer à ces grands élans naïfs.

On est séduit par la spontanéité de koh jia ler, les multiples tentatives de toucher et de ne plus lâcher, insistant tel ce véritable assaut dans sa chambre, où il ne laissera aucune chance de retrait à l'objet de son désir, et laissera un moment perplexe par ce qu'il convoque de violence. La libération qui viendra de ce moment d'égarement, pour impulser chez Ling un élan de survie, face à sa condition, restera toujours ambigu, comme encore un acte auquel elle est soumise sans l'avoir vraiment choisi tout en s'interrogeant sur le rôle tampon et nécessaire de l'adulte ou du regard d'une société face à la transgression.


Anthony Chen réussit avec brio à donner du souffle à la lenteur ambiante par le découpage des scènes, ne s'attardant pas à les terminer, nous laissant profiter de ce qui reste en suspens. A l'image de ce final qui laisse présager du meilleur à venir.

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le 11 févr. 2021

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