En janvier 2013, le jeune réalisateur Damien Chazelle (jusque-là plus connu pour avoir écrit le scénario du Dernier exorcisme 2, autant dire que ça donne envie) se faisait connaître en remportant le prix du jury pour son court-métrage Whiplash. Un an plus tard, il présentait cette fois-ci, sous le même nom, son deuxième long-métrage, et remportait à la fois le Grand Prix du Jury et le prix du public. Encore un an plus tard, Whiplash est salué de toutes parts en France, pays tombé fou amoureux des personnages de Andrew Neiman (Miles Teller) et Terence Fletcher (J.K. Simmons).
Neiman et Fletcher sont élève et enseignant au conservatoire Schaffer, meilleur conservatoire des Etats-Unis et, selon une logique très nombriliste qu’on retrouvera plusieurs fois dans le film, meilleur conservatoire du Monde. Fletcher dirige le Studio Band, orchestre principal de l’école. Un jour, il entend jouer Neiman. Quelques temps plus tard, ce dernier fait son entrée au Studio Band, dès sa première année, à 19 ans à peine. C’est ainsi que se met en place l’intrigue de Whiplash, duel angoissant du début à la fin.
A noter, tout d’abord, l’exceptionnelle prestation de J.K. Simmons. J’ai rarement vu un acteur aussi convaincant et aussi séduisant dans un rôle pourtant défavorable. Totalement imprégné de son personnage, il ne laisse rien paraître au mal-être qui entoure Terence Fletcher jusqu’à quelques scènes à l’émotion forte. Et ce, principalement encore grâce à l’acteur qui vient de remporter un Golden Globe pour ce rôle. Malheureusement, si on dit d’habitude que les grandes prestations d’acteurs subliment ceux qui les entourent, ce n’est pas vraiment le cas ici. Miles Teller, plutôt bon en général, semble au contraire timoré par le jeu de J.K. Simmons, au point de se limiter à quelques émotions bien trop faiblardes pour exister face à un prof si impressionnant. Pourtant, on n’en demandait pas autant à Teller, dans un rôle plutôt cloisonné, qu’à Simmons, qui doit aborder des pans du jeu d’acteur aussi divers que rapprochés dans le film.
Ce qu’il faut aussi retenir d’un tel film, c’est la force du scénario, qui renverse au cours des minutes la balance. Si on se rapproche au départ de l’élève, qui semble naturellement, par sa position de personnage principal et d’élève soumis à un professeur autoritaire, on peut finalement se rendre compte par quelques coups de maître du duo Simmons-Chazelle que la réalité est tout autre. S’enchaînent, du côté du personnage de Teller, insultes envers des camarades du groupe, rupture unilatérale, reproches faits au père, critiques gratuites faites aux amis et, finalement, tentative de destruction de la carrière du prof, Terence Fletcher. Ce même Fletcher qui est, on s’en doute longtemps et on en a la confirmation quand il le dit lui-même face à Neiman, simplement un enseignant qui cherche à tirer le meilleur de ses élèves et qui sait qu’il ne les obtiendra que par la violence. C’est pour cette raison que, longtemps, il est difficile d’aimer ce personnage agressif mais, finalement, amoureux du jazz.
Outre quelques scènes fortes qui marquent dès la bande-annonce, Whiplash présente donc un duel psychologique et physique insoutenable, bien plus complexe que peut le laisser penser cette même bande-annonce. L’angoisse reste présente dès son apparition, très vite dans le film. La façon de filmer Fletcher, du bas vers le haut, montre le point de vue de l’élève, soumis à son professeur. Inversement, le regard porté par le professeur sur l’élève est clairement autoritaire. Ce duel et le revirement opéré grâce notamment aux plans très rapprochés de Chazelle rendent ce film déjà culte, en font un classique des films musicaux. Une réussite de bout en bout, et la découverte d’un réalisateur qui s’est offert toutes les cartes pour un bel avenir.