Le long-métrage de Damien Chazelle est un affrontement de tous les instants. Affrontement des polaires, dans un acte qui n'a rien à envier aux plus virulents récits militaires : ordre, discipline, et par-dessus, rythme. Le parti pris est d'autant plus intéressant que ces guerres prennent place avec le Jazz en toile de fond, musique méthodiste et rigoureuse s'il en est. On retiendra surtout du film le duel entre Andrew et Fletcher, mais c'est avant tout la bataille d'hommes face à la déité tempo qui rend cette épopée si haletante. Garder le cap et retomber coûte que coûte sur ses pattes.
Pas besoin d'être un expert dans le domaine pour y prendre son pied, même si bien sûr cela aidera à apprécier la justesse de jeu des acteurs, des musiciens, et plus généralement des deux en même temps. Whiplash est un film musical au sens premier du terme, puisque tout y est construit au diapason du thème abordé : aidé par une photographie à la beauté indéniable ainsi qu'une mise en scène obsessionnelle et fétichiste, le montage, lancé à une allure de métronome fou, porte le long-métrage sur ses épaules. Chaque séquence est l'occasion d'appuyer l'acte musical comme un acte guerrier ; on tend ses peaux, détend ses épaules, ajuste sa sangle, vidange ses valves. Ceci est mon instrument. Il y en a d'autres comme celui-ci, mais celui-ci est le mien. Je ne suis rien sans mon instrument ; mon instrument n'est rien sans moi. Le véritable antagoniste du film, c'est cette batterie. Gardienne farouche du rythme, elle ne se laisse pas dompter et rend au centuple, coup pour coup, croche pour croche, elle respire, elle suinte, elle saigne, elle hurle, et je pense qu'il est aisé d'avancer qu'aucun cinéaste ne l'a jamais aussi magistralement filmée auparavant. Sur un plan plus général, l'idée que Chazelle puisse époustoufler avec des instruments de musique là où d'autres mettent en avant des instruments de mort a là encore quelque chose de jubilatoire.
Au milieu de cette guerre pacifiste se dessine l'affrontement entre deux personnalités, Neiman d'un côté, Miles Teller épatant, confirmant son talent de jeune comédien à suivre et de batteur pour le moins doué (très peu de séquences de jeu sont "trichées"), et Fletcher de l'autre, J.K. Simmons impeccable comme à son habitude, sublimant ici son rôle de drill sergeant intransigeant, impitoyable, mais connard avant tout, donnant toutes leurs lettres de noblesse aux jurons les plus fleuris. Autour de ce duel aux allures épiques de Shônen, les autres acteurs cessent purement et simplement d'exister.
Au final, si le message délivré par le film reste très convenu (souffrance, persévérance, dépassement de soi), c'est complètement éberlué que l'on ressort de cette séquence finale, point culminant d'une implacable montée en puissance ; à l'instar d'un Gravity, on s'agrippe à son siège, on retient sa respiration, on bouge de la tête au rythme des différents pêches lancées tels des feux d'artifice. Bref, on se sent vivant. Moralement, on navigue en eaux troubles, mais difficile de ne pas rester bouche bée, applaudissant des mains et des fesses face à cet obscène étalage de puissance mélodique. Une histoire de coeur, et donc de jazz, et donc de technique : photographie, montage et mise en scène, les trois instruments indispensables du cinéaste, ici élevés au rang suprême. C'est pour ce genre de miracle que l'on se donne (encore) la peine d'aller au cinéma, en club de jazz, en concerts... C'est le bon coup de grosse caisse au cul pour nous faire bondir et rebondir.