Lorsqu’Andrew Neiman, un jeune talent de la batterie intègre le Shaffer Conservatory, l’école de musique la plus réputée du pays, il n’a qu’une idée en tête : devenir le nouveau Buddy Rich. Pour cela il doit attirer l’attention de Terence Fletcher, le professeur du seul Jazz Band qui lui permettrait d’atteindre ses objectifs. Fletcher, c’est le genre de professeur qui fait accélérer le rythme cardiaque de l’élève à qui il parle un peu plus vite à chaque mot prononcé, on en a tous eu un, du moins un qui s’en approche.
Son attention, Neiman va l’attirer une première fois lors de la scène d’introduction.
Une caisse claire raisonne lentement, puis la cadence augmente jusqu’à ce que le spectateur soit collé à son siège, et le film peut commencer. Neiman s’entraîne seul dans une salle sombre, nous le voyons de loin et la caméra s’avance dans l’ombre. Quelque chose s’approche de lui sans qu’il le remarque. Nous sommes en fait à la place de Fletcher qui interrompt le jeune batteur.
Le film vient de commencer que J.K Simmons en impose dès les premières secondes; une prestance, des habits noirs et un regard intimidant qui ne lâche pas Neiman, il est à la fois élégant et terrifiant. C’est une scène qui pourrait résumer le personnage de Fletcher à elle seule. Alors que Neiman tente d’être à la hauteur du professeur pour lequel il joue, les yeux baissés, concentré sur sa performance, la porte claque. Fletcher vient de partir, comme un signe de déception par rapport à ce qu’il vient d’entendre et démoralisant le temps de quelques secondes le jeune étudiant. Le temps de quelques secondes car Fletcher revient, déclarant avec plaisanterie qu’il a simplement oublié sa veste, repartant aussitôt. Cela confirmant l’amertume que ressent Neiman.
Tous les éléments de la manière qu’à Fletcher de travailler sont là ; une insatisfaction quasi-permanente, des petites notes d’humour noir et une demande permanente de continuer, d’aller encore et toujours plus loin. Les prémices d’une torture psychologique qu’il va infliger à Neiman tout le long du film, un tourment qui vient de commencer mais dont Neiman n’a pas encore la moindre idée. Vous me ferez remarquer que non, tous les éléments qui font de Fletcher ce qu’il est ne sont pas représentés lors de cette scène d’introduction, il manque en effet les cris, la violence et la peur mais cela, Fletcher le réserve pour plus tard.
Une scène d’introduction qui en plus de résumer à la fois le personnage de Fletcher, résume aussi celui de Neiman, prêt à tout pour réussir, obéissant aux ordres de son professeur tête baissée. Au final, une scène d’introduction qui résume le film à venir, une scène de relation entre professeur et élève destructrice que l’on retrouvera jusqu’à la scène finale.
Plus tard, alors qu’il officie comme tous les jours en tant que second batteur du petit groupe auquel il appartient dans son école, Neiman est surpris ainsi que le reste de la classe de voir débarquer Fletcher en plein cours. Tous les élèves le savent, il vient choisir les possibles nouveaux membres de son Jazz Band. A ce moment-là il sait déjà qu’il va prendre Neiman mais il ne doit rien faire transparaître. Lorsque Neiman est sélectionné (à la grande surprise du reste de la classe), Fletcher lui indique de venir le lendemain matin dans sa salle, 6 heures pétantes. Il se réveille en retard et découvre à son arrivée après avoir couru, une salle vide : la classe commence en réalité à 9 heures. En apparence un petit bizutage sans importance mais en réalité un autre exemple des méthodes de Fletcher.
Les élèves arrivent, discutent, rigolent, se préparent, mais dès que le professeur arrive le climat change. Ils sont terrorisés et au garde à vous. La musique commence, Neiman tourne les pages du batteur du groupe et assiste avec les autres à l’expulsion violente du quatrième trombone car ce dernier pensait jouer faux, impardonnable pour Fletcher.
Vient une pause de 10 minutes, les dix dernières avant le premier passage de Neiman. Fletcher l’interpelle, le met en confiance, le rassure mais lors du passage en question, Neiman enchaîne petites erreurs sur petites erreurs, provoquant la fureur de Fletcher qui lui jette une chaise avant de le violenter verbalement puis physiquement. La tension qui se dégage lors de cette séquence est palpable et à partir de ce moment, Neiman va commencer à s’exercer le plus durement possible afin d’atteindre ses objectifs, et la satisfaction de Fletcher en est la première étape.
Lorsque le jeune homme sera face caméra, tout ce qu’il y aura autour de lui sera flou pour montrer son engagement sans faille et son détachement vis-à-vis du reste.
Quant à Fletcher, il va harceler Neiman et ses deux concurrents pour la place de batteur du groupe encore et encore, les faisant travailler des heures sur un simple passage, provoquant entre les trois étudiants une atmosphère pesante de compétition acharnée. Neiman va quitter sa copine car elle pourrait l’empêcher d’atteindre son but et va devenir de plus en plus froid avec sa famille.
Miles Teller qui interprète le jeune homme est incroyable de justesse, dans l’évolution du personnage et dans sa destruction. Une destruction qui atteint son point d’orgue lorsque Neiman, prêt à tout pour garder la position qu’il a durement obtenu, débarque à une compétition après avoir été victime d’un accident de voiture. Sonné, en sang, il ne peut plus jouer aussi bien et Fletcher lui annonce qu’il est fini. Neiman est à bout, l’attaque sur scène et est viré de Shaffer.
A ce moment-là, Fletcher est un personnage détestable mais qui reste humain aux yeux du spectateur. En effet lors du cours d'avant, il a fait écouter à ses élèves un magnifique morceau en début de cours et sur la trompette mélancolique qui résonnait il a versé quelques larmes, expliquant que ce morceau était de l’un de ses anciens élèves qui dit-il, est mort dans un accident de voiture et qu’il vient d’apprendre la nouvelle. Une humanité remise en question par la révélation qui suit le burnout d’Andrew : Sean Casey, l’ancien élève de Fletcher, s’est pendu un mois plus tôt à cause de la pression de Fletcher. Neiman accepte de témoigner anonymement pour les avocats des parents de Sean et Fletcher est renvoyé de Shaffer.
Quelques mois plus tard, alors qu’il marche dans les rues de New-York, Neiman s’arrête dans un bar où il a vu que son ancien professeur se produit sur scène. Ce dernier le remarque et l’invite à boire un verre.
Fletcher explique à son ancien élève pourquoi il a fait ce qu’il a fait, que c’était nécessaire, que sans ces méthodes on privait le monde du prochain Louis Armstrong ou du prochain Charlie Parker, et que même si il n’a jamais eu de Charlie Parker dans son Band, il aura essayé de toutes ses forces. Avant de s’en aller, Fletcher indique à Neiman qu’il reste une place de batteur dans un groupe qu’il va diriger à l’ouverture du JVC festival composé de professionnels du Jazz, une occasion unique, celle d’une vie.
Neiman décide d’y aller, il tente d’inviter son ex mais elle lui annonce qu’elle a quelqu’un. Neiman se retrouve donc seul avec sa musique.
Il monte sur scène dans ce qui va être une séquence finale d’anthologie.
Alors qu’il s’apprête à jouer, la partition de "Whiplash" à côté de lui (le même morceau qu’il avait joué lorsqu'il avait failli se prendre une chaise en pleine figure durant le premier cours), Fletcher lui dit qu’il sait ce qu’il a fait avant de s’avancer vers les spectateurs, leur annonçant que le groupe va commencer avec quelque chose de nouveau. Neiman est pris au piège, aucun des autres membres du groupe n’a sa partition.
Dès le moment où Fletcher lui parle notre rythme cardiaque s’accélère pour la millième fois alors que l’on regarde le film. Il n’y a plus de musique qui tienne, Fletcher se venge purement et simplement. Neiman, comme prévu, gâche le morceau et sort honteusement de la scène, son père le prenant dans ses bras pour le réconforter et Fletcher cachant à peine son sourire.
Mais à ce moment-là, les paroles de Fletcher au bar reviennent à Neiman. En effet Neiman lui avait demandé si au final il n’était pas allé trop loin, si en faisant cela il ne découragerait pas le nouveau Charlie Parker, ce à quoi Fletcher répondit que le nouveau Charlie Parker ne serait jamais découragé.
Neiman quitte son père qui ne comprend pas et retourne sur scène pour jouer "Caravan", le morceau qu’il n’avait pas pu jouer après son accident. Il surprend le groupe, le public mais surtout Fletcher qui pensait en avoir fini avec lui.
Le groupe suit le jeune homme et Fletcher finit par entrer dans la danse. La performance de Neiman est parfaite mais lorsque le morceau se termine et que les lumières s’éteignent, la batterie continue de raisonner dans la salle, il vient de commencer son solo. Comme Charlie Parker qui à 16 ans avait failli se prendre une cymbale de la part de Jo Jones sur scène mais qui était revenu un an après pour livrer un solo de légende, Neiman, après s’être fait jeter une chaise par Fletcher, revient face à lui.
Cette fois il n’y a plus de vengeance qui tienne. Fletcher assiste à la montée de son Charlie Parker alors que le père de Neiman, assiste avec impuissance à la disparition de son fils qu’il ne reconnait plus, lui qui s’offre à la musique et à Fletcher.
Lors de ce solo il n’y a que la musique, la sueur et le sang. Le travail du cadrage et du montage est ahurissant, on ne peut pendant ce dernier quart d’heure de film que trembler et trembler encore.
Neiman termine son solo et avant sa conclusion, laisse planer un silence et regarde Fletcher dans les yeux. Ca y est, il le sait et Fletcher aussi : il est le nouveau Charlie Parker. Ce que lui disait Fletcher au début du film «Tu es ici pour une raison.» se confirme.
Fletcher lui, a gagné car il vient de montrer que son travail a porté ses fruits. Il a torturé Neiman, l’a frappé, l’a insulté, l’a harcelé mais au final cela a fonctionné. Il n’a pas fait ça pour son ego, s’il l’a fait c’est pour le monde entier, pour le Jazz. La question que pose le film finalement est sur les limites de l’éducation, jusqu’où peut-on aller, où se trouve la limite ? Car peut-être que Fletcher a été violent au point que l’un de ses élèves se suicide, mais sans cela il aurait privé le monde du prochain grand musicien du Jazz du siècle.
Fletcher n’est pas un personnage sans cœur, la mort de Sean Casey l’affecte énormément mais il continue jusqu’à ce qu’il atteigne son objectif.
Lors de ce regard silencieux entre les deux personnages, Fletcher parle à Neiman qui sourit, lui disant possiblement «Good Job.», les deux mots les plus nocifs de la langue anglaise selon lui. Ici il les prononce car Neiman le mérite. Neiman va faire partie des plus grands et il a lui aussi atteint son objectif. Il aura ruiné ses relations avec ses proches, se sera tué à la tâche mais il aura réussi.
Il conclut son solo et c’est sur cette scène que se termine ce p*tain de film.
Une scène à la superbe photographie, aux performances incroyables, à la réalisation excellente et à l’ambiance unique.
Chapeau !