Wicked
6.5
Wicked

Film de Jon M. Chu (2024)

Inspirée de la célèbre comédie musicale de Broadway, l’adaptation cinématographique de Wicked par Jon M. Chu est bien plus qu’un simple spectacle visuel. C’est une fresque magistrale, où la magie et la musique servent une intrigue complexe et profondément ancrée dans des thématiques sociales et politiques. En revisitant l’univers du Magicien d’Oz, Chu réussit à offrir une œuvre riche et audacieuse, portée par des performances inoubliables et une vision artistique audacieuse.


L’histoire de Wicked ne se contente pas de raconter une rivalité entre deux jeunes femmes aux destins opposés. C’est une réflexion poignante sur les notions de pouvoir, de marginalité et d’identité. La relation entre Elphaba et Glinda, magnifiquement incarnées par Cynthia Erivo et Ariana Grande, transcende les clichés habituels pour explorer des thématiques universelles : la lutte contre les préjugés, le prix de l’ambition et les sacrifices imposés par une société injuste. Elphaba, perçue comme "l’autre", devient une figure tragique et héroïque à travers laquelle le spectateur est amené à réfléchir sur l’exclusion et la peur de la différence. À l’opposé, Glinda, plus complexe qu’elle n’en a l’air, incarne une satire mordante de l’obsession de l’image et du conformisme.


Le scénario, en apparence simple, dévoile peu à peu une profondeur inattendue, mêlant drame personnel et satire sociale acérée. En arrière-plan, la manipulation politique orchestrée par le Magicien et son régime oppressif agit comme un miroir glaçant de nos propres réalités. L’oppression des Animaux, traitée avec une subtilité remarquable, illustre les mécanismes de marginalisation et de déshumanisation. Cette intrigue parallèle, tout en métaphores, renforce la portée politique du film, tout en rappelant que les contes, lorsqu’ils sont bien racontés, peuvent être de puissants outils de critique sociale.


Les moments de légèreté, souvent portés par Glinda, contrastent avec cette noirceur et permettent au film de maintenir un équilibre délicat. Mais même ces instants d’humour cachent une satire incisive, notamment dans les scènes de la cafétéria. Cette séquence, qui pourrait sembler anodine, devient un tableau chorégraphié d’une société hiérarchisée, où les alliances se forment et se brisent en fonction des apparences et des privilèges. La bibliothèque, autre décor clé, offre une chorégraphie plus intimiste mais tout aussi marquante, où chaque mouvement semble chargé de tension dramatique.


Visuellement, le film est un triomphe, malgré quelques maladresses. Les décors réels, d’une richesse époustouflante, insufflent une vie palpable à cet univers. Les forêts, les champs dorés et les villages regorgent de détails minutieux qui enchantent à chaque plan. Cependant, le voile lumineux qui enveloppe certaines scènes reste un défaut notable. Ce choix d’éclairage, trop froid et artificiel, atténue la profondeur et l’éclat des couleurs, notamment dans des moments clés comme ceux de la Cité des Émeraudes. Ce problème technique ne gâche pas l’expérience, mais il limite parfois l’impact visuel du film.


Musicalement, Wicked est une réussite totale. Les performances vocales d’Ariana Grande et Cynthia Erivo sont époustouflantes, donnant vie à des chansons qui résonnent bien au-delà de l’écran. Ariana, en particulier, est une révélation : sa voix cristalline et son jeu subtil captivent à chaque instant. Cynthia, de son côté, insuffle une gravité et une intensité qui équilibrent magnifiquement l’énergie d’Ariana. Leurs duos sont des sommets d’émotion, où la musique transcende les mots pour toucher directement le cœur du spectateur.


Le personnage de Prince Fiyero, quant à lui, enrichit cette fresque avec une complexité inattendue. Son insouciance apparente cache une ambiguïté fascinante, et son énergie pansexuelle modernise le rôle. Mais ce sont Nessarose et Boq qui intriguent particulièrement. Leurs arcs, à peine esquissés ici, promettent des développements tragiques et captivants, ancrés dans des dilemmes humains profonds.


En somme, Wicked est bien plus qu’un spectacle enchanteur. C’est une œuvre intelligente et ambitieuse, où chaque détail – des chorégraphies grandioses aux nuances des personnages – sert une intrigue complexe et pertinente. Jon M. Chu réussit à capturer l’essence de la comédie musicale tout en y apportant une résonance moderne, à la fois émotionnelle et politique. Malgré quelques imperfections techniques, ce film est une expérience inoubliable, à voir pour son ambition, sa musique et sa capacité à émerveiller tout en nous faisant réfléchir sur nos propres sociétés.

EstelleJouandet
9
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le 9 janv. 2025

Critique lue 26 fois

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