C'est bath Mann
Un Anthony Mann avec James Stewart, rien de plus classique. Sauf que le personnage principal est une winchester 73. Carabine à 15 coups, surnommée "the gun that won the west », elle attire à elle...
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le 26 janv. 2011
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Vous n’avez jamais vu de Western et vous souhaitez découvrir le genre ? Ce film d’Anthony Mann est fait pour vous. C’est presque un multi-film. Voir ce western équivaut à en voir 50 tant tout ce qui fait le sel du genre s’y retrouve.
Pour faire simple, l'histoire est articulée autour de cette fameuse Winchester 73 qui, au début du film, est le prix d'un concours organisé dans une petite ville. C'est alors l'occasion pour Lin McAdam de retrouver un homme, Dutch Henry Brown, avec qui on comprend vite qu'il a une vieille querelle...
Comme je l'ai dis en préambule, Winchester 73 est une somme de tout ce que le genre du Western a l’habitude de proposer. Pas un thème, pas un topos, pas une figure emblématique ne manque : chasse à l’homme, course poursuite à cheval, révoltes et attaques indiennes, braquage de banque ( et sa planification ), batailles rangées, concours de tir, camaraderie, amitié, maison assiégée, partie de poker sous haute tension, face à face, vieilles querelles enfouies refaisant surface, quête vengeresse, intrigue amoureuse … Oui, il y a tout cela dans un seul et même film. Et le tout est condensé en moins d’1H30 ! Et pourtant, aucune lourdeur n’est à déplorer, ni aucun sentiment d’indigestion. Bien au contraire, tout cela s’enchaîne avec fluidité et efficacité. Évidemment, certains éléments cités ci-dessus ne sont qu’esquissés. Par exemple, si la scène de planification du braque est montrée dans son intégralité, le braquage en tant que tel n’est en revanche qu’à peine aperçu, à l’occasion d’un plan où l'on voit le bandit s’enfuir…
D’ailleurs, bien que le film ait une histoire linéaire et des personnages définis qui la parcourent et la font avancer, le film ressemble à une succession de scénettes juxtaposées. Certes, les séquences sont liées scénaristiquement les unes aux autres, par les personnages, d’abord, et, ensuite ( mais peut-être surtout ? ), par l’arme qui donne son titre au film ( cette dernière passe en effet de main en main et attire différents archétypes classiques de l'Ouest américain ). Mais tout les segments fonctionnent presque en autonomie en cela qu’ils ont chacun leurs propres enjeux, leur propre dynamique, leur propre durée et leur propre rythme. Alors attention, il n’y a pas non plus de rupture franche d’une séquence à l’autre ; c’est toujours une seule et même histoire. Mais il y a tout de même une variété générale importante. Ce qu’il faut comprendre c’est que si quelqu’un arrivait au début d’une des séquences du film, quelle qu’elle soit, il parviendrait à la suivre, à la comprendre et à l’apprécier. Des hommes font face à une attaque d’indiens, un bandit désarmé joue au poker avec un marchand d’armes dans une auberge, une compétition de tire est organisée, des bandits se réfugient dans une maison… Chacune de ces scènes a son unité propre, son début et sa fin ; chacune de ces scènes est en elle-même une petite histoire. Ce qui permet cela c'est qu'à chaque nouvelle séquence on rencontre des personnages secondaires qui ne resteront à l'écran que le temps de ladite séquence. Bref, on pourrait faire un court-métrage avec chacune d'entre elles. Mann montre ici l’étendu de son savoir-faire et donne une vraie leçon de cinéma. Il a une capacité à disposer rapidement et efficacement tout les enjeux ; en un rien de temps, tout est mis en place. C’est vraiment admirable.
Pour couronner le tout, le film a une photographie tout à fait splendide. Le noir et blanc est merveilleux et rend justice à la beauté des paysages ensoleillés de l’Ouest américain autant qu’il permet de peindre de somptueux tableaux nocturnes. Ici, le noir et blanc est loin d’apparaître comme lacunaire ou comme inapte à donner aux décors typiques du Western toute leur noblesse, toute leur ampleur et toute leur majesté. Bien au contraire, le noir et blanc est ici un outil de sublimation : il permet de donner aux vallées une blancheur immaculée ou encore de dessiner des silhouettes nocturnes chevauchant au clair du lune… Anthony Mann a compris tout l’intérêt esthétique du noir et blanc et a su en exploiter tout le potentiel. Il prouve aussi son talent dans l’intelligence de sa sa mise en scène, qui est très inspirée : les mouvements de caméra sont fluides, l’action est lisible ( qu’elle soit explosive et courte ou qu’elle s’inscrive dans la durée ), la composition des plans est méticuleuse, la disposition des corps et des éléments à l’écran est toujours bien pensée ( entre autres à l’occasion de jeux particulièrement réussis sur la profondeur de champs et sur la perspective ) tout comme le cadrage, il y a également, et surtout à la fin, de nombreux jeux sur la verticalité… En somme, Anthony Mann fait montre avec ce film de toute sa virtuosité. Sa mise en scène est, d’un côté, simple, car elle n’est, ni ostentatoire, ni tape-à-l’œil, et, d’un autre côté, sophistiquée, car elle est astucieuse, habile et diversifiée.
Il y a plusieurs scènes vraiment bonnes dans le film. J'ai déjà parlé de la scène dans l'auberge, qui est une très bonne scène de tension ( ça m'a fait penser à du Tarantino ). Mais il y a aussi le duel final sur le rocher. C'est une magnifique scène d'affrontement dans laquelle le cadrage, intelligemment pensé, permet toujours d'avoir les deux protagonistes dans le champ, et dans laquelle le son des balles qui fusent, des impacts et des ricochets est un vrai délice pour les oreilles.
Ce que j'ai aussi trouvé très appréciable c'est qu'il y plusieurs éléments surprenants dans ce film, plusieurs petites touches d'originalité. Par exemple, il y a cette fameuse scène dont j'ai parlé ci-dessus, dans laquelle le hors-la-loi Dutch Henry Brown va dans une auberge où se trouve un marchand d'armes qui joue aux cartes. La tension monte vite et on s'imagine alors qu'on va avoir droit à une scène classique dans laquelle on découvre la dangerosité du bandit ( un peu comme dans Le bon, la brute et le truand ). Mais finalement pas du tout. Le joueur de carte, très serein, est loin d'être intimidé, et il renvoie même le pauvre Dutch la queue entre les jambes, après l'avoir battu au poker, pris sa Winchester et avoir dégainé plus vite que lui… La classe. Aussi, dès le début du film, on se retrouve dans une ville sans armes, en raison d'une politique locale imposée par le Shérif. Suite à quoi est rapidement désamorcé un potentiel duel de saloon, puisque les deux ennemis n'ont pas leur revolver à la ceinture. Bref, on sent que Mann s'amuse à jouer avec les codes.
Anthony Mann sait également alterner entre les ambiances, passant d’une tonalité joviale qui ouvre le film à un ressort plus tragique à mesure que se précisent les tenants et les aboutissants de la vendetta à venir. Winchester 73 est, de surcroît, porté par des personnages tous réussis ; ils ont tous, grâce aux talentueux comédiens qui les incarnent, une présence réelle à l’écran, que leur apparition soit courte ou non. Mention spéciale au marchand d’arme qui joue aux cartes, tout en sérénité et en nonchalance, et qui donne une leçon au brigand, et mention spéciale également au bandit Waco, qui remplit bien son rôle de hors-la-loi quelque peu fêlé…Mais, de toute façon, tout les personnages secondaires sont bons. James Stewart, de son côté, joue bien son rôle d’homme hanté par son passé.
Bref, Winchester 73 est une leçon de cinéma absolue qui rendrait jaloux n’importe quel metteur en scène. Réussir à faire quelque chose d’aussi riche, d’aussi dense et, en même temps, d’aussi fluide, d’aussi simple et d’aussi léger, en 1H30 seulement, c’est tout simplement prodigieux.
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Créée
le 7 août 2022
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