Dans Saloir & Lula, le moins que l'on puisse dire c'est que Lynch s'est fait plaisir. Il a usé de toutes les cordes à son arc et a exploité toutes les couleurs de sa palette. Il y a, dans ce film, une concentration explosive de tout ce qu'il sait faire.
Vrai feu d'artifice cinématographique, cavalcade effrénée et furieuse, bourrasque déchaînée et libre ; Saloir & Lula est une œuvre profondément jouissive à regarder, galvanisante à chaque instant. Ici, Lynch fait un bouquet de tout ce en quoi il excelle : étrangeté, perversité, inconfort, mystère, glauquerie mais aussi tendresse, amour, douceur, musique, joie et innocente beauté. Il alterne en permanence entre les tons, passant de l'un à l'autre sans nous prendre par la main, assumant la radicalité de la démarche, il se permet tout et crée un ensemble qui parvient, par miracle, à sembler cohérent et uni alors même que, de toute évidence, rien ne l'est.
De plus, Lynch nous offre ici une galerie de personnages absolument géniale, brillamment interprétée et dans laquelle chacun déborde de charisme. La mère est superbe en folle hystérique ( dont le vice est terrifiant en cela qu'il est incompréhensible), Santos dégage quant à lui une aura parfaite dans sa figure de tueur classe et que dire de Bobby Perou, inoubliable déjanté qui crève l'écran à chaque apparition. Evidemment, les deux personnages principaux portent le film avec aisance ; Nicolas Cage campe ici un Sailor qu'on prend plaisir à suivre du début à la fin et Laura Dern excelle dans son rôle de Lula, adorable de bout en bout. Lynch prouve ici qu'il n'est pas en reste lorsqu'il s'agit de filmer des personnages extravagants. De plus il les insère dans un univers diablement obscur et génialement mystérieux, dégoulinant de perversité et de vilénie.
Mais ce que l'on retient finalement du film, c'est cette belle aventure amoureuse, c'est cette course acharnée et cette fuite romantique, c'est ce couple poursuivi de part en part mais qui ne lâche rien, bien décidé à trouver un bonheur qu'on voudrait leur refuser. Au cours de cette aventure, Lynch varie les tons avec virtuosité et alterne entre le glauque et le drôle, entre le triste et le joyeux, entre l'inconfort ou le malaise et la beauté d'une relation fusionnelle et sincère. Mention spéciale à la scène de l'accident de voiture et à la mort de l'inconnue, moment d'une beauté tragique égaré dans le film ( littéralement sur le côté de la route ).
Il s'agit donc d'un film débordant d'énergie, de sincérité, d'émotions et d'étrangeté. c'est un film sans queue ni tête et pourtant curieusement harmonieux. C'est une odyssée baroque, criante et bruyante, c'est du cinéma, du vrai ; en somme, c'est grandiose.