Par bien des aspects, ce film fait penser à The Revenant : tragédie familiale dans le nord, métissage états-unien/indigène américain, recherche d'une vengeance. Pourtant, il ne laisse pas vraiment la même impression. Quand Di Caprio nous fait serrer les dents de douleur et d'empathie, on reste ici plutôt de marbre. Jeremy Renner incarne un chasseur, le père qu'il était (et qu'il est toujours pour son fils) est anesthésié par le grand froid et le temps écoulé depuis la mort de sa fille, ainsi que par une souffrance sourde liée à la perte et à l'absence d'explication quant à cette disparition.
Un double élément ajoute au fait que les personnages nous paraissent lointains : le film les noie d'une part dans une enquête qui s'annonce compliquée (conditions météorologiques, vastitude et hostilité du territoire, déficit de personnel, etc.), d'autre part dans un espace hostile, un territoire qu'on nous propose de contempler. Le titre du film, c'est Wind River, pas La disparition de Wind River, ni même Qu'est-ce qui s'est donc bien passé du côté de Wind River ?, encore moins Wind River : PRANK -> GONE WRONG. C'est donc à quelque chose qui dépasse les simples personnages, les humains, qu'on a affaire, à une nature presque vengeresse qui récupère la vie quand elle le veut.
Et c'est vraiment la nature (ou appelez ça comme vous voulez), pas seulement une mémoire indigène qui châtie une profanation (coucou Shining), qui semble ici souveraine. Par bien des aspects le rapport de l'homme à son environnement est celui d'un affrontement (Jeremy Renner est un chasseur, mandaté pour surveiller une réserve, en l'occurrence il est censé abattre des pumas qui en menacent l'équilibre). Connaître cette nature n'est ni facile ni rapide, se l'approprier impossible. C'est la raison pour laquelle Jane Banner (Elizabeth Olsen, pour une fois que les jumelles ne s'en mêlent pas), envoyée du FBI, est complètement démunie dans ce monde qu'elle ne connaît pas : elle arrive comme une touriste, en petite chemise au milieu du blizzard. Elle incarne une autorité fédérale limitée dans cette marge du territoire qui ne reconnaît bien souvent que sa propre loi.
Le problème, c'est qu'on a l'impression que tout est enfoui sous 40 cm de neige : les sentiments sont refoulés (en tous cas une bonne partie du film), le côté Nat Geo Wild n'est pas si saisissant (passés les premiers "ouah, c'est blanc, c'est beau", on est plutôt sur de la motoneige), l'enquête avance de manière heurtée, sans réel plot-twist. Le comportement des personnages est parfois assez étrange. Comme si on voulait nous faire comprendre que là-bas, tout est neuf et tout est sauvage, libre continent sans grillage, et que nos schémas ne s'appliquent pas. Mais c'est souvent maladroit : à plusieurs reprises, certaines décisions ou réactions nous paraissent incohérentes. Alors oui, c'est peut-être parce qu'ils sont engourdis par le froid. Mais nous non, et on se pose des questions qu'on ne devrait pas se poser.
Malgré tout, les personnages demeurent humains, et, comme l'a souligné dans une chronique assez récente le bon vieux Fossoyeur, les incohérences, la vie en est blindée. Il ne faut pas juger un film uniquement à cela (à moins que ça nous fasse complètement décrocher de l'intrigue). Cory Lambert (Jeremy Renner) est assez attachant, prétend avoir accepté sa souffrance, mais ne cesse de retenir ses larmes, comme pour les déverser au moment réellement opportun, celui qui le libérera.
Moment qui n'arrive jamais, comme parfois dans la vraie vie.
Le fait de le voir confectionner son matériel pour la traque constitue aussi un des rares éléments d'implication et de dévoilement de ce monde qui répugne à se laisser dompter, sauf à coup de fusil. Le chef de la police tribale a également un rôle assez attachant, plus empathique que les autres. La violence se veut crue, soudaine, violente quoi. Mais au lieu d'un écho retentissant et glaçant, rompant le silence, c'est plutôt un effet ouate que produisent les coups de feu au milieu de cette neige.
En conclusion, on pourrait dire que le puma, qui n'est d'ailleurs pas un lion (comme on veut bien nous le faire croire), est moins un loup pour l'homme que l'homme n'est un loup pour lui-même, voire un homme pour les loups qui ne sont en fait que des loups, voire des pumas. Et pas des lions. Ni les indigènes des loups-garous.