Une accusation (qui ne date pas d'aujourd'hui) et d'un coup on se met à penser que ce film est le dernier que l'on verra sortir sur grand écran. Enfin le dernier de Woody Allen. Bien qu'il ait tourné le prochain qui est programmé pour fin 2018, cela n'empêche pas de voir le petit monde du cinéma se détourner du réalisateur. Même si pendant 25 ans cela n'a dérangé personne. Mais ce qui est intéressant ici, ce n'est pas de savoir si Woody est coupable ou non, ni même de savoir qui retourne sa veste. Non ce qui est intéressant c'est de savoir ce que vaut la potentielle oeuvre ultime de ce monument du cinéma.


Depuis Blue Jasmine, Woody a sorti des films plutôt bons mais sans être pour autant transcendants. Cafe society marquait cependant un renouveau technique chez le réalisateur qui apportait un peu de fraîcheur à son film. Mais si je suis honnête, mon appréciation de ses derniers films était due essentiellement au fait que Woody fait partie de mes réalisateurs préférés et non parce que les films étaient vraiment bons. Cependant la bande-annonce de Wonder Wheel m'avait intrigué. Tient ce film la à l'air très différent de ce qu'il fait depuis 2010, m'étais-je dit. Et quelle surprise le film a été.


Le film tourne autour de 4 personnages (voire 5 mais je reviendrais la dessus après). Mickey (Justin Timberlake) est un surveillant de plage à Coney island et rêve de devenir un grand auteur de théâtre. Il devient l'amant de Ginny (Kate Winslet) qui est serveuse et rêvait de devenir une grande actrice. Elle est mariée à Humpty (James Belushi) qui a vu sa fille partir avec un gangster après la mort de sa première femme. Tout ce petit monde va être bouleversé lorsque Carolina (Juno Temple), la fille de Humpty, décide de revenir à Coney island car elle est recherchée par la mafia et son mari sur lequel elle détient des informations très compromettantes.


Je n'en dis pas plus car si vous êtes habitués à Woody Allen, vous devez certainement voir quelle trajectoire va prendre le scénario, et si non vous n'en serez que plus surpris par certains retournements de situation. Et c'est bien le scénario qui est le moins bon aspect du film. Non pas qu'il soit mauvais ou mal écrit, mais étant à presque un film par an depuis 1966, il faut bien avouer que les histoires de Woody peinent à surprendre ou à avoir le même effets que les premières que l'on découvre. C'est un scénario qui synthétise la narration, les thématiques et les personnages qui sont chers au cinéaste.


Ce qui surprend c'est le reste. Car la collaboration Woody/Amazon studios semble le pousser à se renouveler dans sa mise en scène. Cafe Society était déjà marqué par se renouvellement avec un passage au numérique. C'est aussi une série, Crisis in six scenes, ou le réalisateur semble expérimenter certains mouvements de caméras et quelques effets spéciaux afin de reconstituer les années 60. Et donc aujourd'hui Wonder Wheel. Si Woody a toujours accordé de l'importance à l'esthétique de ses films, il l'a rarement traduit de cette manière. Jeux de lumières (merci à Vittorio Storaro qui semble combler Woody Allen apres Darius Khondji), machinerie, effets spéciaux, sound design et j'en passe, sont des outils que woody allen va utiliser dans ce film. Et tout ça en pure adéquation avec son histoire. Tout est fait pour donner une sensation de théâtre (pas au sens péjoratif qu'il peut avoir au cinéma). Car l'histoire nous est contée par Mickey qui brise de nombreuses fois le quatrième mur. Et ce dernier veut devenir dramaturge. On a cette impression que le film est le résultat d'une création mentale d'une pièce de théâtre. Comme si ce que l'on voit est le résultat d'une pièce écrite par Mickey qui s'inspire de sa vie. Les lumières sont très artificielles et ne sont pas là pour apporter du réalisme. Elles sont ici pour décrire les sentiments des personnages (on notera la scène d 'anniversaire où Ginny et Carolina discute dans une chambre), mais aussi pour simplement indiquer ce qu'est le personnage. Ainsi on verra Ginny dans des teintes chaudes et orangées car elle brûle de passion pour Mickey et vit constamment dans ses rêves, alors que Carolina qui a vécu de nombreuses expériences pour son jeune âge va se retrouver dans des teintes bleutées soulignant sa maturité naissante et sa vision réaliste du monde. Ainsi on se retrouve souvent avec des scènes où la lumière ne correspond pas forcément au moment de la journée, au temps ou même à l'angle qu'elle devrait avoir. Et ce procédé rappelle une mise en scène très théâtrale qui donne une photographie magnifique.


Mais la plus grande force du film est le déplacement de la caméra. A tous les fans de plans séquences vous allez être servis. Dans ce film on assiste à de superbes chorégraphies entre la caméra et les acteurs. Woody allen contrairement à ce que certains pensent aime les mouvements de caméra. C'est juste qu'il a rarement élaboré des mouvements aussi complexes. Il obtient alors encore une fois une atmosphère théâtrale grâce aux plans séquences. Mais la caméra lui permet de montrer l'évolution des dialogues. Ainsi les rapports de force entre les personnages sont renforcés, les tensions décuplées et les intentions subtilement dévoilées. La caméra bouge créant des nouveaux cadres montrant l'état des liens entre les personnages, elle impose le rythme que les acteurs suivent et leurs impose des déplacements qui font souvent sens. Woody s'amuse en plus à jouer avec différents optiques, à jouer avec la vitesse des plans (accélérant ou ralentissant au montage certains mouvements de caméras pour renforcer la "violence" ou tension de certaines scènes),à faire durer des plans pour nous tromper, à jouer avec le montage pour rendre certains champs contre champs très significatifs. Le grand Woody retrouve l'inventivité qui l'a longtemps caractérisé. Cela fait très longtemps qu'il n'avait pas été autant inspiré dans sa mise en scène.


Cela fait très longtemps aussi que les acteurs n'avaient pas aussi bien joué pour Woody Allen. Tous remarquables et jouant leurs rôles à la perfection. Kate Winslet est peut-être celle qui sort du lot. Intense et émouvante, elle donne une grande profondeur à son personnage dont on comprend ses motivations et ses déceptions. Juno Temple est sublime comme toujours mais elle est surtout très juste dans son jeu. James Belushi est incroyable et connait une renaissance grâce à la saison 3 de Twin peaks et Wonder Wheel. Il incarne parfaitement ce papa poule colérique, alcoolique et contradictoire. Et Justin Timberlake qui à un rôle sur mesure n'a pas besoin de livrer des efforts incroyable pour être convaincant. On a aussi des mafieux plus que crédibles puisque Woody est allé chercher Paulie et Bobby des Soprano. Mais ce n'est pas un secret Woody Allen sait diriger ses acteurs. Un jeu encore une fois un peu théâtral.


Car la est un des enjeux de Wonder Wheel. Le théâtre. Le théâtre de la vie et ses tragédies. Une pièce où le narrateur est le créateur et vit tout comme un personnage de théâtre. Ne cessant de répéter qu'il est peut-être trop romantique et croit au coup de foudre à cause des grandes pièces qu'il a lu. Le film repose sur des personnages qui ne se concentrent pas sur la réalité des situations. Ginny se rêvant à nouveau actrice et libre avec Mickey. Humpty économisant de l'argent pour sa fille et croyant qu'elle ne craint rien. Carolina qui elle décide de vivre, d'oublier, de ne pas s’inquiéter. Le lieu même de l'action, Coney Island, fait penser au théâtre. Avec ses manèges, ses jeux et ses plages faisant penser à des décors de théâtre. Des décors où la joie règne, où tout semble magique et enfantin. Mais qui renferme les pires histoires, les bas instincts et les tromperies comme n'importe où. Un lieu de rêve où finalement aucun ne se réalise pour les personnages. Cela se retrouve dans la musique qui est plutôt joyeuse et entraînante alors que Woody nous montre la face sombre des personnages. Ce qui tranche avec la vision habituelle de cette époque qu'il donnait dans ses précédents films. Ici on n'est plus dans la nostalgie comme il pouvait le montrer dans Radio Days ou Annie Hall lorsque qu'il montre Coney Island. Un retour a la réalité qui était déjà présent dans la fin de Cafe Society. Tout ceci symboliser par ce fameux cinquième personnage qui est le fils de Ginny. Cet enfant pyromane qui contemple les feux qu'il allume. Un enfant grandissant dans un monde d'enfant mais qui pourtant semble habité par quelque chose de très sombre. Personnage rappelant le jeune Alvy Singer dans Annie Hall. Personnage qui disait avoir vécu sous un manège de Coney Island. L'écho est si évident que s'en est même troublant. Car le discours semble avoir changer. Plus réaliste, plus cynique et beaucoup plus sombre. Que voit ce garçon dans ces feux ? Quel sens leurs donner ? Je vous avoue que si je pense saisir l'idée générale je tente encore de déchiffrer cette métaphore.


Un très bon film qui retient l'attention grâce à la mise en scène toute fraîche de Woody Allen mais qui ne surprend pas dans l'histoire à cause des 46 autres films écrits pas le cinéaste. Je conseille vivement ce long métrage qui se rapproche des films au ton plus dramatique du réalisateur. On peut notamment penser à Intérieurs, September ou Match Point ou La rose pourpre du Caire pour ce qui est du décalage entre endroit de rêve et réalité. Un Woody Allen qui se théâtralise, qui affirme ses talents de dialoguiste et qui a su se renouveler pour ce qui est peut-être son dernier tour de piste ou de roue devrais-je dire. Si cela s'arrête on pourra dire qu'il finit sur une très bonne note cinématographique. Car les raisons de l'arrêt sont beaucoup moins bonnes. Une carrière assez symbolique de sa vie. Une carrière qui a commencé dans le burlesque et qui se finit ,peut être, par une tragédie.

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le 4 févr. 2018

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