Les chemins de quatre personnages se croisent dans le parc d’attraction de Coney Island pour un destin commun.
Kate Winslet en guise de sujet moderne
D’emblée, le narrateur nous expose un bref aperçu des drames à venir dans ce paradis que l’on nomme Coney Island. Destination de relaxation favorite des vacanciers, c’est un gigantesque essaim multicolore où tous se ruent pour aller à la plage, tester la grande roue, jouer dans le parc d’attraction. Un paradis vous dis-je, mais seulement en apparence. En grattant les façades un peu trop resplendissantes de cet empire du bonheur on n’y trouve pourtant que du malheur. L’illusion attrayante s’efface alors pour nous faire plonger dans un abîme de douleur d’une abyssale désespérance.
Des quatre personnages principaux, l’âme en peine qui nous émouvra la plus sera sans doute Ginny (Kate Winslet). C’est une quadragénaire dont les rêves de jeunesse ont explosé contre le mur de la vacuité. Ses victoires passées ne sont plus qu’un poison qui coule dans ses veines, noircissant encore davantage le tableau de son existence et lui rappelant constamment les caractéristiques maussades de sa vie : serveuse dans un bar alors qu’elle rêvait de grandeur sur scène, coupable d’adultère d’un précédent mariage, mère d’un enfant pyromane, et épouse d’un mari gras et alcoolique. Aucune vie n’est sans doute plus triste que la sienne alors qu’elle demeure une personne profondément bonne au centre d’un monde superficiel et égoïste.
La noirceur de l’âme humaine
Comme souvent, ce type de récits nous embarque dans une réflexion intime de la conscience humaine. Chez Ginny, difficile d’y voir autre chose qu’une carcasse sans but qui peine à être réanimée au sein d’un quotidien terne. On ne décèle chez elle aucune passion, aucun courage, ni même aucune envie. Elle a depuis longtemps enclenché le pilotage automatique de sa vie. Pour une telle femme dans une telle situation, une solution assez prévisible apparaît comme souvent : faire de l’infidélité une échappatoire.
Vivre à nouveau par l’influence d’une romance cinégénique. C’est un procédé savoureux, car même si l’on ressent aisément les dérives liées à cette erreur gravissime au sein d’un couple marié, l’amourette d’été agit pour Ginny comme une renaissance. Faute de ne pouvoir déjouer son destin morne, elle cède à ses envies les plus folles. La dépression laisse sa place à la joie, le désœuvrement à un esprit créatif, la peur au courage, et voilà qu’elle espère un avenir plus radieux au côté de son prince charmant.
Mais dans cet enfer coloré, c’est en cédant aux tentations qu’elle perdra ses ailes d’ange et deviendra comme tous les autres démons. Un temps suffisamment long fait son œuvre et sème avec aisance les dérapages à venir pour lesquels on prévoit évidemment le pire. La machine malicieuse et infernale fait tourner les rouages essentiels d’un processus qui amènera Ginny à capituler face à la force d’attraction d’un univers qui suinte la laideur par tout un tas de comportements infâmes.
Le spectacle de l’existence
On ressent évidemment la machinerie habituelle de Woody Allen. C’est comme une série d’automatismes plus connus les uns que les autres au sein de sa filmographie : traiter les sentiments de l’amour par la métaphore d’une rose épineuse, le triangle amoureux et ses conséquences, l’ombre d’une menace qui plane au-dessus de chaque joie. C’est une histoire vue cent fois, et pourtant le réalisateur souhaite cette fois-ci développer ses idées à travers une mise en scène nouvelle.
Les références au théâtre sont une partie importance du film, que ce soit par le passé envieux de Ginny ou par le passe-temps de son amant qui souhaite écrire les dialogues d'une pièce. Allen décide alors de calquer la passion des personnages pour ce divertissement sur leurs propres relations. Cette dimension est fortement ressentie lorsque la photo change sa couleur. Avec un grand souci du détail, l’ambiance de la situation aura sa propre couleur pour glorifier encore davantage les dialogues. Chaque sentiment en vient à décupler sa puissance pour un charme encore plus intense, alors que les visages sont comme éclairés par les projecteurs d’une scène de théâtre.
Les personnages eux-mêmes semblent prendre en compte cet aspect et agissent comme s’ils devaient jouer un rôle face à un public, notamment à travers l’écriture des dialogues. Vous constaterez que l’intonation des voix est souvent exagérée comme c’est souvent le cas au théâtre. Une douce manière de conter la froideur de la réalité par le charme éclatant de la dimension théâtrale.
Conclusion
Wonder Wheel est une expérience étrange, un film qui nous plonge au cœur des douleurs de l’âme où chaque spectateur y verra un peu de soi-même. C’est une matière idéale pour analyser les tourments de la conscience humaine : ici une femme à bout de souffle qui respire à nouveau librement en devenant aussi pécheresse que le monde qui l’entoure. Par la direction artistique d’Allen, la réalité et le théâtre deviennent des alliés pour mettre en scène notre monde parfois si moche.
Paradoxalement, le film est assez noir alors qu’il baigne constamment dans la lumière. Car, tout au long de cette tentative de renaissance, nous ne sommes restés que les témoins d’une lente agonie.
En matière d’amour, nous nous révélons tous être notre pire ennemi