Fausses divinités
Avec Apocalypse, Singer décide d’invoquer Apocalypse (tout simplement), de retour dans notre monde après plusieurs siècles d’hibernation, et prêt à en découdre avec l’aide de ses cavaliers, qu’il...
le 18 mai 2016
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Le raz-de-marée superhéroïque de 2016 continue de s’abattre sur le commun des mortels. Après l’immense et par ailleurs inattendu succès de Deadpool, la Fox joue cette fois-ci la carte de la valeur sûr avec X-Men : Apocalypse, sixième film de la saga si l’on exclut les spin-offs consacrés à Wolverine. A la barre : Bryan Singer, qui connaît ses mutants sur le bout des doigts et surtout a déjà prouvé qu’il était d’un talent de metteur en scène tout autre que les Zack Snyder et autres frères Russo. Mais est-ce qu’un réalisateur confirmé peut suffire à redresser les tendances actuelles d’un genre de plus en plus balisé et pauvre artistiquement ?
Nul ne saurait dire quel sera l’état actuel du genre du film de super-héros si Bryan Singer ne lui avait pas redonné un vrai souffle avec le premier X-Men en 2000. Alors que le monde se remettait à peine des frasques kitchissimes de Batman & Robin, le réalisateur américain permettait aux héros de comics de rentrer sans encombre dans le troisième millénaire et offrait aux mutants une incarnation filmique idéale. Son approche, sans jamais renier son statut de divertissement grand spectacle, se caractérisait par un vrai traitement thématique et approfondi de l’univers, entre la question du rapport à l’autre, à la différence, et des métaphores plus ou moins explicites (l’évolution du corps adolescent, l’homosexualité…). Singer montrait également à l’écran un vrai amour pour ses personnages, en particulier pour son héros, l’ultra-charismatique et indémodable Wolverine, et son grand méchant, le tout-puissant Magneto. Le cinéaste exaltait toutes les qualités du premier film dans X-Men 2, suite on ne peut plus réussie méritant sans problème de figurer parmi les meilleures œuvres du cinéma superhéroïque. Suite à des conflits avec la Fox, Singer préféra abandonner le poste de réalisateur du troisième opus pour se concentrer sur Superman Returns, laissant la saga aux mains de Brett Ratner.
Après quelques errances (dont l’infâme X-Men Origins: Wolverine), la saga entre dans un vrai processus de renaissance et choisit de remonter à la source en se concentrant sur la jeunesse de Charles Xavier, Magneto et Mystique avec X-Men : Le commencement. L’occasion pour Bryan Singer de revenir sur la saga en tant que producteur, laissant le poste de metteur en scène à Matthew Vaugn. Malgré quelques fautes de goût, le film tirait sa force du conflit idéologique qu’il parvenait à mettre en images entre ses trois protagonistes principaux et les rendait presque aussi mémorables que leurs homologues de la trilogie originale. Bien accueilli, Le commencement permet à la saga de repartir sur les bonnes bases et offre à Singer l’opportunité de réaliser lui-même sa suite : Days of Future Past. Une réussite intégrale, qui compilait non seulement ce que la série avait pu offrir de meilleur à travers une ambitieuse histoire de voyage dans le temps mais offrait également la possibilité d’effectuer un véritable reboot, en effaçant tout ce que Singer jugeait indigne de la franchise qu’il avait portée à l’écran (à savoir le film de Ratner et les deux spin-offs consacrés à Wolverine). Les X-Men peuvent désormais repartir sur une base saine, sans se soucier d’histoires de cohérence entre de multiples films parallèles.
C’est donc dans ce contexte que sort X-Men: Apocalypse, toujours réalisé par Bryan Singer et mettant en scène la lutte des mutants contre leur plus puissant ennemi : En Sabah Nur, alias Apocalypse, le premier mutant sur Terre. Parallèlement, le film narre aussi le début de l’équipe des X-Men telle qu’on la connaît, avec en tête de file les jeunes Cyclope, Jean Grey et Diablo. Des prémisses résolument plus simplistes que celles des films précédents (en particulier X-Men 2 et Days of Future Past) mais faisant malgré tout la promesse d’un divertissement ambitieux et bien rodé.
Malheureusement, le film est gangrené par une plaie désormais courante dans la production hollywoodienne : la volonté d’en faire trop. En voulant à la fois narrer les origines de son grand méchant, celle de l’équipe des jeunes mutants et apporter une conclusion à la trichotomie Xavier-Magneto-Mystique, le film se perd et ne parvient pas à traiter de ses personnages en profondeur. On sent l’amour de Singer pour ses mutants mais, faut de temps à leur consacrer, ceux-ci ne demeurent qu’esquissés, leur potentiel à peine effleuré. Prenons Magneto, sans doute le personnage le plus approfondi et nuancé depuis le début de la saga : le film lui offre un parcours des plus intéressants en le plaçant d’abord dans une posture rédemptrice avant que ses anciens démons ne refassent surface. Le problème, c’est que l’emblématique manipulateur de métal est complètement mis de côté dès son entrée au service d’Apocalypse et restera complètement inerte pour la deuxième moitié du film. Il est plaisant de retrouver Xavier en professeur et mentor sage et bienveillant, mais son évolution est également mise en pause, tandis que sa relation conflictuelle avec Magneto répète les mêmes schémas depuis Le Commencement (voire le début de la saga). Mystique est probablement la seule membre du trio bénéficiant d’une vraie progression, mais elle se retrouve elle aussi noyée dans les méandres d’un film tentant de tout donner sur tous les fronts. Quant aux jeunes mutants, il est proprement regrettable qu’ils soient traités comme de vulgaires personnages secondaires, sachant que le véritable objet du film semble être de raconter comment l’équipe des véritables X-Men tels qu’on les connaît a pris forme.
Que dire des antagonistes ? Apocalypse était un méchant présentant un certain potentiel, surpuissant, mégalomane et entourant d’une symbolique religieuse et mythologique intrigante. Malheureusement, le personnage pâtit d’un design absolument ringard et d’un traitement au ras-des-pâquerettes, ne s’éloignant finalement pas tant d’un méchant Marvel standard ayant comme seul objectif la destruction du monde des hommes. Que dire des “quatre cavaliers” lui servant de garde rapprochée ? C’est bien simple, Magneto mis à part, aucun n’existe comme autre chose qu’un simple larbin. Même Tornade, pourtant amenée elle aussi à rejoindre les X-Men est complètement sous-employée. Et, à travers la faiblesse de son méchant, ce sont les enjeux mêmes du film qui se révèlent fragiles. Les thématiques soulevées dans les précédents opus de la saga sont mis de côté, ici il n’est questions que de gentils unissant leurs forces contre un vilain très puissant. La réflexion sur la supériorité du mutant sur l’humain, sur la déification du premier par le second, reste au stade embryonnaire. Le film semble brasser bon nombre d’éléments issus des précédents films sans parvenir à concentrer leurs forces au sein d’un produit fini convainquant.
Du côté du casting, le constat est également plutôt mitigé. On appréciera de retrouver Michael Fassbender à qui le rôle de Magneto colle comme un gant et James MacAvoy toujours parfait en (plus si jeune) professeur Xavier. Le génial Oscar Isaac fait ce qu’il peut dans le costume d’Apocalypse mais n’est pas aidé le ridicule et l’inintérêt de son personnage. D’autres choix de casting peuvent laisser perplexe, tel celui de Sophie Turner en Jean Grey, la jeune actrice peine à faire oublier son rôle de Sansa Stark et n’a que peu de ressemblances avec Famke Janssen, qui avait incarné le personnage jusque là. Et que dire de Jennifer Lawrence ? L’actrice la plus surestimée du moment rend douloureuse tout apparition du personnage de Mystique, pourtant l’un des plus intéressants de la saga.
Pas bien écrit ni entièrement bien casté, X-Men : Apocalypse est-il un vrai ratage, de la hauteur des récents Batman V Superman ou Civil War ? Pas si sûr, le film n’est incontestablement par réussi et peine à égaler les meilleurs films de la saga, mais reste auréolé du talent de son créateur. Bryan Singer est un vrai metteur en scène hollywoodien, de ceux qui s’accommodent parfaitement des exigences des studios tout en offrant une vision personnelle de l’univers qu’ils traitent. Ici, le réalisateur démontre une fois de plus son savoir-faire, la réalisation de l’ensemble est de grande qualité et brille lors de quelques séquence anthologiques. Difficile de rester indifférent face à la grandiloquence de la scène d’introduction, la puissance dramatique de la scène-pivot de Magneto, la jouissance débridée d’une nouvelle apparition de Quicksilver ou encore la brutalité du caméo d’un certain personnage à griffes. Singer a le sens de la grandeur, voire de la démesure et rappelle que le cinéma de super-héros, c’est aussi une question de mise en scène.
A ce niveau, X-Men : Apocalypse reste un bien meilleur divertissement que les films susmentionnés, servi par un rythme plutôt confortable malgré la longueur du film. Dommage que la scène d’action finale ne soit pas à la hauteur, malgré une réalisation d’un autre niveau que celle d’un Avengers, seule la confrontation psychique entre Apocalypse et Xavier impressionne vraiment, d’autant plus qu’elle ne manque pas d’idées visuelles. Déplorons également un design globalement assez kitsch, tranchant avec la sobriété autrefois démontrée par Singer qui collait pourtant si bien avec l’univers filmique des mutants. Mais, malgré des fautes de goût évidentes, l’univers développé par le réalisateur garde sa personnalité et son charme indéniable. Tel un Peter Jackson maladroit mais plein d’amour pour son monde numérique dans la trilogie du Hobbit, il traite ses X-Men avec passion. Tel un Sam Mendes sur Spectre, il échoue à donner à un film parfaitement équilibré et unanimement acclamé une suite digne de ce nom, mais son talent de metteur en scène suffit à placer sa dernière oeuvre au dessus du commun des blockbusters.
X-Men : Apocalypse n’aura pas réussi à réitérer l’exploit des trois précédents X-Men de Bryan Singer. Comme pour tenter d’égaler la concurrence, le film se perd dans une volonté d’aborder trop d’éléments et dans une hésitation entre traitement premier degré et imagerie volontairement kitsch. Le film aurait été un désastre entre les mains d’un quelconque faiseur hollywoodien mais le talent de son créateur sauve les meubles, de peu. Il est tout de même dommage qu’un réalisateur si emblématique du film de super-héros dans ses incarnations récentes fasse sa sortie (s’il s’agit bel et bien de son dernier X-Men) par la petite porte. Et le pire dans tout ça, c’est qu’Apocalypse sera sûrement le meilleur film du genre à voir le jour cette année.
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le 24 juin 2016
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