Le talentueux metteur en scène sénégalais Ousmane Sembene choisit le rire libérateur et insolent pour exprimer sa colère devant le comportement des notables noirs qui se sont vus confier les rênes économiques et politiques au moment de l'Indépendance. Devenus totalement insensibles aux véritables aspirations de justice et d'égalité de leur peuple, ces parvenus ne font en définitive qu'appliquer une très détestable parodie de l'Occident qui leur avait été imposée jusque là et qu'ils étaient censés supprimer.
Sous le regard narquois des anciens fonctionnaires européens devenus des "conseillers" omniprésents, les nouveaux dirigeants ont rapidement repris à leur(s) compte(s) les tics des anciens colonisateurs pour gérer leur pays uniquement dans l'intérêt d'une minorité. Se donnant l'apparence de parfaits technocrates (sans en avoir la moindre compétence), ils ne sont, en réalité, que des personnalités fantoches, de ridicules pantins manipulés, contribuant à la survie du colonialisme sous une forme encore plus pernicieuse : le néo-colonialisme.
Le personnage central est l'un de ces hommes d'affaires se gargarisant de mots pompeux et "singeant" la civilisation occidentale. il s'habille à l'européenne ; il roule dans une luxueuse voiture ; il présente le plus grand nombre de signes extérieurs de richesse ; et, surtout, symbole de l'importance de son rôle, il ne se sépara jamais de son attaché-case !
Grâce à des images percutantes à lire au 1er degré, Sembene fait prendre conscience du véritable gâchis (culturel, économique, politique, sociétal) provoqué par la confrontation de deux civilisations manifestement incompatibles. Via une succession de situations bien choisies, il montre comment son personnage est, comme on dit, assis entre deux chaises. Pour le cinéaste, il ne fait aucun doute que ces hommes, qui se disent technocrates, sont en fait incapables de jouer un rôle constructif dans leur pays car ils sont déconnectés de ses réalités les plus élémentaires. Ils sont comme l'archétype ciblé : impuissants !
Au "Xala", l'impuissance sexuelle, le cinéaste donne d'ailleurs une autre signification : l'incapacité pour ces notables d'être des gens responsables. En effet, comment être crédible quand, par exemple, on fait laver sa voiture à l'eau d'Evian alors que des miséreux crèvent de faim et de soif !
Cinéaste intelligent et lucide, Ousmane Sembene signe là un film impitoyable et tendre.
Impitoyable pour ceux qu'il accuse ouvertement de gaspiller - voire même confisquer ! -, les richesses nationales ; de faire subsister une certaine forme de colonialisme ; et de nier une négritude pourtant authentique.
Tendre envers les pauvres gens, les mendiants, tous ceux qui souffrent d'être opprimés alors que leur pays n'a, théoriquement, plus d'oppresseurs.
On perçoit quelle est la position politique du cinéaste. Celle-ci : puisque les peuples africains n'ont fait que passer d'une domination blanche à une domination noire, il leur faut créer à nouveau un processus libérateur, pour se donner enfin les moyens de s'assumer véritablement et librement. Si la 1re fois que l'indépendance s'est manifestée ce ne sont pas de bons serviteurs qui ont ouvert la porte, elle ne manquera pas de sonner une seconde fois.
Que celle-ci soit la bonne !