On pense à chaque fois que le Monsieur ne peut plus nous surprendre, et on se trompe systématiquement : ici, pour la première fois, il nous a ému, alors qu'on riait le plus bêtement du monde pendant une heure (surtout le "C'est bon, tout est sous contrôle." qui a surpris toute la salle : éclats de rires à tous les octaves). Il faut dire que sous ses airs de comédie potache (très réussie), Yannick cache un cœur mélancolique, désespéré, joliment au bord du gouffre, et qui laisse son final vous tirer le tapis sous les pieds, confrontant votre logique (ce que vous savez pertinemment ce qu'il adviendra), et votre envie (ce que vous voulez qu'il advienne, peu importe si,

comme Yannick, vous n'êtes qu'un rêveur en quête d'un dernier instant de douceur, dans ce monde de brutes et de snobinards

). Et comment oublier ledit Yannick, campé avec une sincérité et un naturel stupéfiants par un Raphael Quenard au-delà de l'exercice de style, dont les punchlines nous ont fait souvent échapper un éclat de rire incrédule (les dialogues sont savoureux), et finalement très touchant dans ce plan très triste (attention, sur-interprétation en approche) :

lorsque, depuis les coulisses, il est accroupi au ras du sol, les yeux larmoyant tournés vers le haut, admirant son apothéose, ce dernier moment de joie qu'il a procuré à d'autres, déjà dans une posture de l'effacement qu'il sait inévitable... On pensait d'abord qu'il avait attrapé son pistolet dans les accessoires du théâtre, puis lors du tir qui confirme qu'il s'agit d'un vrai, on oublie même de se demander la raison pour laquelle Yannick avait ce pistolet, lui qui a perdu sa compagne à cause de son travail difficile, qui n'arrive plus à se divertir dans ce qu'il pensait être un dernier moment de détente...

La raison nous crevait les yeux, donnait un tout autre sens à toutes ses logorrhées du début, mais on est tellement pris à rire qu'on ne remarque que bien trop tard, avec ce final mélancolique si imagé, que tout n'était qu'un

dernier jour dans la vie d'un clown triste

. Oui, on a adoré ce final, qui souligne que les spectateurs

restent non pas par obligation (le vieux Monsieur s'en va librement) mais par curiosité, par attachement à ce gars plus désespéré que méchant, qui embraye avec une pièce de théâtre franchement écrite avec les pieds mais drôle comme un bon nanar (parce qu'il nous parle simplement), et qui termine en nous laissant poireauter devant un écran noir, incapables de se lever car on espère encore que notre envie (la happy-end qui voudrait que le public défende Yannick) a l'avantage sur notre raison (le GIGN a descendu le terroriste... et c'est ce qu'il voulait).

Une franche rigolade, un constant questionnement sur le personnage de Yannick et sur le lien d'envie qui lie n'importe quel spectateur et l'œuvre (quel que soit son niveau "artistique"), un accompagnement assuré par un bon trio (Blanche Gardin, Pio Marmaï - très en forme - et Sébastien Chassagne), et une première pour un Dupieux : une fin dramatique. Fini de rire ? Non, évidemment, mais surtout si l'on connaît bien le style comique foutraque du Monsieur, on se laisse avoir et aveugler par notre propre pédanterie ("Ça nous apprendra."). Comme Yannick, Dupieux nous dit : "Vous pensiez me connaître ? Raté. Et tant mieux. J'ai tellement plus à vous offrir.". Inutile d'envoyer (l'excellentissime) Raphael Quenard avec son flingue : on ne bouge pas de la salle.

Aude_L
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le 11 août 2023

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