Baya Kasmi (scénariste des films de Michel Leclerc) signe une comédie drôle (c’est le minimum !), intelligente (pour une comédie française, c’est rare !) et osée (tant mieux !) sur l’identité arabe en France, doublée d’une satire amusante du milieu littéraire. On rit sainement devant cette petite réussite.
Youssef Salem, 45 ans, a toujours réussi à rater sa carrière d’écrivain. Mais les ennuis commencent lorsque son nouveau roman rencontre le succès car Youssef n’a pas pu s’empêcher de s’inspirer des siens, pour le meilleur, et surtout pour le pire. Il doit maintenant éviter à tout prix que son livre ne tombe entre les mains de sa famille.
Le film de Baya Kasmi a pour sujet l’arabité, comme il y aurait la judéité. C’est-à-dire, ce qui fait d’une personne un arabe. Un ensemble de valeurs forgeant une identité, mais également toute une série de contraintes. Bref, une posture à adopter avec toute l’hypocrisie qui va avec, entre ce qui se montre et ce qui se fait en réalité. Un autre paradoxe de cette famille est de vouloir s’intégrer au mieux dans la société française. La culture arabe est celle du foyer, la culture française en ce qui concerne la vie publique. Traiter de l’identité arabe permet à la réalisatrice d’apporter de la profondeur à son film, ce qui manque à la plupart des comédies françaises souvent infantiles. Cela n’empêche pas Baya Kasmi de moquer cette identité et notamment sur le rapport au sexe, au cours d’une scène très drôle où les parents ne mènent pas vraiment la vie qu’ils prétendent mener.
‘Youssef Salem a du succès’ est une comédie assez gonflée. Car personne n’est ménagé, tout le monde en prend pour son grade. Kasmi moque les vieux schnocks racistes mais tape assez méchamment (et jouissivement, pourrait-on ajouter) sur ceux qui assignent l’arabe à une place. Comment doit-il se comporter ? Comment doit-il parler des siens ? La réalisatrice raille la jeune génération, prête à s’enflammer pour un rien. Le ton du film est cru, sans jamais être graveleux.
Le film brocarde le milieu littéraire, au cours d’une scène assez drôle de débat animé par le critique littéraire du Masque et la Plume (mon émission de radio culte) Arnaud Viviant, dans son propre rôle. Un journaliste de l’Obs énonce des banalités. Un critique de droite en fait des tonnes pour défendre le livre au nom de la liberté d’expression. La critique de gauche n’aime rien et débite des poncifs. Pendant ce temps, Youssef se décompose en écoutant les trois bavards. Allusion amusante au lien (masochiste) entre l’artiste et la critique (du coup, hâte d’écouter la critique du film au Masque et la Plume dimanche prochain !). Le scénario aborde intelligemment la question du lien entre fiction et réalité. Dans une scène très drôle, on s’aperçoit que le roman de Youssef, que l’on prenait pour du réalisme fictionné, est en fait une fiction très inspirée du réelle. Pas étonnant que le frère et les deux sœurs le prennent mal.
La bonne idée est d’avoir distribué Ramzy Bedia (comique reconnu) dans un rôle plutôt dramatique. Ce qui va parfaitement à ce personnage jamais à sa place, pris comme en étau entre son identité arabe et son intégration française. Pris en étau entre sa vie parisienne et sa famille. Pris en étau entre le gratin littéraire et son milieu social d’origine. Le comique vient surtout des situations et des seconds rôles. Il y a la mère envahissante, l’éditrice fofolle (Noémie Lvovsky), la sœur militante (Melha Bedia qui a un sens du rythme génial) ou le père décalé.
Sans être un chef-d’œuvre, le film de Baya Kasmi se tient, est honnête. Il y a une qualité d’écriture certaine et une capacité réelle à capter et rire des travers de notre société, à l’image des films de son co-scénariste et mari Michel Leclerc (‘Télé-Gaucho’, ‘Le nom des gens’).