A la différence d'un Jep Gambardella s'étourdissant dans des soirées mondaines interminables pour occuper une existence vulgaire et apathique, Fred et Mick, les deux protagonistes du nouveau film de Paolo Sorrentino, font face au temps qui passe dans un véritable Eden naturel, aux portes de la Suisse. Cet eldorado est une parenthèse pour tous ceux qui désirent se couper du monde ou préserver un passé qui concurrencerait n'importe quel désir d'avenir.
Si le poids des ans semble empêcher Fred de se projeter dans un futur créatif, Mick lui n'a que l'avenir en tête : son œuvre magistrale, son "testament cinématographique" reste encore à écrire. Cette ambition artistique le gargarise alors même que Fred se retire peu à peu dans un voile de souvenirs.
Cet homme sans émotions apparentes doit cependant affronter un double héritage. Son héritage créatif d'abord issu des symphonies qu'il a composé. Il doit alors accepter que seuls les succès populaires nourrissent la renommée ; les chefs d'œuvre eux sont souvent voués à l'inconnu car ils visent l'inaccessible. L'hérédité ensuite à travers sa fille, qu'il aime silencieusement et sans démonstration.
Ces legs empêchent Fred de se retirer dans un mutisme nourri de regrets et frustrations passées puisqu'il doit faire face aux désirs des autres.
L'envie et le désir n'ont pas quitté Mick mais cette aspiration manque d'inspiration. A la différence de Fred, Mick ne peut rattraper les fantômes du passé qui ne lui répondent plus alors même que son ami finit par comprendre qu'il ne peut leur tourner le dos et doit s'en accommoder.
Comme un symbole, Mick ne parvient pas à écrire la fin de son film mais refuse d'y voir le signe de son déclin. Il faudra l'aveu cinglant d'une Jane Fonda grimée en star de son passé pour comprendre que son avenir ne se construira pas sur ses succès d'hier. Artiste non désiré, Mick doit se retrancher dans le monde des émotions lointaines et cet aveu insupportable le pousse à l'irréparable.
Autour de ces deux personnages attendrissants et flegmatiques, gravitent des personnalités singulières tel ce Maradona ventripotent et essoufflé qui n'aspire qu'à entendre des louages à sa gloire passée, un acteur en mal de reconnaissance et en quête d'une vérité artistique, une prostitué solitaire qui attend désespérément un regard… et la fille de Fred, qui matérialise les émotions d'un père silencieux en même temps qu'elle redémarre une vie que lui n'a plus le temps de recommencer.
La liberté, le désir, les émotions sont autant de sujets qui embrasent cette ode aussi jolie que mélancolique, ponctuée de répliques à la fois drôles et tragiques. On en ressort avec le sentiment d'avoir assisté à quelque chose de beau, un peu facile, un peu mélancolique mais bien loin de se réduire à une fable fantasque et anecdotique .