Zabriskie Point est un chef-d'oeuvre incompris

"Zabriskie Point" fut un film culte dès sa sortie. Il s'inscrit dans la droite lignée d'"Easy Rider" de Dennis Hopper, tout en le surpassant largement à mon avis. Là où "Easy Rider" était un projectile, une impulsion compulsive visant à mettre la vérité à nu, "Zabriskie Point" est beaucoup plus construit, serein, réfléchi. Il va mettre en scène les révoltes étudiantes des années 70, ses rêves, ses réussites et ses impasses.

Antonioni vient juste de débarquer aux Etats-unis, après sa Palme d'or pour le thriller londonien "Blow-up". L'une des belles choses de ce film est le fait que les acteurs sont "des vrais", de vrais étudiants qui ont vraiment participé à ces mouvements, que ce soient Mark ou Daria, les personnages principaux, mais également tous les figurants, qu'Antonioni était allé auditionner lors d'une occupation d'université.

Plutôt que de critiquer le film dans son entier, qui est pour moi un chef-d'oeuvre absolu, je m'attacherai surtout à quelques scènes, la plupart cultes, qui m'ont amené à quelques réflexions.

Tout commence dans une ambiance impressionniste : des visages, des figures, des regards qui passent devant la caméra pendant le générique de début. Dès la fin du générique, la parole est prise brutalement. On comprend qu'il s'agit d'une assemblée générale qui va décider de la grève des étudiants. Pour la petite histoire, l'actrice qui joue la leader des étudiants est Kathleen Cleaver, membre des Black Panthers dans la vie courante. La parole prise brutalement, c'est bien celle de la jeunesse, nombreuse, qui veut s'affirmer au-dessus de la mêlée. Quand Mark, personnage principal, se lève et dit le célèbre "Je suis prêt à mourir pour la Révolution, mais je ne suis pas prêt à mourir d'ennui", on est partagé entre son idée de légèreté, qui fait la force de tout le mouvement, et son individualisme ; individualisme qui, selon beaucoup d'analystes, est la cause de l'échec des mouvements de la fin des années 60. En tout cas, sa désinvolture reste d'une puissance incroyable, d'autant plus dans la scène au comissariat, dans lequel il rentre volontairement pour être avec ses potes, et où il répond à la question "Comment vous appelez-vous ?" par Karl Marx, que le policier crédule et inculte écrit sur le papier, avec une jolie faute d'orthographe.

Ensuite, il y a la célèbre scène avec l'avion. Daria est en route pour Seatle en voiture, au milieu du désert, et Mark, qui a volé un avion (!) pour fuir l'accusation d'un meurtre de policier qu'il n'a pas commis. Il passe et repasse au-dessus de la voiture de Daria avec son avion, jusqu'à ce qu'elle s'arrête et qu'ils se rencontrent enfin. Suit alors la scène qui se déroule au Point Zabriskie, au-milieu de la Vallée de la Mort (le nom du lieu est prémonitoire), dans laquelle Mark et Daria vont s'aimer dans un délire hallucinant, point culminant du film, hors du temps. Pour la qualité de l'image, on notera également la scène dans laquelle Mark retourne à Los Angeles en avion, où il est accueilli par les tirs de la police. Tout cela est filmé par avion, on voit simplement des formes humaines bouger au sol, se demandant pendant deux longues minutes si Mark est encore en vie.

Mais la scène qu'on connait le plus est bien la scène finale, la scène du rêve, de l'explosion totale rêvée par Daria, et qui nous offre un vertige sensoriel et chromatique incroyable, permis notamment par la musique de Pink Floyd qui accompagne les quatre minutes. C'est le grand enchantement, un grand moment baroque comme je les aime tant, ces moments où le cinéma nous fait partir loin, très loin des sentiers courants de la réalité.

Finalement, et même si je n'ai pu donner qu'un aperçu de cette merveille, il me semble évident que "Zabriskie Point" est un film culte, à voir absolument. Ce qui peut rébuter, ce sont les plans longs, la lenteur du film ; il faut entrer dedans, s'habituer, c'est vrai. Mais une fois que l'on comprend l'univers du film, sa visée poétique et esthétique, on entre dans un monde qui ne nous décevra pas.

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