Les fans l’ont fait. Pour la première fois dans l’histoire du cinéma (si l’on omet l’affaire du design de Sonic), ils ont eu assez de pouvoir pour pousser une major comme Warner à cracher 70 millions de dollars supplémentaires afin d’achever la version de leur réalisateur star, l’aussi haï qu’adulé Zack Snyder. Choix pour le moins étonnant quand on connaît l’ingérence du studio sur le tournage et la déception critique et commerciale de la première version. Zack Snyder voulait un grand film épique en deux parties, Warner voulait un autre blockbuster formaté de deux heures. C’est le décès tragique de sa fille, entraînant son départ au profit d’un Joss Whedon déjà labellisé comme spécialiste du team-up superhéroique, qui aura raison de son face à face avec le studio. Quatre années de bras de fer s’ensuivront avant de voir arriver sur nos ordinateurs et télévisions, la version tant attendue, censée rendre hommage à la vision d’un auteur bafouée par le style diamétralement opposé de son remplaçant. Après visionnage de cette Snyder’s Cut, on est forcé de constater que les deux versions, même si différentes sur de nombreux points, sont tout de même assez similaires dans les problèmes qu’elles rencontrent à développer des personnages cohérents et attachants. Vient alors le moment de la terrible réalisation pour les fans de Snyder, peut-être que les problèmes du film original ne venait pas que de Joss Whedon ?
Il y a beaucoup de choses à dire sur un film de quatre heures, mais l’on se retiendra d’utiliser le terme “densité” qui ne sied guère à la simplicité presque enfantine d’une histoire rallongée à outrance pour les biens d’un égo fragilisé par la dépossession de son œuvre. Après un peu plus d’une heure et demie d’exposition laborieuse, étrangement plus plaisante que le reste du film, nous sommes largués dans un second acte aussi creux que son prédécesseur où nos héros doivent empêcher le méchant Steppenwolf de s’emparer des trois Boîtes-Mères permettant l’arrivée sur Terre de son maître Darkseid. D’une banalité crasse, il suffit de remplacer le MacGuffin des boîtes par des pierres pour passer chez Marvel. Le dernier acte, sauvé par un deus ex machina extrêmement mal amené et repompé au premier film Superman, n’améliore en rien la qualité d’un film alourdit par un épilogue interminable concluant à jamais le Snyderverse (Warner vient d’annuler deux films DC). Cet épilogue a néanmoins le mérite de nous offrir une nouvelle preuve que Jared Leto n’est définitivement pas un bon Joker... ni un bon acteur. Bien sûr, certains pourront rétorquer que le découpage du film en chapitre permet un visionnage en plusieurs fois. Dans ce cas, pourquoi ne pas avoir opté pour un format épisodique comme il était prévu pendant tout le début de la production ? À partir du moment où le film se présente avec une durée de quatre heures, il est conçu pour être regardé en une fois et donc jugé comme tel. Le problème, c’est qu’au vu du nombre de scènes trop longues sans aucune raison, la durée du film n’est pas tolérable. Il existe, au milieu de toute cette graisse superflue, une version de trois heures beaucoup plus équilibrée, quelque part entre celle de Whedon et de Snyder.
Peu de temps avant sa sortie, Snyder qualifiait son œuvre de “Justice League pour adultes”. Au-delà de montrer que Zack se prend trop au sérieux, c’est une manière méprisante de discréditer la version de Whedon et de nous offrir une promesse : vous allez voir la violence et le côté dark qu’on m’a empêché de vous montrer. En termes de violence, on ne pouvait pas faire plus paresseux. Snyder se contente de reprendre les scènes d’action déjà présentes et d’ajouter quelques gerbes de sang numérique pour accentuer les impacts des coups. Steppenwolf, armé d’une hache gigantesque, ne démembre jamais ses ennemis si ce n’est une fois dans un combat aquatique, unique sursaut d’une représentation finalement assez aseptisée de la violence. Pour le côté dark, on ne nous a pas menti sur la marchandise. Tout est gris, pâle, vidée de la moindre couleur. Même le costume de Superman normalement d’un rouge et d’un bleu resplendissant, n’est ici rien d’autre qu’une nuance de noire et de gris. Dans cette même logique, Snyder ajoute des piques à l’armure de Steppenwolf pour le rendre plus “cool”. Le pauvre Martian Manhunter ressemble à un lézard en manque de crack dans des scènes qui brillent par leur inutilité. Darkseid, à la limite, n’est pas repoussant, juste plat et similaire à n’importe quel super méchant de ces dernières années. Il est d’ailleurs aberrant d’apprendre qu’une version noire et blanc du film existe et qu’elle s’appelle Justice is Grey… Pour un film qui se veut mature, on a plus l’impression de voir la vision d’un adolescent en pleine phase dépressive plutôt que celle d’un adulte.
Sans aucune restriction du studio, Snyder a pu déployer tout le mauvais goût de sa mise en scène, avec un certain amour, il faut bien l’avouer. Comme à son habitude, Zack ne peut s’empêcher d’iconiser chaque instant de la vie de ses personnages qu’ils se rasent, parlent autour d’un café ou surfent sur un Parademon… Tout doit être filmé au ralenti. La nuance n’a qu’à brûler sur l’autel du cool. Excepté qu’à iconiser sans réfléchir, plus rien n’est vraiment iconique. Cela finit juste par en devenir ridicule quand des chants dignes des plus grandes kermesses de quartier s’époumonent à chaque plan sur Wonder Woman. Aquaman a le droit a tellement de scènes “iconiques” qu’on se demande s’il lui reste des T-shirts dans sa garde-robe à force d’en jeter à chaque fois qu’il plonge dans la mer. Les beaux tableaux (et encore, c’est discutable) se suivent les uns après les autres, vidés de leur contenance ou d’une quelconque signification dans le récit. Ces tableaux marchent individuellement sans jamais arriver à s’imbriquer dans la grande toile d’une histoire où chaque scène se répond pour former un tout cohérent. À côté, certaines séquences qu’on aurait aimé voir améliorées comme le réveil de Superman sont toujours aussi foutraques. D’ailleurs, sans la séquence d’intro au Smartphone de la version de Whedon, la mort de Superman paraît n’avoir aucune influence sur le monde. On en oublie presque la présence du personnage dans le film. Et ce ne sont pas les insupportables scènes de Loïs en train de pleurer qui nous vendent mieux la chose. Seul point positif, une retenue, toute relative, sur l’humour beauf. Faut bien prendre ce qu’il y a….
Comment, après trois heures de film, ressentons-nous plus d’empathie pour Steppenwolf que pour l’ensemble des membres de la Justice League? Déjà, car il se fait décapiter d’une manière complètement gratuite et brutale, et parce qu’il a montré plus de faiblesse et d’humanité dans les quelques dialogues avec son maître que la plupart des héros pendant tout le film. À la différence de la version précédente, Snyder essaye de créer un arc narratif pour chacun de ses personnages à base de daddy/mommy issues. Sauf qu’aucun de ces arcs n’est assez développé pour pouvoir fonctionner dans la structure du récit, cantonnés à deux maigres scènes tout au plus. Même celui de Cyborg qu’on nous vend comme le cœur émotionnel du film ne marche pas. Cyborg en veut à son père de l’avoir transformé en monstre et déteste ce qu’il est devenu. Dans une logique scénaristique, on s’attend à ce que Cyborg s’accepte petit à petit au contact de ses compagnons, que ce rejet de sa condition influe la mise en scène et les combats pour rendre organique l’alternance des séquences d’action et d’intrigue. Il n’en est rien. Le choix final de Cyborg lorsqu’il est connecté à la Boîte-Mère perd tout son sens, car jamais cette haine de soi n’a eu le moindre impact sur la narration. Ce choix devient juste un énième ressort artificiel pour essayer d’attiser une empathie que le spectateur a perdu depuis longtemps. Dans cette version, les personnages ne forment plus une équipe mais un ensemble d’individualités amenées à travailler ensemble. Cette peur du collectif propre à l’idéologie constructiviste de Zack Snyder est présente dans chacun des personnages. Néanmoins, pour un film qui s’appelle Justice League, il est tout de même gênant pour nos héros d’être incapable de travailler en équipe...
Dans sa radicalité quasiment aryenne où seuls des demi-dieux et des milliardaires peuvent décider du destin de notre planète, l’humain disparaît complètement du récit. Le climax du film ne se trouve plus dans une ville russe mais dans un ersatz de Tchernobyl complètement inhabité. La famille russe de la version Whedon avait l’avantage d’apporter un peu d’humanité aux péripéties de ses personnages dont sont totalement dépourvus ceux de la version de Snyder. Les quelques personnages humains restants sont soit traités comme serviteurs de ces divinités (dixit la scène de chanson en hommage à Aquaman), soit comme des boulets qu’on doit sauver car ils ne savent pas se débrouiller seuls. Finalement, l’unique réponse de cette ligue des justicier se trouve dans la violence, glamorisée par un spectacle viril à l’aube de ce que certaines idéologies fascistes pouvaient fantasmer quand elles cherchaient à atteindre la perfection du corps. Il est, à ce titre, assez parlant de voir la manière dont Wonder Woman atomise un pauvre anarchiste fanatique d’un coup de… gros rayon lumineux ? Le terroriste, après avoir vidé son chargeur sur une foule apeurée, doit recharger. Wonder Woman pourrait le neutraliser assez facilement sans le tuer. Mais non, notre chère héroïne préfère pulvériser la moitié du bâtiment sans se soucier de savoir si des gens pourraient être blessés par l’effondrement de la façade. Fascinée par la manière dont Wonder Woman vient de tuer tous les méchants en les envoyant s’écraser contre les murs du musée, une gamine déclare alors qu’elle veut devenir exactement comme son idole, c’est-à-dire une psychopathe en puissance. Quelle jeunesse les amis… Quelle jeunesse !
Il reste encore de nombreuses problématiques à aborder comme les effets spéciaux pas totalement terminés, les scènes d’une connerie stratosphérique (oui la scène du Hot-Dog, c’est bien de toi dont on parle) ou les moments émotions qui tombent complètement à plat. Mais tous les plaisirs ont une fin et il faut s’avoir s’arrêter à l’essentiel. Néanmoins, lorsqu’on compare la version de Whedon et de Snyder, on commence à comprendre la volonté derrière certains choix faits par le créateur de Buffy contre les vampires, jugées stupides lors de sa sortie. D’une certaine façon, Whedon essayait de réparer les lacunes du script de son homologue. Sans aller jusqu’à créer un #RestoretheWhedonCut car qu’on se le dise, ce sont dans les deux cas de très mauvais films, une réévaluation du travail de son réalisateur ne serait pas infondée.