L'anarchie des têtes blondes
Attention cette critique contient des spoils!
Lorsque Jean Vigo s'attelle en 1933 à "Zero de conduite", le réalisateur a déjà deux films à son actif: le formidable documentaire "A propos de Nice" qui décrit de manière facétieuse et grave le quotidien des différentes classes niçoises, ainsi que le bref document "La natation par Jean Taris", plus complémentaire. Cependant, en voyant ces deux premiers films, un élément nous interpelle, celui de l'expérimentation. Car Vigo cherche à faire parler les images avant tout, par le simple langage cinématographique. Le réalisateur n'hésite pas à user du ralenti, du fondu enchaîné, du jump cut comme un moderne avant l'heure (même si, étant donné la période, il serait plus juste de le rapprocher des avants-gardes françaises ou russes).
Pour son premier film de fiction (et avant-dernier film de sa courte filmographie), Vigo décide de se plonger dans le quotidien d'une poignée d'élèves au sein d'un établissement scolaire avec les éternels principaux, maîtres et surveillants. Cependant, loin de proposer une fiction à vocation sérieuse et réaliste, Vigo instaure dans le récit son humour décapant tel qu'on a pu le découvrir dans "A propos de Nice", mais avec une inventivité de chaque instant. Malgré la courte durée du film (une petite quarantaine de minutes), chaque minute regorge d'idées de cinéma, souvent loufoques, avec cohérence.
Suivant le petit groupe de "diables" évoluer au sein d'un milieu autoritaire, ces derniers n'hésiteront pas à se rebeller face aux règles imposées. Certes, rien de bien neuf sur le papier, mais Vigo parvient à transformer le banal en original. Tout d'abord grâce à une palette de personnages hauts en couleur, que ce soit le principal nain à la voix nasillarde, en passant par le surveillant préférant imiter Charlot ou faire des acrobaties en classe plutôt que de surveiller les chères têtes blondes d'une main de fer, ainsi qu'envers les professeurs "chassant" la jolie jeune femme dans les rues plutôt que de faire cours aux élèves. Ensuite, de par ces habituelles expérimentations cinématographiques telles que le retour en arrière, le ralenti, le jump cut, ou même la présence d'un petit personnage animé. Loin de faire de l’expérimentation visuelle pour faire de l'expérimentation visuelle, Vigo use de ces effets accentuant les gags ou faisant émerger du film une poésie visuelle proche de l'avant-gardisme cinématographique.
Mais surtout, c'est avec "Zero de conduite" que l'on ressent le plus les positions anarchistes de Vigo envers l'autorité. Présentant les jeunes garnements comme de véritables héros révolutionnaires, le réalisateur dresse un pamphlet contre le formatage scolaire et l'insoumission aux règles, tout en gardant un esprit bon enfant, virulent mais jamais méchant car la sympathie touche aussi ces membres du corps enseignant, eux-même soumis à certaines règles et se laissant aller dès que l'occasion se présente aux douceurs de la vie.
Vigo signe une oeuvre d'une grande poésie, pleine de vie, d'humour et de malice tout en exploitant au maximum le médium cinématographique afin de véhiculer idées, positions politiques et gags visuels en tout genre.
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