Bloodborne m’a tuer (…ou pourquoi j’ai fini par lâcher l’affaire.)

Il était devenu pour moi comme le loup blanc…
Depuis 2015, année de sa sortie, on ne cessait de me parler de ce Bloodborne comme d’une somptueuse anomalie ; un jeu tel qu’on n’osait plus en faire ; un produit d’esthète qui ne pouvait s’offrir qu’à une poignée de joueurs courageux, connaisseurs et chevronnés…
Et si avant lui les Dark Souls avaient déjà fait parler d’eux pour leur extrême exigence, c’est finalement par ce titre que la philosophie des studios From Software est parvenu à se poser tel un Graal vidéoludique ; à s’imposer dans toute sa légitimité obtenant par là-même une reconnaissance absolue auprès de tous…


Depuis les éloges au sujet de Bloodborne ne cessent de pleuvoir et, à chaque année qui passe, ce titre gagne un peu plus ses galons de gardien du temple.
Un temple de l’exigence. Un temple de la préservation d’une certaine culture du jeu.
Un rempart face aux jeux sans enjeux.
Un bijou qui n’offrira de la joie qu’aux rares vertueux qui auront accepté de souffrir pour s’initier.
A ce titre, Bloodborne est devenu plus qu’un jeu. Il est devenu un rite.
Une épreuve.
Plus que ça : une preuve.


En ce qui me concerne il m’a fallu un certain temps avant de me retrouver happé par cet appel vers l’inévitable.
Au départ, comme beaucoup, j’avais laissé Bloodborne à celles et à ceux qui étaient déjà adeptes de ce type d’expérience. Ne me sentant nullement concerné, j’avais juste observé de loin cet objet d’un regard vaguement curieux mais guère intéressé.
Et puis il y a eu le début de l’appel. Pour ma part ça a pris la forme d’un épisode de Game Next Door sorti en octobre 2017. Hugo y disait comment lui non plus ne s’était initialement pas senti concerné, pas au niveau, pas dans l’esprit, avant qu’on ne lui offre ce jeu et qu’il se considère dès lors dans l’obligation de l’explorer…
Désormais l’homme a connu la révélation et Bloodborne est devenu son nouvel optimum ; ce jeu qu’il cite en permanence sitôt en a-t-il l’occasion…
Et depuis ce jour-là, les appels n’ont jamais cessé de se multiplier…
Références régulières dans Game Next Door, épisode de Fin du Game, critique de Pseudoless, moyenne hallucinante sur SensCritique…
…Et la sortie de Sekiro en 2019 n’a fait depuis que rajouter une pièce.
Le loup blanc. Encore ce loup blanc…


Il m’a fallu un certain temps avant de franchir le pas.
D’abord ce printemps 2021 où j’ai acheté le jeu mais tout en le laissant lâchement de côté, pour quand je me sentirais prêt.
Puis vint l’été, période durant laquelle je me suis particulièrement ressourcé et où j’avais acquis la certitude que ça ne pourrait se faire qu’à ce moment-là ou jamais.
Et puis enfin il y a eu ce voyage improbable en terre wallonne où, débarquant chez un couple d’amis, j’ai surpris l’un d'eux en train de jouter avec le Père Gascoigne au fond de la pièce. (Véridique.)
Il y a des moments où des forces mystiques sont en action et face auxquelles il ne faut plus lutter…


Alors j’ai fini par faire le grand saut.
J’ai joué à Bloodborne
…Et à mon grand désarroi j’y ai décelé un problème. Voire même plusieurs.
Et quand bien même j’ai pu voir et ressentir tout ce que les adorateurs de ce jeu louaient en lui – et cela non sans fondement – j’y ai aussi perçu une certaine forme d’obscurantisme et – désolé de le dire ainsi – d’absurdité qui font que, pour ma part, j’ai du mal à voir le chef d’œuvre que beaucoup encensent.
Pire, je ne peux m’empêcher d’y voir une forme de tour de passe-passe malhonnête…
…Un tour de passe-passe qui, à mon sens, empêche aussi à certains d’apercevoir les limites de l’expérience Bloodborne.


Mais pour commencer une précision s’impose.
Comme Hugo de Game Next Door je ne suis clairement pas un performer du jeu vidéo. Et si malgré tout il y a bien quelques jeux pour lesquels j’ai fini par développer une réelle dextérité, je sais que cela s’explique généralement par le fait qu’au-delà du challenge se trouvait un univers qui avait su m’appeler ; qui avait su me donner l’envie de faire l’effort et de creuser.
Or sur ce point, difficile de ne pas reconnaitre à ce Bloodborne un réel talent pour nous inciter à aller se plier à ses exigences.


Ce jeu dispose vraiment d’une atmosphère qui opère dans l’instant.
Très sombre, envoutant, et jouant des fastes noirceurs d’un fastasme dix-neuvièmiste anglais, Bloodborne n’est pas sans s’inscrire dans la droite lignée d’un Dracula de Coppola ou d’un Taboo de Tom Hardy, ce qui n’est clairement pas pour me déplaire.
Dès les premières minutes le jeu de From Software parvient à instaurer cette idée qu’on s’apprête à plonger dans un cauchemar ; mais un cauchemar terriblement séduisant.
Une impression que confirmeront d’ailleurs nos premiers pas dans la sombre cité de Yharnam. L’esthétique est vraiment magnifique. Très soignée. Élégante.
Les décors se révèlent très riches et sont surtout admirablement mis en lumière.
Voilà un cauchemar qu’on peut avoir dès lors envie d’explorer malgré l’angoisse et la difficulté.
Rien de tel en somme pour nous faire accepter la souffrance.
Sur ce point je rejoins donc les panégyriques adressés par certains à From Software.
Seulement voilà au-delà de son atmosphère Bloodborne a aussi une philosophie de jeu à nous présenter…
…Et c’est là que les problèmes commencent.


Il faut en effet savoir que pour nous faire découvrir les mécaniques de son Bloodborne, From Software a opté pour un choix radical qui a néanmoins le mérite de la cohérence.
Il s’agit de transmettre tout de suite les commandes de base sans cérémonial puis de nous envoyer au combat afin qu’on apprenne au plus vite à accepter l’une des composantes centrales de notre partie : la mort.
Car oui, mourir dans ce jeu, c’est se retrouver subitement dans le rêve du chasseur. Et se retrouver dans le rêve du chasseur, c’est découvrir ce qui sera le hub central du jeu : un cimetière, des tombes en guise de points de téléportation, et quelques spots transmettant les autres commandes essentielles du jeu ainsi que les premières armes.
C’est sec au possible, mais on sent l’envie qu’a From Software d’obliger le joueur à découvrir les choses par lui-même.
Alors au bout d’un moment, face à la sècheresse d’information qui est donnée et à la petitesse du hub qui nous est proposée, on comprend rapidement que ce ne sera qu’en forgeant qu’on deviendra forgeron. Alors on accepte de quitter cet étrange rêve pour retourner à Yharnam, armes à la main…
Enfin… Armes à la main…
Encore faudrait-il que le jeu daigne nous expliquer comment on porte nos armes à la main…


Parce qu’en effet – et c’est le premier problème – à se vouloir à ce point laconique dans son tuto, Bloodborne en vient à oublier de dire l’essentiel, et cela assez régulièrement.
Par exemple, pour ce qui est de l’acquisition de nos premières armes, le jeu se contente simplement d’ouvrir un menu en exigeant de nous qu’on choisisse une arme blanche parmi les trois disponibles puis un pistolet parmi les trois disponibles et puis c’est tout.
Pas plus d’explication. Rien. Démerde-toi.
Au bout d’un moment, parce que je n’avais plus rien à faire dans le hub central, j’ai fini par me dire qu’il fallait bien que je retourne de là où je venais ; c’est-à-dire de là où le jeu m’a contraint à mourir bêtement sans que j’ai aucune chance d’y réchapper.
…Sauf que, faute d’explication, je me retrouvais à nouveau face au monstre qui m’avait déjà occis sans pour autant avoir mes armes en main !
Fort heureusement, mon expérience de Skyrim me rappela ce principe de la culture RPG qui consiste à équiper ses armes. Alors qu’à cela ne tienne : allons dans les menus et équipons les armes…
« Menu ». « Inventaire ». « Arme ». Et au moment d’appuyer sur « X » pour « Utiliser » le hachoir que je m’étais choisi, le mot « Utiliser » est alors apparu en transparent, comme si la fonction n’était pas encore disponible.
J’appuie néanmoins sur « X » et là j’entends un petit bruit me faisant comprendre que c’est mort et qu’il vaut mieux ne pas insister.
…Bon.
Je fais néanmoins tout le tour du menu au cas où, j’en suis même sorti en appuyant sur toutes les touches, mais rien n’y a fait.
Impossible d’équiper mes armes.


Au bout d’un moment, à force de faire le tour, j’ai fini par arriver à cette conclusion : puisqu’il semble acté que dans Bloodborne on va roter du sang, alors cela veut sûrement dire que la première épreuve consiste certainement à tuer ce foutu monstre à mains nues.
Et voilà comment ma première heure de ce jeu a été consacrée à essayer – mourir – réessayer – remourir…
…Jusqu’à ce que j’en ai ras la couenne et que je me dise que quelque chose m’avait sûrement échappé.
Et il a fallu que je mate une vidéo sur Youtube pour me rendre compte que les armes pouvaient s’équiper dès leur acquisition et cela en allant simplement dans le menu et en les sélectionnant avec une pression sur…
…le bouton de la flèche directionnelle vers le bas.

Ah…

Ah oui…

Bon…
Comment dire…

Est-ce qu’éventuellement, à From Software, on aurait pu envisager qu’un tel procédé aussi contre-intuitif puisse être EXPLIQUÉ ?
Trois fois rien hein… Juste un petit message de rien du tout. Un truc du genre : « Pour équiper, c’est flèche "vers le bas" ».
Je dis ça mais je ne dis rien, n’est-ce pas ?!


…Non mais franchement, qu’est-ce que ça leur coûtait ?
Parce qu’autant je peux entendre que pour un joueur qui soit déjà passé par les Souls, ce genre de pratique ne pose aucun souci, mais pour les autres ?
Est-ce que les nouveaux sont acceptés dans le club très select de From Software ou bien est-ce qu’on est forcément contraint de passer par cette forme de bizutage ?


Et si j’insiste autant là-dessus – rassurez-vous – c’est parce qu’à mes yeux ce genre de « manquements » est loin d’être ponctuel et isolé.
Au contraire, c’est une logique assez constante qu’on retrouve tout au long de notre apprentissage ; apprentissage qui ne s’arrête d’ailleurs jamais puisque ce jeu ne cesse de nous en foutre plein dans la gueule sans discontinuer.
Et si d’un côté j’accepte de me confronter à de la difficulté, de l’autre je ne comprends pas d'être confronté à ce genre de difficulté là.
Pourquoi on ne m’a pas prévenu que les armes s’usaient ?
Pourquoi on ne m’a d’ailleurs pas prévenu que mon arme s’était usée ?
Pourquoi on ne m’a pas indiqué où et comment la réparer ?
Pourquoi avoir décidé de maintenir les portes de la maison de Gehrman fermées lors de notre première visite du rêve du chasseur – là où se trouve pourtant ce foutu atelier susceptible de réparer les armes – et puis pourquoi avoir décidé de les ouvrir plus tard dans le jeu SANS PUTAIN DE PRÉVENIR ?!
C’est quoi l’intérêt franchement ?
Ils avaient peur qu’on ne galère pas suffisamment avec leur jeu chez From Software ?!


Alors je peux encore entendre l’argument qui consisterait à dire que tout l’intérêt de Bloodborne se trouve dans le fait de chercher les choses par soi-même ; qu’on ne nous serve pas tout tout-cuit dans la bouche, pourquoi pas…
Mais c’est quoi l’intérêt par exemple de ne pas expliquer comment convertir les échos de sang en XP ?
Parce qu’oui, moi quand j’ai voulu convertir mes premiers échos comme m’invitait à le faire « la poupée », j’ai choisi la compétence à upgrader puis j’ai appuyé sur « X » comme pour tout jeu normalement constitué. Mais sauf que là non. Quand j’ai appuyé sur « X » le jeu m’a affiché le message : « Compétence non-activée ».
Est-ce que ça voulait dire que je ne pouvais pas convertir mes échos de sang en XP ? ...Bah ouais en fait : c’est bien ce que ça me disait textuellement ! …Sauf que dans les faits la conversion était déjà possible ! C’était juste qu’il fallait appuyer sur la flèche directionnelle vers la droite !
(Ah bah oui ! Mais c’est bien sûr !)


Non mais merde quoi !
Pourquoi je dois toujours ouvrir un tuto ou regarder des let’s play pour comprendre ce qu’il faut faire dans ce jeu ?!
« Ah tiens ? Il y avait un type planqué derrière cette vitre ? Merci Youtube ! »
« Ah bon ? Il vaut mieux mourir à ce boss-là ? Sympa ! Merci d’avoir prévenu ! »
« Oh dis-donc elle est sympa cette attaque ! Merci de me l’avoir apprise parce que ce n’est clairement pas sur cette SALOPERIE DE JEU que je pouvais compter pour apprendre ça ! »
Alors oui j’aurais pu tout tenter, expérimenter, essayer in game
…Mais qui a envie de tenter des trucs dans un jeu aussi punitif et surtout au gameplay aussi rigide, pour ne pas dire approximatif que celui de Bloodborne ?


Parce que – oui aussi – à un moment donné il va falloir quand même qu’on aborde la réalité de ce gameplay.
A ce sujet d’ailleurs, j’ai beaucoup écouté à droite et à gauche ce qui se disait afin de saisir ce que les gens trouvaient de si exceptionnel à cette manière de jouer et notamment à ce qui constitue le cœur du jeu : les combats.
…Et j’avoue que ça m’a quand-même laissé un brin sceptique.
Alors après, certes, je suis malgré tout d’accord sur certains points.
Notamment – oui – je suis d’accord pour dire que le jeu ne récompense pas le bourrinage et qu’en soi c’est cool. Ça nous incite à davantage d’observation et de méthode ; observation et méthode étant d’autant plus facilitées que les patterns de chaque créature se déroulent lisiblement et de manière aisément anticipables.
Je suis aussi d’accord sur le fait que le jeu récompense l’agressivité et que cela incite à insuffler du nerf à notre partie. Le fait qu’on puisse récupérer de la vie en contre-attaquant incite clairement à bannir les stratégies les plus lâches, et c’est encore un point fort louable et pertinent. Ça aussi, donc, je l’entends.
Enfin – dernier point – je peux également rejoindre l’avis de celles et de ceux qui vantent les mérites de ce bon vieux die and retry ; cette logique qui oblige à tester, mourir et t’adapter. Sentir qu’on progresse à chaque essai fait partie des bons points de ce jeu, à n’en pas douter…


…Seulement le souci c’est que, de ce que j’ai pu expérimenter, je ne trouve vraiment pas que Bloodborne créé les conditions optimales pour pleinement tirer parti de ces principes – loin de là – et je m’étonne d’ailleurs du manque de lucidité qui règne sur cette une telle question.
Déjà le premier problème tient au fait que notre avatar est assez délicat à manipuler, surtout au regard de la dextérité exigée.
Il existe bien un système de lock d’ennemi pour compenser la chose mais sitôt les cibles sont plus de deux autour de nous que ce verrouillage part tout de suite à la faute et que ça se retourne tout de suite contre nous.
Alors du coup, au bout d’un moment, on est tenté de vouloir combattre sans lock mais là les légères approximations du gameplay couplées à l’intransigeance totale du jeu font qu’on peut se retrouver à lancer un enchainement à trente centimètres à côté de la cible ce qui, une fois de plus, nous garantit une mort des plus certaines.
Et puis, enfin et surtout, s’ajoute à cela un manque de réactivité des commandes – notamment dans les esquives – qui est assez régulièrement préjudiciable.
Combien de fois ai-je lancé un enchainement de coups avant de vouloir me rétracter en appuyant sur « O ». Mais appuyer sur « O » n’a pas de valeur dérogatoire dans ce jeu. Du coup tant pis : je dois assumer les boutons sur lesquels j’ai appuyé préalablement, quand bien même je ne pouvais pas forcément anticiper le comportement de mon avatar et de mes adversaires au moment de lancer mon attaque.


De toute façon – et de manière générale – ce bouton « O » est clairement le bouton maudit du jeu. Attendre que l’ennemi lance son attaque pour esquiver se fait à nos risques et périls car si on a le malheur d’appuyer un dixième de seconde trop tard, notre avatar ne va pas sauter avec du retard et du coup se faire égratigner par un bout de fourche. Non.
Au lieu de ça le jeu considèrera qu’on a loupé notre fenêtre d’esquive ce qui fera que notre personnage restera immobile à se faire gentiment empaler sans bouger.


Alors après j’entends bien : à force de jouer, de mourir, de réessayer, on finit par sans cesse réduire notre marge d’erreur et ces problèmes se posent de moins en moins. D’accord.
Seulement le souci – et comme je le disais plus haut – c’est qu’à être aussi rigide – et je ne parle pas d’intransigeance hein mais bien de rigidité – Bloodborne ne m’incite personnellement pas à tenter des trucs pour gagner en habilité.
Sitôt la situation gagne-t-elle un tout petit peu en complexité que le jeu laisse beaucoup moins de latitude et de souplesse au joueur, si bien qu’au final, la manière la plus sûre de procéder si on ne veut pas tressaillir dans l’instant, c’est de s’en tenir au plan le plus safe et de n’y déroger sous aucun prétexte au risque de tout perdre.


Ainsi, pour moi, ce jeu nourrit cet étrange paradoxe.
Il semble nous dire : « je ne t’apprendrai rien, démerde-toi par toi-même » tout en nous disant en même temps : « prends pas trop d’initiative ou sinon je te corrige. »
Et je peux encore entendre les discours dithyrambiques qui diront que Bloodborne ce n’est pas si dur que ça et que ce n’est juste qu’une question de méthode, d’art de l’adaptation et de persévérance, mais à ceux-là j’aurais tendance à répondre que de mon point de vue il n’en est rien de tout ça.
Plus que de méthode il est surtout question d’apprentissage par-cœur.
Plus que d’adaptation il est surtout question de répétition.
Et plus que de persévérance il est surtout question de soumission.


Quand bien même je trouve l’univers de Bloodborne intéressant, intrigant et séduisant que je trouve malheureusement en contrepartie son gameplay abêtissant et répétitif au possible.
On passe son temps à dégrouper les ennemis, enchainer les coups et les esquives selon la séquence qu’on sait la plus appropriée à chacun d’eux, puis passer au groupe suivant.
Finalement aucune marge n’est laissée au joueur, en tout cas pas dans les combats, car comme souvent dans les RPG c’est dans la manière de constituer son build qu’on pourra espérer varier les plaisirs.
Mais pour ça encore faudrait-il enchainer les parties, ce que je ne ferai pas.
Et je ne le ferai pas parce que je n’en ai pas envie.
…Et je n’en ai pas envie parce que ce n’est pas ça que je recherche dans un jeu vidéo.


A bien tout prendre, Bloodborne me rappelle juste mes expériences de bachotage pour des examens et autres concours.
En soi, bachoter ne faisait pas de moi un meilleur scientifique ou un meilleur enseignant. Ça faisait juste de moi un meilleur perroquet.
D’ailleurs bachoter n’était pas plaisant en soi. Ce qui était plaisant c’était de sentir qu’on était en train de surmonter l’épreuve ; qu’on était en train d’accomplir ce que d’autres n’allaient pas réussir à faire avec autant de soumission que nous, et qu’à la fin on serait récompensé à la hauteur de notre avilissement.
Au fond, il y a dans cette satisfaction celle de sentir une forme de promotion sociale. Celle d’avoir obtenu ce que les autres n’ont pas su obtenir aussi bien que nous et cela tout simplement parce qu’ils n’ont pas été prêts à se soumettre à autant d'exigences que nous.
…Dit autrement, Bloodborne stimule en nous notre côté bon-élève – pour ne pas dire « fayot de la classe » – qui jouit simplement des bons points que lui donne le maître.


Le pire c’est que j’ai vraiment l’impression que From Software a parfaitement conscience de cette mécanique et qu’il l’assume jusqu’au bout.
Ne pas expliquer ce qui relève pourtant de l’essentiel. Laisser le joueur galérer. Poser la douleur et la difficulté comme des gages d’exigence, voilà autant de choix qui ne sont pas dictés dans l’intérêt de la découverte du gameplay mais bien dans l’intérêt de la sélection des joueurs parmi celles et ceux qui accepteront de se plier ou pas.
Bloodborne n’aspire pas à ce qu’on le joue au mieux. Bloodborne aspire juste à ce qu’on se soumette entièrement à lui et qu’on l’accepte sans discuter.


Parce que si Bloodborne avait voulu qu’on le joue au mieux, alors d’autres choix auraient pu être envisagés, et cela pour une toute autre expérience à l’arrivée.
Introduire un peu plus de tutos mais aussi un peu d’assistance dans les ciblages d’ennemis, prioriser les derniers imputs par rapport aux premiers, diversifier davantage les possibilités d’attaques, favoriser davantage le mouvement…
Tous ces choix auraient rendus le jeu plus accessible sans forcément le rendre plus facile, de la même manière qu'en disposant des points de sauvegarde plus proches des boss il aurait inévitablement réduit cette sensation de lassitude d'avoir à se recoltiner en permanence des combats inintéressants avant de charbonner à nouveau sur notre véritable enjeu de partie.
…Mais bon, d'un autre côté le nerf de la guerre de From Software est peut-être justement là : ne pas être trop accessible… Ou du moins n’être accessible que pour ceux qui ont accepté d’en payer le prix.
…Qui ont accepté de verser le sang.


…Et le pire c’est que ça marche.
Parce qu’en effet, celles et ceux qui, au fond, acceptent d’aller au fond de ce jeu sont par définition celles et ceux qui ont fini par l’accepter en son entier, et cela sans en discuter le moindre aspect.
Face à Bloodborne, on ne peut avancer sans se soumettre parfaitement. Et si on n’accepte pas ça, on finit par faire comme moi : on arrête.
…On arrête et on regarde le reste en walktrough sur YouTube.
(Ce qui sera d’ailleurs une très belle occasion donnée à tous de juger par eux-mêmes du niveau d’intrigue et de narration de ce jeu qui est loin d’être aussi phénoménal que certains auraient tendance à le dire… Comme quoi, la soumission…^^)


Alors après – au-delà de ça – entendons-nous bien : je comprends pleinement qu’on puisse prendre son pied à Bloodborne et qu’on trouve une forme d’accomplissement à le parcourir.
Je suis d’ailleurs loin de dire que ce jeu est une totale imposture, bien au contraire. Je ne reviendrai d’ailleurs pas sur les sérieuses qualités que je lui reconnais.
Par contre, à l’inverse, je pense qu’il ne faut pas non plus trop perdre en lucidité sur ce qu’offre réellement ce jeu.
Les rares à s’exprimer à son sujet sont souvent celles et ceux qui ont accepté de boire le sang jusqu’à la lie, d’où cette puissante impression d’unanimité dans la frénésie.
En même temps pourrait-il en être autrement ?
Avec des méthodes aussi drastiques pour éjecter tous les indécis, From Software ne peut que réduire au silence celles et ceux qui sont restés au pas de la porte.
Qui oserait s’exprimer sur une maison dont il n’a pas vu l’intérieur ?


Or c’est peu dire si, du coup, tout ça biaise un peu le game.
A réduire la position de celles et de ceux qui n’ont pas apprécié ce jeu à la seule posture du « de toute façon ils n’étaient pas faits pour ça », on échappe à toute forme de lecture vraiment critique à l’égard de ce jeu, ce dont pourtant – je pense – Bloodborne et ses adorateurs auraient besoin.
…Car à encenser sans clairvoyance, on en vient à ne plus voir ce qu’on encense vraiment.
Et autant je peux encore une fois entendre qu’on se soit laissé prendre par cette aventure « lovecraftienne » à l’univers fort séduisant, qu'en contrepartie j’avoue m’étonner qu’on se refuse à ce point à considérer l’aliénation dans laquelle nous plonge irrémédiablement ce gameplay plutôt pauvre, répétitif et malmenant.


…Mais d’un autre côté n’était-ce pas justement là toute la démarche assumée de From Software ?
Nous corrompre par le sang.
Nous faire perdre toute lucidité.
Nous conduire sur le chemin de la folie…
…Et faire de ceux qui pensaient s’être pourtant émancipés par le sang les esclaves d’un jeu qui a su les soumettre et les avilir.


Alors après si certains s’y retrouvent tant mieux mais moi, de mon côté, ce n’est pas ça qui me fera oublier ce que j’aime dans le jeu vidéo et surtout ce que je n’aime pas.
Or à ce sujet-là, Bloodborne n’est clairement pas ce loup blanc dont on nous disait qu’il annonçait la révolution…
…Une révolution par le sang.


Non, Bloodborne n’est pas une révolution. Ni narrative et encore moins ludique.
Il est juste un charme. Une jolie sorcellerie.
…Mais une sorcellerie qui se brise sitôt l’ausculte-t-on dans un miroir.


Alors désolé de le dire aussi crument mon p’tit loup, mais pour espérer me séduire à l’avenir, je crois qu’il y a encore beaucoup à accomplir.


Comme quoi, un cauchemar, ça peut très vite changer de camp… ;-)

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le 17 sept. 2021

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