Diriez-vous qu’une série de JRPG datant de 1987 est vieille ? Si la réponse est oui vous venez bien malgré vous de me qualifier de vieux car il se trouve que je suis né la même année que Megami Tensei. (Le préfixe « Shin » n’arrivera qu’à partir de 1992). Comme si mes cheveux grisonnants et mes rides sous les yeux ne suffisaient pas à me le rappeler chaque jour me voila à écrire sur cette licence dans la force de l’âge qui se bonifie tel un bon vin. (Oui le but de cette phrase est de m’auto flatter mais c’est ma critique et je fais ce que je veux !).
Série de JRPG obscure vivant dans l’ombre des mastodontes Final Fantasy et Dragon Quest, la saga a pourtant de nombreux fans et il est bien possible que son nom ne vous soit pas inconnu. Le succès tonitruant d'un certain Persona 5 a bien aidé puisque pour rappel la saga Persona est un spin of des Megaten.
2021 est une année importante pour la branche principale qui s’est faite plutôt discrète ces dernières années. Un épisode canonique de SMT ça n’arrive pas tous les quatre matins. Alors que le 3éme opus est arrivé en 2003, le 4éme lui n’est sorti qu’en 2013. Et 2021 verra logiquement l’arrivée du tant attendu 5éme épisode. Il y a bien eu quelques jeux de la saga sur 3DS mais un épisode numéroté c’est un petit (gros) événement pour les fans.
Pour occuper le terrain et faire un appel du pied aux nouveaux venus, Atlus décide de ressortir celui qui est considéré par de nombreux fans comme le meilleur épisode : Shin Megami Tensei III Nocturne. Lors de sa sortie sur PS2 en europe il avait été sous titré Lucifer’s Call au lieu de Nocturne. Mais si vous savez ? Avec la grosse pastiche collé sur la boite pour annoncer « Dante de Devil May Cry » en guest. L’histoire devint une légende. La légende devint un memes sur les internets. La ressortie de ce jeu est l’occasion pour moi d’écrire sur une des œuvres étapes de mon parcours de joueur.
Je vais tenter de vous expliquer pourquoi SMTIII est un grand jeu qui ne fera rien pour vous montrer qu'il est un grand jeu.
A EN PERDRE LA RAISON
Vous êtes un muet inexpressif. Pardon. Vous êtes le héros japonais. Oui c’est mieux comme appellation. C'est-à-dire un lycéen qui va devoir sauver le monde. Ah bah non trop tard il a été détruit dans les 30 premières minutes de jeu alors que vous et vos amis rendiez visite à votre professeure à l’hôpital. A votre réveil, un étrange tandem de personnages (apparaissant tantôt comme un petit garçon accompagné d’une vieille dame tantôt comme un vieillard accompagné d’une jeune femme) va vous octroyer des pouvoirs et une apparence démoniaque. Le monde a été détruit, seul subsiste Tokyo qui s’est recroquevillé sur lui-même formant une carte sphérique. En son centre Kagutsushi, une sorte de soleil / dieu a fait son apparition. Il attend qu’un élu lui apporte une « raison » afin de recréer un nouveau monde. La « Raison » est en fait une vision, une idée voir une idéologie d’un nouveau monde. Tout au long du jeu vous croiserez ou recroiserez divers personnages ayant la leur et ils vous interrogeront sur vos croyances et convictions. Comment imaginez-vous un tout nouveau monde ? C’est vos réponses qui donneront la direction et l’orientation morale de votre personnage. Et c’est ces mêmes choix qui découleront sur une fin plutôt qu’une autre.
L’ambiance du titre est très sombre et disons le parfois déprimante. Les villes sont vides, peuplées uniquement de démons et de quelques âmes humaines errantes. Les décors sont austères et froids. L’aventure se fait de façon solitaire. Certes vous composez votre équipe en recrutant des démons durant les combats mais il n’y a aucune interaction lors de votre aventure. Votre héros poursuit sa quête. Seul, tel un témoin du parcours des autres. Mais c’est cette désolation qui donne tout son charme et son identité unique a l’univers de SMTIII. Le jeu n’a rien de classique, il ne suit aucun schéma déjà vu ailleurs et assume son austérité. Les quelques rares personnages du jeu ne sont pas manichéen et ont chacun un caractère différent voir énigmatique qui caractérise justement leur raison, leur envie d’être l’architecte du nouveau monde. Le jeu n’est pas des plus bavards, ne vous attendez pas à des centaines de lignes de dialogues et un scénario ultra verbeux. Au contraire, il peut même s’avérer si économe qu’à certains moments il peut être difficile de savoir ou aller et que faire. Les cut scène sont pour la plupart des monologues auquel assiste notre héros silencieux avant de repartir. C’est un parti pris qui peut paraitre étrange mais qui correspond à cette volonté de laisser au joueur le choix de s’orienter vers tel ou tel raison ou au contraire de les rejeter toutes.
HD ECO+.
La remasterisation du jeu n’est pas vraiment un modèle du genre et soyons honnête Atlus s’est contenté du minimum syndical. Pire, sur Switch le jeu rame a pas mal de reprises (en docké). Pourtant l’état calamiteux de cette version Switch ayant fait pas mal de bruit à sa sortie au japon, Atlus avait déployé plusieurs patchs pour stabiliser la situation et c’est la version « améliorée » qui arrive chez nous. Et bien ça fait peur d’imaginer ce qu’il en était initialement. C’est bien simple le jeu est moins stable que sur PS2. Chaque fusion de démon rame (quasi systématique). Certains sorts ont fait ramer la console (moins courant) etc. Les cinématiques sont d’époques et compressées à un point juste déguelasse (désolé mais il n’y a pas d’autres mots)… Ce n’est pas injouable heureusement mais ça semble plutôt fainéant et bâclé. Alors tout n’est pas si noir, les modèles 3D des personnages et des démons ont été améliorés par exemple mais ça me parait être le minimum pour prétendre à l’appellation « HD » de cette version. Je n’ai pas d’infos concernant la version PS4 mais peut être sera-t-elle préférable. Point positif par contre, la traduction FR a été complètement refaite et elle surclasse celle d’origine. Discuter avec les âmes errantes c’est parfois l’occasion d’avoir une punchline pleine d’aigreur, désagréable mais pourtant drôle. Un bilan technique assez décevant sur Switch pour un jeu qui mériterait tellement mieux. On fini par s’y faire et on se console en ayant désormais ce jeu au creux de la main mais c’est tout de même dommage.
Par contre s’il y a quelque chose qui ne vieillit pas ce sont les choix artistiques d’époques. Le jeu est assez épuré que ce soit en termes de modélisation des personnages ou des décors. Les personnages ont un coté lisse et les designs de Kazuma Kaneko ainsi que ces visages de porcelaine tres caractéristique sont toujours aussi percutants. Les décors étant tres cubiques et simpliste il ne subisse que peu les outrages du temps. Par contre on reste face à une version HD d’un jeu PS2 n’attendez donc pas de miracles. L’artistique semble inaltérable et toujours aussi saisissant. La technique, elle, témoigne tout de même de presque 2 décennies de progrès dans les dents.
Enfin, si cette bande son constitue un des premiers fait d’arme majeur de Shoji Meguro, on sent déjà la patte du maitre. Les claviers ambiants des villes fantômes laissant rapidement place aux guitares électriques pour des joutes endiablées.
LE PRESS TURN NIVEAU EXPERT
Le jeu repose sur le désormais connu système de combat « Press Turn ». C’est d’ailleurs cet épisode qui l’a initié, preuve s’il le fallait de l’importance qu’a eu le jeu dans la saga. Pour faire simple il s’agit d’un système au tour par tour dans lequel exploiter les faiblesses élémentaires des ennemis octrois d’avoir le droit d’effectuer plus d’actions au sein d’un même tour. Exemple : un de vos personnages utilise un sort de feu sur un ennemi sensible à cet élément, alors il pourra rejouer une fois avant que ce ne soit le tour de l’ennemi. Si vous avez d’abord connu Persona avant SMT alors oui il s’agit du même système de combat. Et pourtant la philosophie en est tout autre. Il y a quelques différences notables. Par exemple recruter un démon est beaucoup moins simple, ici il est très courant qu’en cours de négociation ce dernier fuit. Le taux de réussite est beaucoup moins élevé qu’un Persona. Ensuite, si utiliser la commande de base « attaquer » était suffisant dans Persona, ici il va falloir exploiter les faiblesses des ennemis pour le moindre combat à moins d’avoir beaucoup de niveaux d’avances sur eux. (Ce qui ne devrait pas vous arriver bien souvent vu qu’ils sont généralement costauds). Enfin, arrivé à environ la moitié du jeu, même exploiter les faiblesses ne suffit plus (contre les boss). La saga accorde une grande importance aux sorts de buff/debuff. Ces sorts qui vous permettent d’augmenter temporairement vos statistiques ou baisser celles des adversaires. C’est un aspect qu’il est vital de prendre en considération car chaque personnages ne pouvant avoir que 8 sorts/attaques/techniques (8 au global et non pas 8 de chaque) on est vite tenté de tout miser sur les sorts élémentaires ou de soins. Un conseil : soyez polyvalent. 2 sorts élémentaires, 2 buff/debuff, 1 affliction etc… Variez vos possibilités pour palier à toutes les éventualités.
La difficulté des combats et notamment celle des boss font que SMT exploite bien plus ce système qu’un Persona qui souhaite rester plus accessible. Certains d’entre eux requièrent des techniques bien particulières et précises pour être vaincu. Ici un boss multiple où tous les ennemis doivent être tués dans un même tour pour éviter qu’un survivant ne ressuscite tout les autres, la un autre qui change d’élément à chaque tour... Certains relèvent finalement plus du puzzle stratégique qu’autre chose et c’est foutrement malin. Cependant attention car certains d’entre eux sont de véritables murs de difficultés. Le célèbre Matador a traumatisé une génération de joueur en déboulant au bout d’à peine 6 heures de jeu et en semblant insurmontable. Un premier palier de difficulté qui vous annonce alors qu’il va falloir vous faire une équipe adaptée à lui et le vaincre en réalité facilement. Globalement, les vaincre du premier coup n’est pas vraiment garanti, la première confrontation permet surtout d’analyser leurs techniques et de revenir âpres un game over avec ce qu’il faut pour les vaincre. Un aspect Die and Retry qu’il faut accepter sous peine d’être frustré.
Votre héros pourra ingérer des « magatamas ». Ce sont des sortes de vers qui déterminent l’affinité élémentaire de votre protagoniste. Lors d’un level up vous débloquerez un sort de l’élément du magatama équipé. Vous pouvez donc tout à fait en changer au dernier moment afin de construire votre personnage comme bon vous semble. Attention toutefois, si les HP de votre personnage tombent à 0 c’est un game over immédiat même si vos autres personnages sont encore debout.
A un certain stade de l’aventure, vous aurez accès à un donjon optionnel. Le labyrinthe d’Amala. Il est composé de 5 étages qui se débloquent en utilisant des menoras. Des objets que l’on obtient en affrontant les « maudits ». Certains se dresseront contre vous lors de l’aventure mais d’autres sont à trouvé par vous-même. Sachez que chaque affrontement contre l’un deux doit être bien préparé car ce sont de redoutables adversaires. Ce labyrinthe accessible par le biais de n’importe quel point de sauvegarde vous permet de suivre une trame parallèle qui vous apportera des informations supplémentaires sur le scénario mais aussi, si vous parvenez à le finir avant d’entrer dans le dernier donjon du jeu, à une autre fin. Clairement il s’agit de la plus complexe à obtenir. Le labyrinthe porte bien son nom et est tres difficile à la fois par son architecture que par les ennemis qui l’habitent. Vous allez vous perdre, vous ne pourrez sauvegarder qu’entre les étages et il recèle de nombreux pièges bien vicieux (mais aussi de belles récompenses…). Le finir c’est emprunter une route qu’il ne sera plus possible d’annuler. C’est aussi l’obligation d’affronter un 2éme boss de fin après le 1er. Je vous le mets dans le mille. Une purge. Déjà que le boss de fin de base demande un bon level 90 pour être vaincu, devoir en enchainer un 2éme encore pire est réservé aux âmes les plus courageuses adeptes du 100%.
« GIT GUD »
Vous l’aurez compris, le mot « difficile » n’a de cesse de revenir au fil de cette critique.
Avant de se lancer il faut bien comprendre que les développeurs ne vous veulent pas du bien. Le nombre d’idées pour vous troller dans ce jeu est assez indécent. Je ne vous parle pas d’un petit coup de coude taquin pour vous chambrer. Je parle du sale piège immonde et injuste qui peut vous faire perdre 1h de jeu. L’âpreté du gameplay est une composante de l‘identité de la saga. Je vais vous présenter une mécanique constante du jeu. En plus des éléments feu/eau/foudre/vent, la saga incorpore les sorts de lumière/ombre. Contrairement aux autres, ces sorts n’infligent pas des dégâts mais ont un faible pourcentage de chance de tuer instantanément. Et cela marche aussi bien pour les ennemis que vous-même. Imaginez un combat aléatoire se lance, vous êtes pris en embuscade et l’ennemi joue premier, il lance ce sort, votre personnage principal meurt : Game Over. Vous n’avez rien pu faire. La probabilité est faible mais elle existe.
Autre exemple, vous venez de finir un long donjon, au bout de celui-ci une âme vous propose de vous soigner, ça tombe bien car après le combat de boss vous êtes un peu amoché, vous acceptez. Dommage vous vous évanouissez et êtes ramenés au début du labyrinthe.
Coffres piégés, sol piégé, sorts de morts instantanés, démons qui fuient un combat en cours de négociation alors que vous leur avait offert 2 objets et de l’argent, des combats aléatoires tous les 5 pas, quasi aucune zone safe, des boss increvables, des objectifs peu clairs… Shin Megami Tensei III est un jeu hostile et aride. Il n’y a vraiment pas de comparaison entre la difficulté d’un Persona et celle d’un Megaten. Le système de combat à beau être le même, le niveau de maitrise requis lui ne l’est pas.
Si j’ai titré ce paragraphe « git gud » ce n’est absolument pas par adhésion à cette mentalité du « si tu n’y arrive pas c’est que tu n’es pas assez bon ». Oui il va falloir maitriser le système au tour par tour, le fameux « Press Turn ». Et le jeu va obligatoirement vous amener à le maitriser. Mais ce sera au prix de déculottées inévitable. J’ai beau connaitre ce jeu comme ma poche et en être à ma 4éme partie, les game over sont survenus à quelques reprises.
Petite aparté concernant les « ajouts » de cette version. Contrairement à notre version d’époque comprenant le personnage de Dante, ici, nous avons droit au personnage de Raidou. Ce dernier est le héros de la série Devil Summoner, une autre branche des Shin Megami Tensei. Un choix qui ,à mon sens, est beaucoup plus cohérent puisque issu du même univers. Cependant il est également possible de revenir à Dante moyennant… 9,99€ ! Atlus faisant du Atlus, une série de DLC sont au programmes. Dante remplaçant Raidou donc, mais aussi des musiques issues d’autres jeux de la license. Il est aussi possible d’ajouter 2 « donjons » supplémentaires afin de farmer facilement XP et argent. Ceci pour la coquette somme de 6,99€. Et pour finir un mode facile gratuit à télécharger.
Loin de moi l'idée de vous dire comment jouer à SMTIII. Cependant mon conseil est le suivant : Ne prenez aucun de ces DLC. Déjà par principe parce que payer pour des choses aussi futiles qui aurait pu être directement intégrés c’est non. Mais surtout les dlc visant à simplifier l’expérience la dénature énormément. Le mode facile est extrêmement facile rendant le jeu fade. Même chose pour les donjons payants afin de farmer xp et or.
N’hésitez pas à faire le jeu avec un guide, une soluce ou autre mais faite le tel qu’il a été conçu pour vivre la vraie expérience SMT. Vraiment.
L’ajout d’une « sauvegarde n’ importe où » est également à noter bien qu’elle soit quasiment inutile. En effet il n’est possible d’utiliser la sauvegarde rapide qu’avant de quitter le jeu et la recharger l’efface. Utile au beau milieu d’un donjon lorsque l’on doit quitter précipitamment mais c’est tout.
CONCLUSION
J’ai relu cette critique à de nombreuses reprises et j’en ressors toujours avec la sensation de vous dire « n’y allez pas vous allez chier du sang ». Pourtant mon souhait c’est que plus de personnes s’y frottent (et s’y piquent). Il faut juste savoir où on met les pieds. C’est un jeu exigeant mais qui recèle de nombreux trésors. Il ne vous prend pas par la main et vous fait confiance pour vous débrouiller. On pourrais même y voir la même philosophie que les Souls en version JRPG. Apprentissage par l'échec, victoire grisante en conséquence, narration cryptique et économe...
Le JRPG c’est souvent une bande d’ados qui par la force de l’amitié va sauver le monde d’un grand méchant tout en accomplissant des tonnes de quêtes pour rendre service à tout le monde. Vous l’aurez compris à la lecture de cette critique, ce jeu ne fera rien comme les autres. Vous n’allez pas sauver le monde, il est trop tard. La quasi-totalité des humains ont disparus c’est terminé. Vous n’allez pas vous faire des nouveaux amis en voyageant de ville en ville. Aucun ami ici, vous ne recruterez que des démons au prix de couteuses négociations, comme l’on engagerait un mercenaire. Ce sont des démons. Ils ne vous suivent pas par admiration et ils ne vont pas parler de nourriture en ricanant entre 2 dialogues. Vous n’allez pas faire de quêtes secondaires pour rendre des services. Tous ces poncifs du JRPG traditionnel, Shin Megami Tensei 3 les balaie d’un revers de la main. Il vous propose une quête afin de façonner un nouveau monde dans un univers impitoyable et désespéré. Une aventure sous forme de chemin de croix, où la difficulté des épreuves confère les plus belles des victoires. Apocalypse, ésotérisme, démonologie… Vous êtes sur le seuil entre l’ancien monde et le nouveau. Quel visage choisirez-vous de lui donner ?