Telltale a-t-il pris le melon après le succès (mérité) de la première saison ? Cet épisode d'introduction comporte, sur le papier, tous les ingrédients qui ont fait le succès des aventures de Lee et Clementine. En pratique toutefois, la mayonnaise prend nettement moins bien. Les plus ardents défenseurs de la série pourront arguer que l'épisode pilote, lui aussi, n'était pas terrible : c'est faux, "A New Day" présentait de la plus élégante des manières son univers alors neuf et inexploré. "All That Remains", lui, se débrouille pour partir sur de solides bases et n'en faire pas grand-chose, si ce n'est crâner avec une direction artistique mûrie – lorgnant sévèrement du côté de Frank Darabont. L'objectif des développeurs semble à peine voilé : maintenant, on joue au film, en l'occurrence à la série télé, et tout doit être plus cinématographique, plus spectaculaire, plus larmoyant. On va voir si les épisodes suivants vont continuer sur la même voie, mais cette nouvelle direction n'augure pas du meilleur. Surtout si on considère que ça coince aussi à beaucoup d'autres niveaux.
Première bêtise, ou en tout cas ce qui y ressemble beaucoup pour l'instant : faire de Clementine l'héroïne de cette nouvelle saison. Dans la première, c'était une petite fille vulnérable mais courageuse, que le joueur avait pour devoir de protéger, et qui, quelquefois, l'aidait. Désormais, Clementine explose les deux pôles du caractère qu'elle avait auparavant, à l'image de la Lara Croft du reboot de Tomb Raider : elle est à la fois très vulnérable et très courageuse. Comme une volonté de verser dans le pathos, où la fillette subit les pires supplices et y survit de la plus belle des manières. Le hic, c'est que ce n'est pas cohérent et que la plupart des scènes sont si émotionnellement chargées qu'elles en deviennent indigestes. Plus grave, le statut de Clementine (même pas une ado) entre en contradiction totale avec l'idée même de héros dans un monde gouverné par les adultes : jeu vidéo oblige, elle se voit confier des quêtes, des responsabilités, mais à aucun moment on ne comprend pourquoi des adultes mûrs et responsables s'en remettent à ce point à elle ! Lee fonctionnait comme héros, car il était l'égal des autres personnages qui pouvaient s'en remettre à sa robustesse. Ici, la logique même des rapports entre les personnages est rompue, rendant chaque quête ou mission totalement carnavalesque, criant son inadéquation avec l'univers voulu réaliste. Le plus mauvais point, pour l'instant, est à adresser à la mise en place de ces fameuses quêtes, qui recourent à des artifices bidon (untel ne se sent pas bien, un autre boude, parfois encore c'est la bonne vieille ellipse de cochon). Il faut voir Clementine survivre, dans les premières minutes, à une somme de tuiles toutes plus sordides les unes que les autres, pour se faire mener par le bout du nez par une bande de rednecks plus inoffensifs que le vieil acariâtre de la saison 1. Pour les besoins du scénario, Clementine passe de docile à rebelle, sans que l'on ne capte une réelle logique autre que celle du pur spectacle (bon sang, la voir bousiller du zombie à mains nues pour l'entendre la minute d'après sangloter parce qu'un paysan lui a dit qu'elle était vilaine...).
Il semble qu'on doive aussi compter avec un nouveau groupe de survivants. On est bien mal barré avec ce nouvel épisode, qui introduit donc une bande de pieds nickelés si détestables et bêtes qu'ils finissent par provoquer la lassitude. Par rapport au cadre du jeu, on se demande vraiment comment ils ont fait pour survivre jusqu'ici : ils se détestent tous les uns les autres, se comportent de façon totalement irresponsable, affichent presque immédiatement une dépendance absolue à l'aide d'une fillette de dix ans. Douloureusement nul. L'incohérence suprême est certainement de les rendre tous extrêmement méfiants vis-à-vis de la nouvelle arrivante, pourtant haute comme trois pommes, blessée et suppliante : ils l'insultent en pleine face, la rendent responsable de tous leurs maux (alors qu'il y a une petite fille dans le groupe, lol, en fait), la parquer dans une remise et la laisser se vider de son sang... c'est peut-être pas un peu, beaucoup ? On a tous immédiatement envie de les détester, ce qui n'était pas prévu par les développeurs qui ont quand même essayé de leur montrer un peu d'humanité. Mais tant de lâcheté, tant de bêtise humaine, tant de clichés, c'en est trop, d'autant que les situations elles-mêmes reposent sur des lieux communs énervants et recourent à des techniques vues et revues pour susciter l'émotion, qui tiennent plus du Heavy Rain que du Walking Dead pure souche. La progression elle-même est soumise à un enchaînement de péripéties qui ont été posées là pour choquer, pour émouvoir, sans qu'apparemment personne ne se soit soucié de leur propre cohérence entre elles, du rythme de leur enchaînement... Ça va très vite, c'est souvent très con, ça pose des personnages et des lieux à la volée, et tout, dans le soin qui est accordé à leur doublage, à leur modélisation, à la manière dont ils sont cadrés pendant les dialogues, laisse croire que ces nazes des champs seront bien les protagonistes des épisodes à venir. Brr.
On serait méchants en disant que rien ne fonctionne, car ce premier épisode propose quelques idées sympa : la séquence du chien (surprenante), une colorimétrie indéniablement plus élégante (quoique, aussi, plus commune), une poignée de QTE de survie pas inoubliables mais qui fonctionnent bien dans le feu de l'action. Maintenant, il reste à prouver à Telltale que cette saison retrouvera le même sens du rythme, le même dosage admirable entre calme et action, la même écriture fine de ses personnages... Le premier épisode de la saison 1 proposait de bien meilleures bases que ce premier épisode de saison 2, lequel, avec ses situations à la fois trop rocambolesques et trop prévisibles, tient plus du numéro de charme lacrymal que du cadeau que l'on attendait à l'adresse des fans. Même les marcheurs font un peu pitié, eux qui débarquent exactement au moment où l'on s'y attend, alors même que leur présence est totalement incohérente, poppant de n'importe où, simplement parce qu'il y avait besoin d'un peu d'action après la minute de calme syndicale. Tout ça ne rime pas à grand chose, tout ça fait un peu pop corn et racoleur, tout ça cherche plus à traumatiser la ménagère qu'à reproduire le rythme et le style si particulier de la première saison. Mais le vrai problème pour l'avenir, c'est qu'on imagine assez les problèmes de cet épisode 1 se reproduire, car propulser Clementine en héroïne, avec son petit minois de jeune fille frêle mais déterminée, ne cadre ni avec l'univers, ni avec le ton, ni même avec la logique de narration la plus basique où l'on est radicalement empêché de s'attacher aux personnages secondaires. A ce niveau, le seul moyen pour rendre crédibles les personnages et leurs interactions serait peut-être encore de transposer l'histoire dans une cour de récré...