D'entrée de jeu, A Plage Tale: Innocence détonne surtout par sa thématique et, ça, ça fait quand même plaisir. J'ai beau ne pas avoir la science infuse, j'ai tout de même une trentaine d'années de jeu vidéo derrière moi et j'ai donc rarement vu un jeu évoquer de près ou de loin ce thème historique... ce qui apporte un peu de "fraicheur", même si le terme n'est pas vraiment adapté au sujet, j'en conviens. Le jeu propose ambitionne donc de s'aventurer sur le terrain et de la Grande peste - et de son indissociable prolifération de rats affamés transmettant rapidement ladite maladie aux humains - qui a ravagé notre bonne vieille Europe au 14ème siècle et de l'Inquisition. Deux menaces qui viendront mettre fortement à mal la destinée de deux jeunes héros malmenés, Amicia, l'aîné, et Hugo, son petit frère atteint lui-même d'un mal qui l'a isolé le plus gros de sa courte vie.
Tout commençait bien pourtant : une randonnée dominicale avec le paternel et le bon chien de famille, un environnement automnal des plus relaxant, lorsque tout bascule en un rien de temps pour la jeune Amicia qui se voit prématurément en charge de son petit frère afin d'échapper à l'Inquisition. Face à une violence inédite, le jeu vient rapidement mettre un terme à la jeunesse et à la candeur des deux protagonistes (d'où la mention "Innocence" du titre du jeu). Certes, c'est dur (pour eux), mais c'est surtout intéressant à suivre (pour le joueur). C'est ainsi que débute cette mésaventure où aucun faux pas ne sera pardonné.
Comme souvent dans un jeu très narratif, la liberté offerte au joueur est souvent plus limitée qu'à l'accoutumée. Et c'est évidemment le cas ici, devenant un point fort pour certain, et un point faible pour d'autre ; il s'agit donc d'un parti pris (que l'on imagine très bien être dans les faits être une restriction de budget/de ressources humaines pour en faire un jeu plus généreux, mais soit) plutôt cohérent pour permettre de générer une tension permanente. Tension qui, d'ailleurs, est sacrément bien mise en musique grâce aux compositions d'Olivier DeRivière qui va faire ici et là grincer des violons pour accompagner l'apparition très régulières de ces tsunamis de rongeurs noirs et voraces. Pas forcément agréable à écouter en solo, assurément, mais ça vient sacrément bien accompagne un sound design qui s'avère très convaincant.
On est donc loin d'un jeu rejouable mais plus d'une proposition dont l'originalité vient donc de la rareté de son thème et de l'audace de ces auteurs d'avoir voulu l'exploiter. En outre, l'un des intérêts du jeu vient essentiellement de la fragilité des personnages contrôlés : Amicia n'ayant, pour lutter frontalement, qu'une modeste fronde - qui va s'améliorer progressivement, heureusement - qui prend plus ou moins de temps à être "rechargée" et Hugo ne pouvant rester trop longtemps seul sous peine de déclencher une phase de détresse, forcément inadéquate lors des nombreuses phases d'infiltration. Si le matériel s'améliore au fur et à mesure de la progression, grâce à divers ingrédients récoltés sur le chemin, on retiendra aussi une petite dimension alchimique plutôt sympathique qui viendra varier le panel des projectiles d'Amicia. En outre, le jeu propose, par moments, des alliées, variés, et souvent très utiles. Le tout permettant d'épaissir un peu le background.
S'il faudra composer avec l'environnement pour éviter les soldats de l'Inquisition, les seuls pouvant être atteint étant les rares adultes sans casque, c'est avec des sources de lumières (très bien réalisées), fixes ou non, que les deux jeunes enfants pourront traverser les rivières de rats. Et je parlais de "tsunami", plus haut, et juste avant de "rivières", ce n'est pas pour rien puisque la physique organique de ses amas grouillantes est plutôt réussie, dans l'ensemble, et offre un réel sentiment d'envahissement avec un côté liquide. Bon, effectivement : ce n'est pas toujours parfait, les rats donnant l'impression de se heurter à un mur invisible dès lors qu'ils atteignent la limite de l'obscurité, mais l'ensemble est plutôt sympa et génère ce qu'on attend de lui : une oppression constante.
Et, je vois, à l'heure de ces lignes, qu'un deuxième opus, sous-titré "Requiem", va voir le jour et prendra suite presque directement à la fin de ce premier volet. L'idée me plait, les deux personnages auront grandit (ça me spoile un peu sur leur devenir à l'issue d'"Innoncence" mais bon, le jeu étant sorti en 2019, c'est un peu ma faute aussi !). Amicia troquera sa fronde pour une arbalète : certainement plus efficace contre ses homologues humains, moins pour les rats -
bien que le pouvoir d'Hugo aura sans doute pris une autre dimension, j'ai hâte de voir le résultat ! - et les environnements ont l'air absolument magnifiques. Et sur ce plan, ce premier opus s'en sort admirablement, l'ensemble est d'assez bonne facture, surtout qu'il s'agit dit-on d'un moteur graphique maison (cela donnant tout naturellement un cachet et une personnalité contrairement à ces titres qui utilisent continuellement les moteurs populaires comme Unreal Engine). Je pourrais pester sur le manque d'animation faciale mais la chose étant contrebalancée par un très bon doublage français et le fait que la majorité de l'action se fait de dos, ce qui gomme un peu la chose. Bref, voilà, une belle surprise, j'en attendais absolument rien et j'ai finalement passé un bon moment. J'aime quand le jeu vidéo, et l'industrie culturelle très globalement, me surprend, et c'est le cas ici. Bien joué.