Ce n’est pas la première fois qu’on nous aura fait le coup, et ce ne sera pas la dernière fois où je me ferai avoir comme un perdreau du jour.
C’est vrai qu’en cette période où se multiplient les jeux interminables qui s’étendent dans des mondes ouverts jusqu’à l’infini, ça me séduit toujours ces titres qui semblent nous promettre des expériences poétiques brèves, épurées et tendres.
A première vue, cet Arise : A Simple Story avait tout pour satisfaire cette promesse, même modestement. Une belle direction artistique, un cheminement contemplatif et mélancolique, le tout couplé à ce qui semblait être une belle idée de gameplay : pouvoir interagir avec le temps qui passe
…Seulement voilà, n’est pas Journey qui veut.


Ah Journey
C’était en 2012. Plus de dix ans. Une éternité à l’échelle du jeu vidéo…
Je m’en souviens comme si c’était hier. A l’époque, il avait su saisir tout le monde. Alors qu’on était justement à ce moment où les univers de jeu comme le temps des parties enflaient démesurément, le jeu de Jenova Chen avait su s’imposer en suivant le chemin strictement opposé.
Linéaire, épuré, sans opposition. Court.
Juste du cheminement et l’expérience de ce cheminement. Sans fioriture.
Un chef d’œuvre. Une bouffée d’air frais.
Tout ça avait l’air si simple à l’époque qu’il était évident que d’autres prendaient la peine de s’engouffrer dans ce sillon tout tracé…
…Mais bon, encore et toujours, n’est pas Journey qui veut. Et c’est au fond ce que m’a très vite rappelé cet Arise.


Pourtant, à première vue, tout semble y être.
Traits doux. Couleurs pastel. Musique délicate au piano. Le jeu commence sur un monticule de neige sur lequel brille un splendide ciel étoilé.
Une interface délicate nous invite alors à activer le stick R afin qu’on se saisisse tout de suite de ce qui sera l’élément central et saisissant du gameplay : le stick fait défiler le temps à toute vitesse, façon timelapse.
On active le mécanisme et le soleil finit par se lever. La neige fond, notre avatar fait son apparition. Un vieil homme bien costaud mais aussi bien seul.
Dès lors les niveaux vont s’enchainer, chacun jouant différemment de cette horloge du temps, faisant transiter notre espace de jeu entre deux états, deux moments, deux positions. Et c’est en sachant jouer habilement de cette mécanique-là qu’on pourra faire avancer notre personnage le long d’un parcours aisément identifiable car bien balisé ; parcours qui sera prétexte à une narration concernant l’histoire de ce vieil homme.
Alors oui, c’est plutôt joli, clair, allant à l’essentiel…
…Mais c’est aussi chiant comme la pluie
(…ou plutôt devrais-je dire : « comme la neige ». Ho ho…)


Où est le problème ?
Pourquoi ça marche si bien avec Journey et si peu avec Arise ?
Bon, déjà, il y a la raison la plus évidente. Comme rappelé en ce début de critique, Journey c’était il y a plus de dix ans et, depuis, ils ont été un sacré petit nombre à s’être engagé sur ce sillon du voyage mélancolique.
Or, quand tu découvres en 2023 (ce qui est mon cas), un jeu qui commence avec un décor choupi, des petites notes de piano mélancoliques et un petit vieux en guise de personnage, tu sais déjà. Tu sais déjà tout en fait.
Tu sais qu’il va être question de regard triste vers le passé, de rémoration des bons moments puis des moments tristes. L’innocence, le grand amour, la disparition puis la contemplation de la fin…
En ce qui me concerne, c’était déjà la partition que m’avait joué Old Man’s Journey quelques années plus tôt. (Oui… Ils ont osé introduire le mot Journey dans leur titre. Pourquoi s’emmerder…)
Déjà un petit vieux, déjà de la mélancolie, déjà des souvenirs… Et ce que les gars de chez Broken Rules nous avaient alors mis à l’époque comme petit gadget à mordiller c’était cette possibilité d’intéragir avec le décor, à la façon de ces bouquins pour enfants dont on peut activer des tirettes…
…Alors oui, pendant cinq minutes c’était marrant et c’était mignon. Mais pour tout le reste de la partie, ça avait vite révélé ses limites.
Superflu. Peu d’impact sur le jeu. Peu de renouvelabilité.
…Un gadget quoi…


…Et là ils nous font quoi Piccolo Studios avec leur Arise ?
Bah la même chose, pardi !
Parce qu’au bout du compte, leur mécanisme de roue du temps c’est juste une molette qu’on active pour faire monter et descendre des niveaux, pour faire pivoter des plateformes dans un sens ou dans l’autre, rien de plus…
C’est terriblement basique en fait. Ça ne challenge jamais.
Et le pire c’est que l’évolution de cette mécanique n’est qu’esthétique. Dans le fond ça reste le même procédé tout le temps. Limite ça finit plus par gaver qu’autre chose.
Au bout d’une demi-heure j’en étais déjà à maudire le procédé. Je voulais juste tracer au plus vite jusq’à la prochaine étape du récit.

Une demi-heure, et le jeu était déjà de trop.
Terrible constat d’échec.


Mais alors pourquoi ça marche pour Journey dans ce cas ?
…Parce que, l’air de rien, Journey ne mobilisait même pas ce genre d’artifice de gameplay lui ! C’était juste de la banale plateforme quand on y réfléchit bien.
Seulement voilà, Journey posait dès le départ un univers intrigant. Des ruines, des glyphes, une histoire… Il posait des questions pour lesquelles on cherchait déjà des réponses. Et puis surtout il y avait cette montagne énigmatique – à la fois si proche et si lointaine – qui disait l’épreuve mais également la solution.
Dans Journey l’intérêt ne portait pas sur le personnage mais sur le monde, et c’est sur ce point que le jeu a su construire sa narration.
Avancer c’était voir le monde changer. Avancer c’était même parfois voir ce monde se mettre en relief, dans toute la magnificence de ses dimensions. Je pense par exemple à cette simple scène de glisse qui était un grand instant du jeu, alors même qu’il ne posait en lui-même aucun challenge.
Journey fonctionnait parce qu’il avait su se constituer une partition videoludique totalement cohérente : le joueur était simplement appelé à avancer pour mettre en mouvement ce monde inerte. Le remettre en musique. Lui donner vie…


Face à ça, où est la cohérence de cet Arise ?
Tout pue la mort.
Outre le fait que l’intrigue soit déjà téléphonée dès les cinq premières minutes de jeu et que l’univers proposé n’ait pas grand-chose à nous raconter au-delà des quelques statues rencontrées, il y a surtout le fait que ce jeu peine à se mettre en mouvement ; qu’il peine à se mettre en musique.
La manipulation de l’avatar, bien que sommaire, se montre pourtant assez rigide. Sauts pas toujours faciles à évaluer, mécanique de grimpette très lente à se lancer, même chose pour le grappin… Il y a dans ce jeu une inertie qui rajoute de l’exaspération au manque pourtant déjà cruel d’enjeu.
Tout un symbole, même les temps de chargement savatent le rythme de narration : les écrans jurent avec la dynamique ; la musique se coupe. Rien ne va.


Alors oui, on pourra toujours me rétorquer que tout cela est cohérent avec l’idée du petit vieux contemplant sa mort. Soit…
…Mais le problème dans cette histoire, c’est qu’à côté de ça, c’est moi qui contemple ma propre mort cérébrale en jouant à ce jeu.
Donc non, il ne suffit pas d’arborer une esthétique mélancolique et un gameplay épuré pour réussir à reproduire Journey.
Un jeu, c’est tout de même une relation plus complexe que ça…
…Et gare au prochain studio qui me fera à nouveau ce coup-là.

Créée

le 1 oct. 2023

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