Je suis obligé de refaire un petit historique de la série pour bien insister sur toutes les qualités du titre de Larian. Promis, je ne serai pas long (mensonges).
(Si c'est trop long, sautez directement jusqu'à "Plume légère".)
Il était une fois...
Un jeu de mots bien trop facile à faire avec un certain Edouard
Baldur's Gate, premier du nom, était une petite révolution pour l'époque. Jusque là, la plupart des productions présentaient une caméra en vue subjective, des mouvements sur une grille, peu de texte, et très peu d'interactions. Le plus gros de l'exposition était dans le manuel papier. Mais là où une partie des studios s'inspirait des Doom-like de l'époque pour proposer des environnements plus libres, mais toujours assez contraints (Ultima Underworld, Arena), Bioware faisait le choix de décors peints avec une caméra en vue de dessus (un peu comme Cavedog avec Total Annihilation finalement : seules les unités étaient en 3D).
L'histoire était ce qu'elle était. Correcte, mais pas forcément très bien racontée ou mise en scène. Les zones à explorer étaient conséquentes, mais truffées de combats sans intérêt, avec des groupes de cinq, six, voire plus de dix monstres qui tombaient avec une seule flèche et qui venaient s'abattre sur nos boucliers. Les compagnons n'avaient pas plus de personnalité que dans les productions précédentes.
Mais il y avait aussi du bon : quelques très bons combats tactiques (même si l'équilibrage des règles AD&D laissait à désirer), une itémisation réussie qui poussait à l'exploration, des musiques entraînantes, et une histoire qui se laissait apprécier, malgré le ton des dialogues. D'autres titres lui emboîtèrent le pas, laissant une place plus grande à la narration (Planescape Torment) ou à une expérience plus linéaire, mais avec de meilleurs affrontements (Icewind Dale). Parallèlement, Blizzard développait le hack and slash avec Diablo, et d'autres studios (notamment Black Isle, Troïka) développaient des expériences plus axées sur la réactivité, l'inventivité, et la résolution pacifique (Fallout, Arcanum...). Baldur's Gate profita d'un contenu additionnel plutôt bon, mais je ne m'attarderais pas là-dessus aujourd'hui.
Bref, Baldur's Gate 2 sortait quelques années plus tard, et améliorait de très nombreux aspects de son aîné. Les grands environnements forestiers un peu vides laissèrent la place à des lieux un peu plus maîtrisés, et à davantage de donjons et d'environnements urbains. Les personnages avaient désormais une vraie personnalité, cohérente et riche, et réagissaient régulièrement aux réactions du personnage. Baldur's Gate 2 démocratisa largement les romances longue durée avec les compagnons. Le titre suivait toujours les règles de Donjons et Dragons (version 2.5) mais les combats étaient globalement bien plus intéressants, même épiques, avec un réel aspect tactique (plus d'ennemis coriaces, ou avec des résistances à contourner, des mages réellement dangereux, etc.). L'histoire était encore plus engageante, le contenu secondaire était intéressant et bien rythmé. Baldur's Gate 2 mérita largement son succès.
Transition vers la troidé
Le genre se convertit ensuite assez largement à la 3D "complète" (oeuf jambon fromage), avec des titres comme Neverwinter Nights ou Knights of the Old Republic, avec une maniabilité plus pensée pour un gamepad.
Et tandis que "la branche" mêlant FPS et RPG était en plein essor (Morrowind, Deus Ex - avant que l'on crée le terme immersive sim), le jeu de rôles dit "classique", avec des feuilles de perso, et où on micro-gère son groupe d'aventuriers un peu à la manière d'un RTS, disparut des écrans radar. Le sous-estimé Icewind Dale 2 et l'excellent Neverwinter Nights 2 rencontrèrent un succès assez timide, avant que le genre n'entame une longue stase. Le JRPG, en grande partie inspiré des premiers Ultima, suivit sa propre trajectoire.
Traversée du désert
Un bref soubresaut eu néanmoins lieu avec Dragon Age (2007), qui se voulait proche de ses prédécesseurs, mais avec une expérience plus lissée (pensé pour la manette, focus sur un personnage et une IA pour contrôler le reste du groupe), et un petit succès commercial fût au rendez-vous.
Je préfère fâcher personne, donc je ne m'étendrai pas sur la qualité littéraire du titre, de l'intérêt de son histoire, de la mollesse de ses combats, ni de ses persos à moitié à poil repeints avec des gerbes de sang. Il n'y avait pas grand chose à manger, et on avait faim, donc je ne juge personne.
L'attention du public (moi y compris) et le plus gros des ventes était globalement sur des titres plus orientés action ou centrés sur un seul protagoniste, comme Oblivion ou The Witcher, voire les Hack'n'Slash, JRPGs et MMORPGs du moment.
Cette stase se poursuivit jusqu'en 2012, avec l'avènement des campagnes de financement participatif. Des projets comme Pillars of Eternity et Wasteland 2 relancèrent la scène du CRPG et firent des émules, mais restaient des productions de taille moyenne, avec des budgets très limités et énormément de compromis réalisés sur les promesses initiales.
Mais dans l'ombre, un petit studio belge n'en avait pas grand chose à foutre, et continuait de développer sa vision du jeu de rôles sur ordinateur, dès 2002 (avec Divine Divinity) et ceci jusqu'en 2014, avec l'annonce de Divinity Original Sin.
Malheureuement, je n'ai pas joué à ces jeux, donc je vais probablement attribuer la "paternité" de certaines qualités de Baldur's Gate 3 à ce dernier. Mais on s'en fout, c'est pas le sujet.
Plume légère (pas comme la mienne)
Baldur's Gate 3 commence sur les chapeaux de roue, mais la structure du fil directeur ressemble beaucoup à celle de BG1, dans le sens où on commence dans la pampa avant de finalement avoir accès à la ville de Baldur's Gate dans le dernier acte. Mais la comparaison s'arrête ici en ce qui concerne l'histoire : le tutoriel de BG3 est rapide et court, et il nous expédie dans son univers avec tout un tas de questions (très similaire à Kotor dans la forme).
On fait rapidement la rencontre d'autres personnages, et on fait connaissance avec la narratrice, personnage à part entière, retranscrivant à la perfection les pensées de notre personnage, et avec le système de dialogues.
Et non seulement, ce n'est pas une roue simpliste et binaire à la Mass Effect, mais il y a en plus de très nombreuses options bloquées par des tests. Sur vos compétences, votre classe, des sorts que vous pouvez lancer... C'est probablement l'un des systèmes les plus riches qu'on ait pu voir dans un CRPG.
Et comme si ça ne suffisait pas, l'histoire justifie habilement la possibilité de lire dans les pensées, et de partager les émotions d'autres personnes tout aussi infectées que vous. Cerise sur le gâteau, on peut même communiquer avec les morts, une autre façon astucieuse d'obtenir de l'information.
Les personnages sont très bien écrits. Ils ont chacun leur but, leurs obstacles, leur passé, leurs imperfections... et ils ont presque tous envie de (vous) baiser. Le système d'influence avec les compagnons fonctionne de telle sorte qu'ils ont un peu tous envie de vous sauter dessus au même moment. Mais il y a quand même quelques textes un peu subtils et bien écrits.
Wyll aurait mérité un meilleur traitement, et son entrée en scène sent un peu l'auto-branlette maladroite (blabla je suis l'épée des confins). Certains compagnons font un peu office de fan service faciles, et arrivent un peu trop tard dans l'aventure pour qu'on ait envie de les intégrer au groupe, et surtout de se séparer d'un autre compagnon. Augmenter la taille du groupe à ce moment-là aurait probablement résolu le problème (parce que quatre, c'est à la fois peu et le juste chiffre, mais j'y reviendrai).
Les animations faciales sont fabuleuses. Apparemment, ça a été fait à la main. Un vrai travail d'orfèvre.
L'histoire elle-même est découpée en trois actes, mais seul le dernier est isolé des deux autres, et on peut arpenter les environnements un peu comme on le souhaite. Il n'y a pas non plus vraiment de voyage sur une carte du monde : l'expérience se vit dans d'immenses bacs à sable, avec différents niveaux de verticalité. Certains paysages (le Monastère, le Pont de la Cité) sont magnifiques et fourmillent de détails. Entrez dans une caverne, sautez dans un trou, et pouf, c'est un petit monde noueau qui s'offre à vous.
Et en parlant de verticalité, le système de combat fait la part belle aux sauts, lévitations, bousculades, lancers de nains et de barils de poudre. Les combats sont vraiment difficiles dans les niveaux de difficulté plus élevés et requièrent une vraie préparation et une connaissance du jeu et de ses règles.
Paradoxe
Mais j'ai eu un mal de chien à finir le jeu. J'ai toujours eu un peu de mal à finir un jeu de rôles : regretter un choix et recharger une ancienne sauvegarde m'est arrivé plus d'une fois, et, souvent, je ne termine pas ma première partie, parce que j'ai loupé trop de choses, ou parce que j'ai pris connaissance, trop tard, d'une meilleure résolution pour une quête, qui aura des répercussions sur la suite et sur l'épilogue du jeu.
J'ai donc recommencé une partie quasiment au bout d'une première expédition assez exhaustive d'une centaine d'heures, à peine arrivé à la Porte de Baldur.
Le scénario est extrêmement bien ficelé, et encore meilleur en incarnant "The Dark Urge". On échappe même à la structure "à la Bioware" paresseuse du type "prologue, visite de 3-4 planètes, twist, fin". Mais même sans prendre en compte mon incontrôlable envie de toujours vouloir corriger et revenir en arrière, le fait que le jeu s'ouvre, à la fin, sur une ville regorgeant de nouvelles quêtes, de nouveaux personnages, m'a paru totalement disproportionné. Ou plutôt : décourageant. C'est le même problème que dans BG1, en fait : ce genre de situations me donne juste envie de boucler ce que j'ai commencé, et je ne supporte pas de devoir me disperser davantage.
C'est sûrement une déformation professionnelle, mais j'ai envie de boucler "mes tâches", de ne plus y penser et de passer à autre chose.
Une sauvegarde est une succession de choix passés, et les éléments narratifs ne sont pas les seuls concernés.
L'itémisation en est une autre. Comme dans beaucoup de titres, on accumule des objets. Beaucoup d'objets, et pas seulement des consommables qu'on n'utilise que durant le dernier combat. Là où d'autres titres auraient fait le choix d'une simple progression verticale, presque tous les objets présents dans BG3 proposent une progression horizontale :
- Cette cape me permet de voler, elle me donne donc la possibilité d'appliquer telle stratégie,
- Cette arme applique ce type de dégâts, je peux donc modifier la feuille de mon perso pour changer ses dons et le min-maxer,
- Cette armure fait partie d'un "set", et m'oblige à réfléchir à la nature de deux de mes best in slots,
- Pourquoi la vie ?
- Tiens, ce marchand a quelques objets uniques. Et si j'essayais de les lui voler, au cas où...
- Pourquoi l'univers ?
- Pourquoi j'existe ?
C'est génial, mais j'ai eu l'impression de faire un burn out.
On se retrouve en fin de jeu avec quatre sets d'armure par compagnon, des armes qu'il est impossible de départager, et des doutes constants sur la meilleure stratégie à adopter. Et l'inventaire devient bien entendu un bordel sans nom.
Mais s'il n'y avait que ça, ce ne serait pas vraiment un problème. Les combats de BG3 sont aussi très lents. C'est un soucis inhérent au tour par tour, mais il n'y a pas que ça. Parfois, l'IA du jeu prend quinze secondes à prendre une décision, quand l'interface ne gèle pas purement et simplement sur une de vos propres actions.
Et mon dieu, certains affrontements...
Le système de tour par tour a l'intelligence de grouper les créatures faisant partie d'un même groupe, et qui ont besoin de foncer en même temps (c'est une action spéciale qui ne permet que de se déplacer plus loin). En gros, 36 araignées peuvent se déplacer simultanément, plutôt que de devoir agir l'une après l'uatre.
C'est une excellente idée. Mais ça ne fonctionne pas toujours. Certains combats prennent littéralement une soirée entière à cause du nombre complètement absurde de chair à canon, de l'IA ultra lente, ou encore de l'IA neutre qui se mêle aux affrontements sans raisons (coucou la boutique Felogyr). Est-ce qu'il y avait "vraiment" besoin d'avoir 24 PNJs pour le combat de la Maison du Chagrin ? D'avoir deux gardes du corps avec deux fois plus de PVs que le boss ?
Et l'usine gondienne, qu'est-ce qui s'est passé avec cette merde ? Pourquoi demander de sauver des PNJs qui ne sont pas capables de se sauver eux-mêmes, et d'attendre le bon moment pour se révolter ?
Il y a parfois quelques ratés, même lorsqu'on n'essaie pas de casser le jeu. Un certain dragon a juste disparu de la zone de jeu lors d'un combat crucial. Je ne vais pas forcément m'en plaindre, mais ça atténue un peu le côté épique de ma victoire.
Bref, on sent que la fin du développement a été un peu précipitée et compliquée. Certaines méthodes alternatives de résolution de quêtes ont simplement été abandonnées. Dommage qu'il n'y ait pas eu de patch pour ça, depuis environ un an.
L'Acte 3 contient quelques rencontres absolument atroces.
Bon, il y a aussi des choses qui sont inhérentes à D&D : l'omniprésence de l'aléatoire, qui est tout sauf une bonne idée (des jeux comme Into The Breach ont démontré qu'avoir des valeurs fixes marchait beaucoup mieux pour les combats, et que des tests de compétences fixes à la New Vegas faisaient bien plus sens et évitaient le save scum). 6, ou 36 de dégâts avec un sort ? Je fais quoi avec ça, moi ?
Et pourquoi la montée en niveau s'arrête au niveau 12, alors qu'on l'atteint à peine arrivé au dernier Acte ?
Mais bon, qu'à cela ne tienne, il faut conclure cette critique, qui est déjà beaucoup trop longue. Et je ne veux pas finir sur une note totalement négative.
Baldur's Gate 3 est marquant, exceptionnel à plus d'un titre. Je n'ai pas mentionné la bande son, mais elle est parfaite, inquiétante et envoûtante à souhait dans l'Underdark, pleine de mélancholie. Le thème des harpies, celui de Raphael... J'ai déjà envie de le relancer, de faire une nouvelle run où je n'aurais pas tué ou dégoûté les trois quarts de mes compagnons, pour pouvoir les emmener avec moi et découvrir un nouveau dénouement avec eux.
Baldur's Gate 3 n'est pas exempt de défauts, mais il arrive à ressusciter un genre, à lui insuffler beaucoup d'idées nouvelles, à raconter une histoire épique et tragique touchante et très surprenante, avec une exécution très bien maîtrisée, et un amour du travail bien fait qui force le respect.
Oh, et la déclaration de Lae'Zel... c'était vraiment parfait.
Je vous laisse, je vais aller m'écouter le thème de la Last Light Inn.
Oh.
Yabi, dobi.
Yabo, gabi.
Dobidaya bidobi gado.