Baldur's Gate III
9
Baldur's Gate III

Jeu de Larian Studios (2023PC)

Trop ambitieux pour son propre bien, en reste le bonheur


(Critique majoritairement sans spoil et les quelques zones de spoil sont correctement balisées.

Pour le contexte : j'ai fait quasi 100% du jeu, en 165h)


Sacré morceau que de s'attaquer à la critique d'un mastodonte pareil, ayant tant fait l'unanimité, n'est-ce pas ? Faute de pouvoir vous proposer sur un tel jeu une lecture hautement fluide et immersive dans les affres de mon esprit, je me vois contraint de découper ma critique en deux grandes parties, une consacrée au négatif et une au positif. Ça m'aidera à vous tisser un fil de pensées plus limpide, en commençant par tout ce qui me chiffonne pour finir sur une bonne note. Puisqu'il ne sera une surprise pour personne au vu de la note que, malgré les tonnes de soucis que je lui trouve, Baldur's Gate III me plaît beaucoup.


Sans prévenir, je tire une formule choc, qui donnera la colonne vertébrale de ma critique négative du jeu : je trouve que le jeu subit beaucoup d'échecs sur la forme. Déjà, techniquement il est à la rue. J'ai une configuration assez largement au-dessus du minimum requis et le jeu rame très souvent, et parfois de façon sévère. Il est aussi rempli à ras bord de bugs en tout genre, aussi bien graphiques que physiques, que ce soit sur les dialogues, en combat, avec les PNJ... la liste est si longue que je vous l'épargne. Ça a saboté quelques mises en scène importantes et bien entaché mon expérience tout au long du jeu, et c'est donc indéniablement un gros point noir ici.


Les dialogues méritent une partie consacrée tant ils souffrent de maux divers. Parfois ils ne se déclenchent pas sans raison, parfois ils se déclenchent dans le mauvais ordre, parfois ils sont incohérents avec un dialogue précédent. Certains personnages se répètent et se comportent comme s'ils nous parlaient de telle chose pour la première fois. D'autres dialogues aboutissent à des issues incompréhensibles, où simplement questionner des PNJ les rend agressifs et déclenchent des combats sans raison. Mais de manière plus générale, le jeu m'a régulièrement rendu confus avec ses dialogues, à attendre de moi des choix moraux sans m'avoir correctement informé. Le jeu me parle de factions, de personnages importants, de situations géopolitiques, d'Histoire du monde et d'évènements contemporains comme si j'allais pouvoir relier ça à quoi que ce soit. Le jeu considère mon personnage bien intégré dans l'univers, en possession des tenants et aboutissants nécessaires pour se positionner, alors que moi, pas toujours. J'ai souvent eu la sensation que les responsables des dialogues étaient des fans de longue date de l'univers de Baldur's Gate et n'arrivaient pas à se mettre à la place de quelqu'un n'y connaissant rien. Et puis, ce système de dialogues a une propension insupportable à ne pas laisser le joueur questionner les PNJ tranquillement. Sur un exemple type où le jeu offre 5 possibilités de questions au joueur, il fera très souvent avancer, voire terminer la conversation après en avoir posé seulement une. J'estime avoir le droit de me renseigner à ma guise sur une situation donnée, d'autant quand la discussion ne se passe pas dans l'urgence, mais le jeu m'empêche fréquemment d'acquérir de la connaissance (souvent de lore uniquement, en plus). Tout ça pour justifier l'intérêt de relancer une autre partie plus tard et découvrir d'autres dialogues. Sachant qu'il ne s'agit pas de choix moraux ou de partis pris forts, je trouve ce procédé très artificiel.


Ce début de critique m'amène à vous introduire à la conclusion que je me suis faite quant à la plupart des défauts de Baldur's Gate III : le jeu est trop ambitieux pour son propre bien. Larian n'a pas les reins pour délivrer une copie soignée et rigoureuse d'un RPG aussi riche, dense et complexe (même s'il faut leur reconnaître beaucoup d'exploits aussi) et il m'est d'avis qu'ils auraient dû largement raccourcir le jeu. Pas seulement pour ce qui a été évoqué jusqu'à maintenant, mais aussi à cause de la surabondance de contenus insignifiants. La ville de Baldur's Gate dans l'acte III en est la parfaite cristallisation : une ville trop grande, avec trop de m² explorables et trop de PNJ avec qui il est possible de discuter. Si l'on se recentre sur la proposition de jeu à l'œuvre, l'un des principes fondamentaux du game design de Baldur's Gate III est la constante promesse de vivre des petites aventures palpitantes à chaque coin de terrain. Et dans cette ville, chaque bâtiment accessible continue d'entretenir cette promesse, s'associant avec la peur du joueur de rater une quête insolite, un personnage unique ou un équipement rare. Sauf que la ville rengorge de bâtiments sans intérêt et leurs caves décevantes, qui sont autant de perte de temps sèche que d'accumulation de fatigue mentale. Mental déjà bien entamé tout au long du jeu par la présence incalculable d'éléments avec lesquels il est possible d'interagir. Des caisses, des vases, des piles de livres, des étagères, des bibliothèques à ne plus savoir quoi en faire, dont la plupart sont... vides ? On ne parle ici pas de décors mais bien d'éléments cliquables. De la même façon qu'en permettant la visite vaine de bâtiments, les développeurs incitent le joueur à cliquer sur ces éléments dont l'écrasante majorité sont vides, lui faisant miroiter de possibles récompenses. Car oui, il y a de temps à autre d'excellentes trouvailles à faire dans ces mêmes éléments d'interaction, et par peur de rater un équipement rare, un objet de quête ou un livre important sur le lore, on continue de tout fouiller. Et ce sont des pratiques néfastes et à bannir à tout prix de cette industrie qui a déjà bien trop tendance à abuser de l'attention, de la patience et du temps de ses joueurs.


Sur la rigueur générale du jeu, il y a aussi à redire. Il manque régulièrement d'informations ou de précisions pour bien comprendre le fonctionnement de sorts, d'objets magiques ou de passifs (la localisation française peut être en cause, ici). En combat, les zones d'effet ne correspondent pas toujours parfaitement à ce que le jeu indique. Les ennemis, eux, attaquent parfois à travers les murs et les portes, et se coincent parfois dans le décor. Hors combat, les PNJ voient à travers les murs et peuvent faire capoter une tentative de vol à l'intérieur d'un bâtiment alors qu'ils sont à l'extérieur. Dans un jeu qui peut mener le joueur en prison pour un vol et dont les combats peuvent se jouer à quelques détails près quant à leur réussite, le jeu manque de rigueur.


Toujours sur la forme, je trouve que l'ergonomie du jeu est mauvaise. La navigation dans le monde est laborieuse, notamment dû à cette caméra capricieuse, l'inventaire est une plaie à plusieurs égards, les déplacements en groupe sont insupportables, avec les alliés qui se foutent tout seuls dans le poison, qui bloquent des échelles, qui initient des dialogues et qui déclenchent des pièges... Ici aussi, la liste est longue. Et tenez, puisqu'on parle de pièges, j'en suis venu à me demander s'ils n'avaient pas une équipe qui y était dédiée, tant le jeu en comporte. Des cryptes et donjons entiers avec un piège tous les 5 mètres, des caves bondées, des égouts minés... Devoir régulièrement arrêter son groupe, dégrouper pour faire des jets de perception / désamorçage individuels et ne pas risquer que l'IA avance trop loin toute seule, assister à tous ces jets de dés, ajouter des bonus de réussite... Tout est long, laborieux, fatigant et trop fréquent.


Sur la BO du jeu, elle comporte de très bons titres mais est décidément trop pauvre quantitativement. 38 titres originaux et 16 variantes/reprises pour 100h+ de jeu, c'est absolument pas suffisant. Les musiques se répètent énormément et manquent souvent de donner une identité forte à des lieux ou moments clés. Retrouver la même musique dans les villages de l'acte I et dans la ville de Baldur's Gate, c'est extrêmement décevant. Retrouver la même musique lors de l'assaut final de l'acte II et de l'acte III, c'est super décevant aussi ; quand bien même les musiques sont super.


Si l'on résume tout ce qui me pose souci avec ce jeu et sa forme, mon constat personnel me semble de plus en plus clair : le jeu est trop ambitieux et trop dense pour son bien. Avec un jeu plus court et léger, Larian évite beaucoup de soucis d'ordre technique, beaucoup de problèmes inhérents à ses dialogues, évite au joueur la fatigue mentale de ses contenus insignifiants, la redondance de sa bande son... En plus de pouvoir recentrer ses efforts à améliorer son ergonomie, par exemple. Et par rapport à tous les soucis que je soulève, l'argument « c'est pas une entreprise milliardaire avec tant de ressources que ça » est irrecevable, car il incombe au studio de créer un jeu à la hauteur de ses capacités, tout simplement. Et si, malgré tout, ils décident en pleine conscience de concevoir un jeu de 150h de contenu, comportant un système de combat ultra riche et complexe, associé à un moteur de jeu exigeant et un système de dialogues et d'embranchements narratifs tentaculaire, alors il faut les juger à la hauteur de la tâche qu'ils se sont eux-mêmes imposés.


Pour cette partie négative, je vais quand même finir par quelques mentions sur le fond, car il n'est pas irréprochable là-dessus non plus.


Je trouve que l'acte I n'est pas une grande réussite, globalement.

Les bonnes quêtes secondaires sont rares, la quête principale du Bosquet n'est franchement pas bien palpitante et on ne peut pas dire que génocider du gobelin soit une activité très originale dans un jeu de rôle. La structure de la carte est volontairement éclatée pour permettre d'explorer différentes pistes à la recherche d'un remède, sauf que l'on se doute bien que la solution ne sera pas si simple et on peine à croire en la viabilité des pistes explorées. Ce qui artificialise un peu les enjeux présentés dans l'acte I et nous laisse avec, en l'état, beaucoup de quêtes secondaires « standalone », déconnectées du reste du jeu, souvent pas bien passionnantes. Pour ce qui est de l'acte II, je trouve les épreuves de Shar totalement insipides et mal foutues. L'ambiance est folle mais je ne trouve aucun plaisir à découvrir ni parcourir la moindre de ces épreuves, et certainement pas celle du boss Yurgir, dont le combat est super mal conçu et très injuste à mon sens.

Et puis j'ai quelques réserves sur le scénario principal, que je ne trouve pas toujours très fin, et assez convenu sur pas mal d'aspects. Il réserve quelques bonnes surprises mais fait quand même bien soupirer à certains moments.

Mais ça y est ! Nous passons enfin à la partie que vous attendez toutes et tous, celle où je chante les louanges de ce super jeu. Sauf que vous risquez d'être déçus, parce que cette section n'est pas si fournie que ça. Qu'on se le dise : tout le bien du monde a déjà été dit sur le jeu et je crains n'avoir pas grande contribution pertinente à faire.


Je vais quand même citer les évidences : le système de choix est fou, la liberté d'approches est magistrale, le système de combat est riche, varié et complexe. Le niveau d'écriture est bon, les compagnons sont excellents, les comédiens sont géniaux, le dynamisme des dialogues est dingue, la narration est prenante. Les décors, les ambiances et les musiques sont impeccables... Mais tout ça vous le saviez déjà, au final.


Pour l'acte II,

j'ai beaucoup aimé qu'il soit compact. Ça lui permet notamment d'aligner une proposition de jeu générale cohérente, à la fois narrativement et ludiquement. Toutes les quêtes secondaires sont joliment imbriquées dans l'objectif principal, lui sont régulièrement liées, et ne demandent que de petits détours et à peine plus d'exploration. La carte est réduite et les points d'intérêt ne s'articulent que par quelques lieux importants, ce qui concentre efficacement l'expérience de jeu au cours de l'acte. Après, il a le malheur d'abriter les épreuves de Shar mais bon, rien n'est parfait.

Pour l'acte III,

il m'aura en partie fatigué mais m'aura aussi procuré la grande satisfaction de voir tant de quêtes initiées à l'acte I arriver à leur conclusion, notamment celles des compagnons, dont la plupart sont brillantes. En plus d'abriter beaucoup d'excellentes quêtes secondaires, originales, variées et intenses. J'ai adoré modifier le journal du lendemain pour qu'il dépeigne mon groupe sous un meilleur jour. J'ai adoré piller tous les coffres de la Maison des Comptes pour mon simple plaisir. J'ai adoré venir foutre le bordel chez Raphaël (et lui ravaler la façade à la fin). J'ai adoré le frisson de la mission de sauvetage dans la prison sous-marine. La trame principale ne manque pas non plus de réussite avec les quêtes de Gortash et Orin, qui connaissent une belle montée en puissance.

Et pour la toute fin,

le segment final, après avoir récupéré les trois pierres, est vraiment super. Voir tous les personnages aidés dans le jeu répondre présent pour l'assaut final, c'est grisant, et les invoquer pendant les combats c'est épique et tellement cool. Le final est de toute beauté avec ce dernier combat sur le Cerveau, galvanisant au possible.

Au vu du temps accordé aux aspects négatifs du jeu par rapport à ceux positifs, il ne vous apparaîtra peut-être pas forcément clair que j'ai adoré le jeu, mais c'est pourtant bien le cas. Je pense que le jeu souffre de bien trop de soucis pour que je le considère comme un grand jeu, mais ça n'en a pas moins été une super expérience. Une expérience qui m'a fait vivre des tonnes de bons moments, qui m'a souvent impressionné et qui m'a d'ores et déjà donné de beaux souvenirs que je risque de chérir ces prochaines années.

Merci à Larian d'avoir eu l'excellente idée d'offrir, en guise d'épilogue, ces retrouvailles 6 mois plus tard avec tout le groupe. C'était la plus belle récompense que je pouvais espérer pour mes bons services rendus à la ville. Pour prendre tout le temps nécessaire de dire au revoir à cet univers. Pour dire au revoir à nos parfois honorables et souvent adorables compagnons, qui auront été aussi bons artisans de notre triomphe que partenaires inestimables d'infortune. Mais puisque toutes les bonnes choses ont une fin, il fut temps de partir. Et les adieux furent un peu durs, il faut bien l'avouer.

AetherLike
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le 6 nov. 2024

Critique lue 63 fois

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