Beat Saber
8.1
Beat Saber

Jeu de Hyperbolic Magnetism (2018PC)

"Beat Saber, c'est Fruit Ninja mais en rythme avec la musique." Voilà le concept, à un détail près quand même : c'est un jeu en réalité virtuelle. Issu des studios Oculus de Facebook, Beat Saber nous met un sabre laser dans chaque main, et envoie dans notre direction un couloir de blocs de deux couleurs (une couleur pour la main gauche, une autre pour la main droite) que l'on doit trancher dans la direction indiquée lorsque ceux-ci arrivent à notre niveau. Le tutoriel nous permet en une minute chrono d'assimiler l'intégralité du gameplay ; ensuite, à nous un choix libre de chansons, de difficultés et de modes de jeu dans lesquels trancher du bloc, le tout en rythme avec une bonne grosse drum'n'bass des familles qui n'aurait pas déparé dans les playlists de fin de soirée du Macumba Club de Garges-lès-Gonesse.


Après cinq ans de vie du jeu, une question continue cependant de hanter les lèvres des profanes, qui continuent de voir cet étrange machin en trend chez les plus obscurs vtubers ou featuré sur le store de Steam comme faisant partie des indispensables du Valve Index. Pourquoi diable est-ce qu'une armada de fous furieux continue de claquer chaque année l'équivalent du prix de deux consoles next gen pour jouer à un jeu qui donne l'air idiot et fait transpirer des arcades sourcilières ? Je n'avais moi-même pas la réponse avant d'acheter Beat Saber sans trop y croire, voilà quelques mois, pour nourrir ma ludothèque naissante sur un matériel hors de prix qui fut lui-même commandé dans un état de confiance financière excessive. Hosannah : après y avoir passé deux, puis cinq, puis dix, puis cinquante heures de jeu, j'ai finalement compris.


Tout d'abord, Beat Saber est donc un rythm game en réalité virtuelle. La précision "en réalité virtuelle" est très importante puisque cette technologie transcende en fait littéralement le concept. Savoir qu'on enfile un casque pour y voir apparaître des blocs qui avancent dans notre direction, puis qu'on tranche avec les mouvements de nos bras en rythme avec la musique, c'est une chose. Mais en faire l'expérience par soi-même en est une autre. Les développeurs du jeu eux-mêmes définissent Beat Saber comme un moyen de communication entre la musique et l'utilisateur, et en fait, c'est exactement ça : les blocs qu'on tranche sont à voir comme des outils permettant de faire corps avec les sons, et leur agencement par les level designers (les "beat mappers", comme on les nomme spécifiquement pour ce jeu), un guidage vers une chorégraphie physique à laquelle on apprend à donner du sens. Et c'est idiot à dire, mais ça doit être dit : si le jeu s'affiche en réalité virtuelle, l'utilisateur, lui, fournit une activité en "réalité réelle", ce qui a tendance à oblitérer l'aspect virtuel pour donner au jeu sa pleine fonction d'outil de communication. Jouer à Beat Saber, ce n'est donc pas vraiment jouer en VR ; c'est plutôt jouer en "réalité réelle", mais avec un accessoire intermédiaire qui s'occupe de traduire le virtuel vers le réel. Concrètement, en pleine partie, le matériel n'existe pas. Il n'y a que l'utilisateur, sa musique, et ses gestes. Et l'exploit est impressionnant. Même les plus grosses machines de guerre de la VR comme Half-Life Alyx ne parviennent pas vraiment à complètement faire oublier qu'on est dans un jeu ; Beat Saber, lui, y parvient, parce qu'il a compris qu'il n'était pas un jeu, mais plutôt donc un outil, ce fameux "moyen de communication".


Et ce que Beat Saber communique, c'est, tout simplement, une osmose physique avec la musique. D'audacieux anthropologues, paraît-il, se sont penchés sur la question et ont décidé de nommer cette discipline "danse". Le gros mot est lâché, quand bien même il peut paraître prétentieux à quiconque n'ayant jamais chaussé un casque pour s'y essayer : Beat Saber est bel et bien un outil de danse. Pour tous âges, pour tous niveaux, pour toutes aptitudes physiques. Du gros nullos qui n'a jamais bougé son corps de sa vie jusqu'au musclor de la gym de quartier en passant par l'introverti vaguement sportif pour qui frétiller sur un dancefloor est une langue étrangère, Beat Saber est là pour apporter des clés et "débloquer" la capacité à bouger en rythme ; voire, plus loin, la stimuler, transformer cette capacité en envie, cette envie en addiction, en proposant à l'utilisateur une exploration entièrement libre de son catalogue, de ses styles et de ses niveaux de défi. Détail qui a son importance, Beat Saber a été conçu par un musicien du jeu vidéo, Jaroslav Beck, qui s'est également occupé des compos originales en les pensant pour les mouvements physiques rendu possible par le jeu. Si ça ne donne certes pas du Beethoven en termes purement mélomanes ("c'est un genre", dira Marie-Odile en écoutant la playlist de base, et je ne la contredirai pas), la parfaite adaptation entre morceaux et beatmaps a contribué dès le départ à propulser Beat Saber comme top seller de la VR tout en donnant de précieuses indications aux moddeurs pour venir enrichir le catalogue de chansons.


Car en effet, dans un accès de générosité un poil schizophrène, Oculus/Facebook a profité de l'arrivée de son jeu sur SteamVR voilà quelques années pour l'ouvrir aux mods et offrir aux utilisateurs la possibilité de créer, et partager librement, des morceaux personnalisés. A l'offre de base du jeu, qui s'enrichit aujourd'hui encore par des MAJ gratuites ou payantes, est donc venue progressivement s'ajouter un catalogue de musiques/chansons virtuellement illimité, qu'une large communauté de passionnés se charge de compiler dans une banque de serveurs accessible directement en jeu. La seule condition pour en profiter est d'installer un seul et unique mod, qui se paramètre les doigts dans le nez et s'accompagne en outre du support de nouveaux tweaks de gameplay qui viennent enrichir les mouvements et les styles visuels du jeu de base. En 2023, le résultat est simple : Beat Saber est le "rythm game" le plus monstrueusement complet, non seulement de la VR (fastoche) mais aussi de l'histoire du genre même, puisqu'à peu près n'importe quel morceau un minimum connu et international qui vous passe par la tête a très probablement été implémenté dans le jeu par un ou plusieurs moddeurs. Ainsi, c'est donc très simple : on recherche sa chanson avec l'outil intégré au jeu moddé, on chope la plus likée, on fait pareil avec un autre morceau, et en cinq minutes on a déjà une playlist longue comme le bras au milieu de laquelle les morceaux du jeu original finissent vite par être en minorité.


La mécanique est donc très simple, et c'est au fil des heures qu'on reconnaît les grandes patterns de mouvements des bras. Gestes amples et symétriques, ou au contraire rapides et croisés. Balayages verticaux, horizontaux ou en diagonale. Répétitions de motifs comme des refrains, déportement du corps entier vers un angle de la scène, accroupissements, esquives. Inversions des mains, brèves simulations de solo de guitare ou de batterie en mimant grossièrement des gestes lors de certains passages. Les meilleurs niveaux de Beat Saber cumulent ces éléments naturellement, en un minimum d'indications : c'est l'utilisateur qui, à la position d'un bloc dans l'espace ou à l'entrée d'une transition musicale, doit comprendre de lui-même le geste à réaliser et l'amplitude à lui donner pour trancher le bloc suivant dans un enchaînement harmonieux. Sa réussite se mesure par un système de scoring très intéressant, calculé selon plusieurs facteurs incluant l'amplitude des gestes, la précision de la trajectoire en entrée et en sortie de bloc, et bien sûr le fait de réussir ou non à trancher chaque bloc et avec le bon bras. C'est extrêmement simple, et pourtant extrêmement bien pensé, et c'est par la pratique qu'on apprend à comprendre instinctivement les mouvements auxquels nous convient les différents morceaux. D'ailleurs, Beat Saber propose parmi ses nombreux modificateurs qui permettent de largement moduler l'expérience, la disparition des indications du sens de découpe des blocs : c'est ici qu'un pratiquant aguerri se rendra compte que ces dernières sont presque secondaires lorsqu'on maîtrise la logique générale de mouvements, commune à la plupart des morceaux tout en étant capable de se renouveler constamment, selon le rythme de la musique et l'inventivité du mapper.


Les grands principes d'interactivité dans Beat Saber ont en effet depuis longtemps été pleinement maîtrisés par ces mappers, qui fournissent des morceaux de qualité égale voire supérieure à ceux développés en interne, et font aujourd'hui dégueuler Beat Saber sous les genres, artistes et époques, de Gorillaz à Britney Spears en passant par Van Halen, les Jackson 5, Clean Bandit, Deadmau5, Queen, la dance bien grassouillette à la TheFatRat et bien entendu environ la moitié des musiques d'anime du monde. A l'exception peut-être d'une nette prépondérance du hardcore EDM japonais à la Camellia (qui semble faire le bonheur d'une majorité dont je m'exclurai poliment), le catalogue du Beat Saber moddé est non seulement hallucinant d'immensité et de variété, mais également surprenant dans les torsions de gameplay qu'il propose par rapport au jeu de base, notamment grâce aux "noodles", une technique de mapping mise au point par la communauté qui permet de fortement tweaker les règles d'apparition des blocs et celles de l'affichage du décor... pour transformer certains morceaux en expériences sensorielles totalement démentes. On peut ainsi trouver dans le Beat Saber de 2023 de véritables creepypasta jouables avec support vidéo, des morceaux dont les blocs interagissent avec le lettrage du texte des chansons, ou des playlists enchaînées avec changements de couleur et à jouer d'une traite pour tester sa résistance. C'est formidable, et le meilleur, c'est que Beat Saber n'a en réalité pas vraiment besoin de ça : rigolo quand on découvre le principe en mode Normal les premières heures, le contenu vanilla comme moddé dévoile en réalité tout son potentiel dans les modes de difficulté supérieurs, qui vont graduellement de l'amusement inoffensif à la frénésie physique potentiellement dangereuse pour qui n'est pas dans une forme physique adéquate - j'en ai fait les frais, avec quelques luxations d'épaule dans un désir un peu trop fort de me conformer à des configurations de blocs très rapides, amples et longues, clairement réservées à l'élite... qui finiront pourtant par être l'objectif de presque n'importe qui s'essayant à Beat Saber.


C'est en effet selon moi la grande qualité de Beat Saber : il invite au dépassement de soi. Mais pas au dépassement de soi austère et pénible, en mode salle de fitness où tout le monde galère en tirant la gueule ; plutôt à une forme d'éclate progressive et joyeusement impudique, où on ose, sans la peur du regard de l'autre, s'aventurer dans les modes de difficulté supérieurs de ses morceaux préférés. Essayer, paniquer, avoir l'air con (avec ou sans public), se faire des courbatures, sentir le casque qui glisse de sueur, se viander à répétition, essuyer le matos... tout cela finit invariablement par payer, dans la joie, la bonne humeur et les odeurs de transpiration. Réaliser qu'on réussit désormais à franchir une séquence très difficile, voire terminer, même avec un score minable, un morceau au sacro-saint niveau Expert+, est un véritable plaisir qui équivaut, en termes de dispense d'adrénaline pour un joueur lambda, au fait de platiner un Souls. Mais la différence avec un jeu vidéo classique, c'est que quelques dizaines d'heures de pratique, qui passent très vite, suffisent à se livrer à de véritables exercices physiques dont on ignorait notre corps capable, sur des beatmaps souvent aussi impitoyables que magistralement dessinées demandant d'enchaîner presque sans erreur des mouvements extrêmement amples, rapides et complexes qui finissent par devenir une seconde nature et nous laissent en demande d'encore plus d'effort, comme un junkie qui n'aurait pas sa dose de sudation. La fan base de Beat Saber regorge de success stories de ce genre qui ont transformé ses utilisateurs, et en faire soi-même l'expérience procure un réel plaisir et l'agréable sensation d'une saine addiction.


Inutile de se voiler la face : malgré près de 10 ans d'âge, la VR n'a toujours que peu de killer apps. Sur PC, je n'en compte que 3, dont une n'est même pas un jeu, et l'autre est fournie gratuitement avec l'achat d'un casque. Et trois titres indispensables, c'est peu. En théorie, du moins ; car sur ce podium un peu pâlot se tient toujours vaillamment Beat Saber, qui malgré sa demi-décennie de bons et loyaux services continue de faire vibrer une frange avertie de VR enthusiasts, au point de maintenir dans l'ombre les autres sorties du genre qui s'agglutinent pourtant chaque année et en nombre dans le back catalog des différents stores. L'ironie de la situation n'a pas échappé à Valve lui-même, qui a fait de cette ancienne exclusivité Oculus l'un des fers de lance de son Index en l'affichant fièrement dans la très sélective tier list des jeux indispensables à jouer avec ce matériel. C'est donc pour conclure que j'affirmerai que l'expérience présente plus que jamais un intérêt : contrairement à la plupart des jeux vidéo en général qui n'évoluent qu'avec leurs propres mises à jour, Beat Saber bénéficie directement des mûrissements technologiques de la réalité virtuelle. Initialement cantonné aux supports Oculus qui avaient contre eux une reconnaissances des mouvements imparfaite (en gros, les bras étaient perdus quand ils sortaient du champ de vision du casque), le fait que ce soft soit désormais jouable et même adapté pour les supports avec tracking par bases le rend beaucoup plus amusant, car il est devenu impossible de faire foirer la reconnaissance des mouvements. On peut aujourd'hui faire les gestes les plus absurdes, tenter les contorsions les plus claquées, Beat Saber ne mouftera pas et restituera avec une totale précision n'importe quel gondolage, fût-il un triple salto en 360° noscope (n'essayez pas ça chez vous cependant). Du coup, un jeu à 1000 euros ? Ce n'est pas complètement déconnant : l'expérience est si brillante et aboutie qu'à l'arrivée, même en ayant une tonne de jeux VR qui traînent dans ma bibliothèque, Beat Saber est le seul que je lance presque chaque jour depuis des mois. A priori, ça ne va pas s'arrêter tout de suite.

boulingrin87
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Seb C. - Liste commentée : Joués en 2023 et Seb C. - Liste commentée : Mes jeux platinés

Créée

le 25 août 2023

Critique lue 141 fois

2 j'aime

Seb C.

Écrit par

Critique lue 141 fois

2

D'autres avis sur Beat Saber

Beat Saber
HugoThr
8

"Pourquoi mes muscles me font si mal ? - Parce que tu ne les as jamais utilisés auparavant."

Parmi les jeux VR à absolument essayer, il y a Beat Saber. 3 choses à savoir : - Faut un casque VR : Vive, Oculus ou WMR (arrivera sur PSVR également). - Ce jeu n'est pas Star Wars et à aucun moment...

le 9 juin 2018

6 j'aime

4

Beat Saber
boulingrin87
9

Le jeu à 1000 euros

"Beat Saber, c'est Fruit Ninja mais en rythme avec la musique." Voilà le concept, à un détail près quand même : c'est un jeu en réalité virtuelle. Issu des studios Oculus de Facebook, Beat Saber nous...

le 25 août 2023

2 j'aime

Beat Saber
Kain
8

Dévoreur de calories!

Moi les jeux musicaux et de rythme c'est pas trop mon délire. Je crois que le dernier que j'avais aimé c'était Patapon sur PSP. Mais avec la hype autour de Beat Saber je me suis laissé tenter. Le jeu...

Par

le 24 juil. 2019

2 j'aime

Du même critique

The Lost City of Z
boulingrin87
3

L'enfer verdâtre

La jungle, c’est cool. James Gray, c’est cool. Les deux ensemble, ça ne peut être que génial. Voilà ce qui m’a fait entrer dans la salle, tout assuré que j’étais de me prendre la claque réglementaire...

le 17 mars 2017

80 j'aime

15

Au poste !
boulingrin87
6

Comique d'exaspération

Le 8 décembre 2011, Monsieur Fraize se faisait virer de l'émission "On ne demande qu'à en rire" à laquelle il participait pour la dixième fois. Un événement de sinistre mémoire, lors duquel Ruquier,...

le 5 juil. 2018

79 j'aime

3

The Witcher 3: Wild Hunt
boulingrin87
5

Aucune raison

J'ai toujours eu un énorme problème avec la saga The Witcher, une relation d'amour/haine qui ne s'est jamais démentie. D'un côté, en tant que joueur PC, je reste un fervent défenseur de CD Projekt...

le 14 sept. 2015

74 j'aime

31