Un ressenti noyé dans une infinité d'autres
Niveau de spoil: un peu mais pas trop.
Vous adorez System Shock 2 et Bioshock pour leur construction narrative atypique et leur level design tortueux ? Tant mieux, moi aussi. Sauf que Bioshock Infinite « renie » en partie cet héritage en adoptant une structure bien plus linéaire et dirigiste, et c’est pour le meilleur. Dans les deux jeux précités notre protagoniste va entrer en scène après les évènements majeurs qui ont amené la déchéance de la ville ou du vaisseau. On va donc reconstituer la chronologie de cette catastrophe en suivant un rythme posé, en étant rarement pressé par le temps. Bioshock Infinite lui a fait le choix de se détourner de cette tradition et de, grosso modo, nous faire vivre ces évènements majeurs dans la vie de Colombia. Le rythme se veut beaucoup plus soutenu, le dirigisme et la simplicité du level design global (comprenez pour aller d’un point A à un point B, on suit souvent une ligne légèrement camouflée) sont donc des éléments qui étaient, à mon sens, nécessaire. Un aspect très « direct » qui se ressent également dans les affrontements, qui sont plus intenses, plus débridées et plus nombreux que par le passé.
Le parallèle entre les trois jeux m’amène à aborder l’histoire, et Bioshock Infinite se détourne ici aussi de ses aînés. Alors c’est tout aussi cryptique qu’un Bioshock, mais c’est moins froid et plus émotionnel. Dans Bioshock, Rapture était au cœur de la trame et énormément d’enjeux gravitaient autour (la volonté, la liberté et tout et tout). Le contexte intimiste dans lequel se déroulait l’aventure nous poussait à nous attarder sur les innombrables détails qui crédibilisaient cette cité sous-marine. Plus encore, le rêve qui lui donnait sa raison d’être était compréhensible et, bien que voué à l’échec, sa chute nous insufflait un étrange sentiment de tristesse, ceci malgré la démonstration froide et méthodique que constituait sa traversée. Colombia quant à elle, est bien plus en retrait. D’une part parce que sa volonté ségrégationniste et apocalyptique nous empêche de lui porter la moindre affection. Et d’autre part parce qu’Irrational fait volontairement passer cette cité au second plan au profit de problématiques plus « personnelles ». On se retrouve donc avec un thème de la religion, introduit par Colombia, qui se centre alors sur une poignée de personnages, à travers des problématiques différentes de rédemption ou encore d’omnipotence. Ajoutons à ça des trips spatio-temporels, d’autres thématiques comme le fatalisme, notre place en tant que joueur, et on obtient un titre qui a la prétention de brasser une pluralité de sujet, avec plus ou moins de réussite selon moi.
Car à vouloir trop en faire, Bioshock Infinite balaye certains enjeux d’un violent revers de la main et utilise des transitions parfois assez étranges. Ainsi un soulèvement populaire que le jeu prend énormément de temps à installer disparaît du devant de la scène de manière particulièrement abrupte pour servir d’évènement choc, marquant la fin de l’adolescence pour Elizabeth. Subtilité j’écris ton nom.
Heureusement la plupart du temps, l’intrigue fonctionne particulièrement bien, les deux protagonistes centraux sont absolument fascinants, et c’est ce qui constitue une grande partie de cet aspect émotionnel déjà évoqué. Infinite en se centrant plus sur ses personnages, joue beaucoup plus avec l’empathie, forcement. Justement, Elizabeth en tête, qui brille comme rarement un personnage a brillé dans un Jv. Elizabeth qui va être façonné aussi bien par les évènements majeurs, comme la trahison d’un autre personnage, que par les évènements anodins dont les effets sont décelés petit à petit à mesure que l’on progresse (découverte de la société, identification à son compagnon d’infortune, etc.). Le personnage passe par trois étapes majeures dont nous allons être témoin, une évolution qui crédibilise la jeune fille et renforce notre attachement à ce petit enchevêtrement de polygones auquel les équipes d’Irrational ont magnifiquement donné vie. Car même en dehors des phases purement narratives, Elizabeth ne se contente pas de nous accompagner passivement : elle observe l’environnement, s’assoie quand un fauteuil le permet, adopte des postures retranscrivant son état d’esprit. Vraiment un point fort du jeu. Si ce n’est le point fort du jeu. Ceci jusqu’au dénouement final que tous les passionnés de mindfuck (présent !) vont savourer pleinement.
Mais tout cet aspect affect n’aurait très certainement pas aussi bien fonctionné si la narration n’avait pas été aussi bonne : une aventure que l’on parcourt la vue à la première personne du début à la fin, une compréhension des évènements qui se joue parfois dans les détails (les anachronismes par exemple), l’utilisation de décors théâtraux pour relater des faits passé, etc. Vraiment un tour de force malgré l’utilisation des enregistrements audio parfois maladroite (trouver des voxophones contestataires/compromettants dans des lieux incongrus alors qu’un système presque totalitaire dirige Colombia, logique).
Voilà, je ne vais pas m’étendre beaucoup plus, vous dire que le jeu est absolument magnifique, vous dire que le souci du détail apporté aux décors est parfois à la limite du terrifiant (malgré 3.5 pnj différents), etc. Tout ça a été dit mainte et mainte fois surement bien mieux que je ne pourrais l’expliquer.
Bioshock Infinite m’a rappelé que le triple A audacieux n’a pas encore trépassé. On pourrait rétorquer froidement que ce n’est qu’un FPS narratif, linéaire et scripté, surement à raison. Personnellement, j’y ai trouvé bien plus.