FromSoftware...
C'est drôle, mais je n'ai jamais su correctement me positionner à l'égard de ce studio.
Il faut dire qu'à une époque où, malgré une résistance de la part de Nintendo, le AAA se standardise, la moindre des choses serait de reconnaître l'incroyable singularité qui se dégage de ce studio.
Culte de l'extrême difficulté, ambiances cauchemardesques lovecraftiennes, narration cryptique et une étrange mélancolie d'ensemble qui plane au-dessus du purgatoire qu'incarne chaque titre de la firme japonaise (du moins depuis Demon's Soul).
De plus, au-delà d'avoir les moyens pour mettre en forme leurs ambitions, ils en ont aussi le talent, là où presque tout passe par le level-design, très souvent irréprochable.
Et si c'est facile de se sentir laissé sur le côté par un tel élitisme, une fois le bizutage passé cette philosophie de jeu a vite su révéler le pouvoir d'attraction qu'elle a su susciter en moi quand je me suis mangé le premier Dark Souls dans la gueule.
Dark Souls ça a été mon premier FromSoft', et même si objectivement le jeu dégueule de défauts et d'approximations, l'expérience proposée a totalement redéfini ce que j'attendais d'un jeu.
Beaucoup de souffrance et d'allers-retours pour aller récupérer les dents qu'un ennemi m'aura cassées, des dizaines d'essais pour passer un seul boss, des heures entières à me faire harceler dans des zones tout bonnement infâmes (Tombeau des Géants, je te hais tellement si tu savais...), avec à la clé certains des moments les plus glorieux que l'on m'ait fait vivre manette (plutôt clavier pour le coup) en main.
Ce n'était pas qu'une question de finir le jeu mais de le conquérir, de s'acharner dessus jusqu'à en voir le dénouement et souffler un bon coup pour de bon quand les premières notes des crédits de fin se font retentir...
Cette expérience, jamais je n'en ai vécu de telles.
"Pourquoi digresser à ce point sur Dark Souls, il doit se tromper de fiche de jeu" vous diriez-vous, et rassurez-vous, j'y viens à Bloodborne.
Mais je trouvais pertinent de dire l'effet qu'une expérience "à la FromSoftware" peut avoir sur moi.
Aride, certes. Punitif aussi, assurément. Parfois totalement injuste et mal branlé, mais voilà : c'était mon premier, et mon cœur tend à ne me rappeler que ce que le jeu m'a apporté de bon, c'est-à-dire assez de choses pour figurer dans mon Top 10.
Oui je suis comme ça. Je suis le premier à savoir reconnaître les défauts dans mes titres préférés, puissent-ils être des jeux comme des films ou des albums, mais à les porter haut dans mon estime sitôt ont-ils su proposer quelque chose d'autre, quelque chose qui a su m'interpeller sur un tout autre plan.
C'est loin d'être anodin dans mon appréciation d'une œuvre. C'est d'ailleurs ce qui caractérise pratiquement l'intégralité de mes choix dans mes tops.
Et c'est aussi pour ça que Bloodborne...
...Ben sans plus, quoi...
Sympa hein, mais vraiment sans plus.
Le pire c'est que j'ai l'impression de me ranger auprès d'une toute petite minorité à affirmer ça, quand on voit les places prestigieuses que ce jeu occupe dans les tops SensCritique.
Pour dire, il figure même au-dessus de Dark Souls III,qui est pour moi l'un des tous meilleurs jeux jamais faits, dans la catégorie des meilleurs jeux FromSoftware. Ce qui me questionne d'autant plus quand je constate à quel point ma partie de Bloodborne ne s'est pas faite dans l'enthousiasme.
Alors quand je disais que je n'ai jamais trop su me positionner à l'égard de FromSoftware, c'est parce que d'un côté lorsqu'ils appliquent leur philosophie avec parcimonie ça sait me parler au-delà des mots. Mais dès que la machine s'enroue ne serait-ce qu'un tout petit peu, tout peut s'effondrer jusqu'à l'exaspération.
Et clairement, même pour quelqu'un qui est passé par la trilogie Dark Souls et par une bonne partie de Sekiro, j'ai vraiment, mais alors VRAIMENT galéré jusqu'à l'énervement sur tout le début de Bloodborne. Pas dans le bon sens. Et pour moi cela repose sur plusieurs choix que je n'explique tout simplement pas.
Tout d'abord, j'aimerais qu'on m'explique l'intérêt de ce système de soin.
Pour les néophytes, dans Bloodborne on ne peut se soigner que par le biais de fioles de sang, tout comme ces bonnes vieilles fioles d'Estus... (oui, le renouvellement visiblement ce n'est pas le plus gros point fort du studio).
Sauf qu'à l'inverse des fioles d'Estus qu'on récupérait après chaque mort, ici les fioles de sang il va falloir les ramasser sur les ennemis qu'on a tués.
Ça pour moi c'est un premier problème, car pas tous les ennemis ne lâchent des fioles de sang. Certains seulement. Et encore, pas systématiquement hein (oh tiens, ce monstre qui me file parfois 4 fioles m'a ENCORE lâché un joyau sanglant tout nul dont la seule utilité est de la revendre 20 balles, soit même pas le QUARANTIÈME de la somme nécessaire pour la première amélioration de personnage du jeu ?).
Donc c'est déjà très chiant de les récupérer, surtout si on les a claqué contre un monstre qui nous a aplati en un coup après s'être soigné en boucle en pensant naïvement avoir une chance, et surtout ça nous fait repartir avec un nouvel handicap, celui de partir sans quoi se soigner.
Alors si, il y a bien une autre manière de se soigner, c'est la riposte. Car tel un vampire notre personnage peut récupérer la vie qu'il vient de perdre s'il riposte très rapidement contre sa proie.
Dans les faits je suis fan de l'idée. Ça nous pousse à être agressif et donc à penser chaque rencontre de sortes à ne pas trop se faire éteindre et de savoir comment déjouer chaque pattern de chaque ennemi. Dans l'exécution, je trouve quand même que c'est pas pratique quand on se fait tabasser par plusieurs monstres en même temps qui ne nous laissent pas le temps de nous relever, ce qui déjà arrive presque PARTOUT dans le jeu (à l'exception des combats de boss), donc c'est soit la mort assurée, soit on fuit dès qu'on a une micro-ouverture (car tenter de mettre un coup est trop lent alors que les ennemis eux sont extrêmement agressifs), donc une fois les distances prises la jauge de vie que l'on peut restaurer en infligeant des dégâts a largement eu le temps de disparaître.
Aussi, là où ce système est assez con, c'est lorsqu'on se trouve dans une zone où quasiment aucune créature ne lâche de fioles (saloperies de Vieux Yharnam et de Village Invisible...), que les rares que l'on a en notre possession partent toutes quand on combat un boss car comment faire autrement pour avoir une chance, et qu'une fois mort et qu'on a les poches vides il faut, attention :
- Retourner au rêve du chasseur
- Temps de chargement
- Se téléporter à une zone déjà explorée où on sait qu'il y a moyen de récupérer beaucoup de fioles
- Temps de chargement
- Commettre un génocide dans la dite zone pour se refaire en fioles
- Retourner au rêve du chasseur
- Temps de chargement
- Se téléporter à la zone du boss sur lequel on bloque
- Temps de chargement
- Affronter à nouveau le boss
- Temps de chargement si on meurt
- Répéter en boucle.
Et petit bonus si on n'a pas assez de fioles même après avoir retourné la zone, devoir revenir au rêve, temps de chargement, revenir au début de la zone pour que les monstres réapparaissent, temps de chargement, anéantir de nouveau la faune locale, temps de chargement, rêve du chasseur, temps de chargement, retour à la salle du boss et caetera.
Après il existe une autre solution, c'est claquer tout son fric (enfin, les échos du sang) dans le rêve du chasseur pour acheter des fioles, mais cela revient à ne plus pouvoir augmenter les statistiques de son personnage et donc d'être stupidement fragile et se faire péter en 2 au moindre pic de difficulté.
Sans blaguer, il n'y a que moi que ça choque ?
Alors ok je veux bien entendre que le problème ne s'applique majoritairement qu'au début du jeu avant qu'on ait stocké des tonnes de fioles par la force des choses, mais ça rend le début du jeu infiniment poussif à force de répétitions, de ressassements, et de temps de chargements surabondants. Niveau rythme, c'est juste complètement pété.
Je ne veux pas passer pour le vieux con qui radote, mais Dark Souls arrivait à esquiver le problème très facilement, déjà en rendant les fioles à chaque repos devant un feu de camp, d'attiser la flamme avec une humanité si on galère trop pour pouvoir avoir plus de fioles au repos, et en faisant tout bêtement réapparaître les ennemis au repos plutôt que de devoir passer par le hub central et se taper deux temps de chargement (ai-je précisé que le jeu contenait beaucoup trop de temps de chargement ? Le jeu contient beaucoup trop de temps de chargement).
Le pire c'est que j'arriverai presque à comprendre ce choix, à cause du système de soin par riposte, mais ça aurait pu être vraiment sympa si celui-ci n'était pas applicable uniquement lors de moments où on ne se fait pas prendre par tous les orifices - soit des moments très rares et pas très dangereux donc assez inutiles pour exploiter ce système - et contre des boss aux attaques qui n'impliquent pas de dégâts de zone tout autour d'eux, soit assez peu souvent.
Au final on finit juste par combattre les boss comme dans un Dark Souls classique, la seule innovation étant le fait de pouvoir parer la plupart des boss avec le bon timing grâce à son flingue. Certes c'est infiniment satisfaisant quand on arrive à le rentrer, mais ça reste bien pauvre niveau renouveau pour ceux qui ont déjà tâté du sac à PV à Lordran.
Après je ne peux décemment pas jeter la pierre à FromSoftware sur les combats de boss. Pour le coup ils sont restés fidèles à eux-même en faisant de ces affrontements des moments épiques (j'ai particulièrement adoré le combat contre Celui qui Renaquit et surtout contre Ludwig et l'Orphelin de Kos dans le DLC). Même si à mon sens il manquait d'un vrai combat aux enjeux immenses et dantesques, ça reste du bel ouvrage sur ce point-là.
D'ailleurs, la plupart des éloges que je peux adresser à Bloodborne sont des motifs récurrents dans les jeux FromSoftware. La direction artistique, déjà, qui est à tomber. Les décors fourmillent de détails, les zones sont très diversifiées et en même temps cohérentes entre elles. Il faut dire que les efforts ont été fournis pour construire un vrai univers pour soi, et le résultat est absolument bluffant. De même, l'esthétique tient la route même après les revirements scénaristiques qui auraient pu impacter tout ça, la lune qui change, la lucidité qui augmente, ça reste un travail d'orfèvre.
C'est ce qui a réussi à mon goût à transcender une histoire pas si incroyable en quelque chose de vraiment solide manette en main. En érigeant un monde à travers ses ruines et sa folie, jouer du fait que l'on est littéralement dans un cauchemar pour se permettre de sacrées audaces visuelles (le design de Ludwig, tellement immonde que ça en devient juste génial !).
Enfin le dernier point que je tiens à saluer serait le level-design. Je ne serai pas aussi dithyrambique à son sujet que la plupart des autres joueurs mais oui ça reste du sacré boulot. Pouvoir trouver des raccourcis pour faciliter la navigation dans une zone difficile reste très plaisant et impressionnant sur le coup. Ça a beau être une manie depuis longtemps chez FromSoftware, ça me fait toujours son petit effet "wouah !" à chaque fois.
Il me semble par exemple que dans le Château Damné de Cainhurst il n'y a qu'un seul point de sauvegarde à l'entrée de la zone et pas ailleurs mais à force de trouver et débloquer des raccourcis ce n'était jamais gênant de repartir depuis le début car c'était si bien construit que c'était en permanence fluide.
J'ai tout de même une réserve sur la volonté de connecter entre elles des zones très éloignées. Exemple avec l'échelle dans le marais empoisonné dans les bois interdits (les connaisseurs verront de quoi je parle) qui relie cet endroit à... la toute première zone du jeu.
Sur le coup j'admets avoir été bluffé, permettre un tel raccourci avec seulement 2 échelles c'est le genre de trucs que tu ne peux te permettre que si tu en as le talent.
Mais passé la surprise qu'au final je me suis rendu compte que ça n'a servi strictement à rien.
Quel intérêt sachant que dès le début du jeu on a la possibilité de se téléporter d'une lampe (les points de sauvegarde) à une autre ?
J'y reviens encore et toujours mais ça fait beaucoup plus de sens dans Dark Souls (promis c'est la dernière), puisque dans ce jeu il n'y a pas de moyen de se téléporter avant un très long moment, et que connecter les zones entre elles était indispensable pour rendre la navigation agréable plutôt que de se taper toute la carte à pieds. Dans Dark Souls c'est utile et précieux car on sait qu'on va s'en servir presque en permanence. Dans Bloodborne c'est juste... "stylé". Avant de se rendre compte de la supercherie 3 minutes plus tard.
Ça ne retire pas la sérieuse qualité de ce level-design que j'adressais plus haut, mais pour le coup ça fait vraiment roublard, du genre "regardez comment je sais super bien construire une carte" sans arriver à y donner du sens.
C'est presque devenu un défaut global du jeu à partir d'un certain point, car j'y ai vraiment trouvé un côté agaçant dans cette manière de nous agiter ses petites trouvailles sous le nez pour qu'on puisse s'en émerveiller alors que dans les faits ce n'est jamais très bien amené.
Par exemple je me souviens encore de la fois où...
On trouve le vieil atelier du chasseur. C'est le rêve du chasseur mais directement mis dans la carte, alors que depuis le début on pense cette zone totalement déconnectée de Yharnam. on y trouve même des habits de poupée et des objets uniques. Ça interpelle, ça questionne, ça fait même un peu rêver (façon de parler) mais ça aurait eu tellement, mais alors TELLEMENT plus d'impacts si ce n'était pas le vieux chasseur du rêve qui nous avait littéralement dit de nous y rendre. Il ne manquait que le clin d'œil à son discours quand il nous a parlé de ça. Alors certes ça aurait aussi fait que bon nombre de joueurs ne s'y seraient jamais rendus, mais de une n'est-ce pas déjà le cas de beaucoup de choses dans le jeu, et de manière générale dans les FromSoftware ? De deux ça n'apporte finalement pas grand-chose à l'univers, et de trois on ne s'y serait pas attendu et ça aurait davantage (de mon point de vue en tout cas) impliqué le joueur dans la découverte de cet univers. Ça aura finalement procuré en moi l'effet inverse, celui d'un petit détachement, car trop conscient de soi-même.
Et ces petits détachements, la narration en est bourrée à ras la gueule. Comme si le jeu voulait tellement qu'on saisisse ce qu'il veut dire tout en restant obscurantiste sans vraiment trouver l'équilibre.
Le pire je pense, c'est que Hidetaka Miyazaki (la tête pensante de la plupart des grands succès du studio pour ceux qui l'ignoraient) aura, à peine l'année suivante, réussi à surpasser toutes ces approximations en les rendant terriblement efficaces et impactantes dans Dark Souls III. Au moins il a l'air d'apprendre de ses erreurs. Mais c'est vraiment dommage car là où on aurait pu avoir un univers et une histoire mythiques et marquants, on n'a eu que des ébauches de bonnes idées pour beaucoup de roublardise.
C'est ce qui fait que je suis allé jusqu'à la conclusion du jeu, sans réel entrain.
Pas de bouleversement. Pas de révolution. Juste la satisfaction périssable d'avoir avancé dans ma découverte du monde du jeu vidéo, puisque Bloodborne s'est tout de même imposé comme un classique en peu de temps.
Non sans plaisir, car des moments de bravoure il y en a suffisamment pour être content de sa partie, mais trop de gâchis pour un tel potentiel.
Pour dire, j'ai fait le DLC dès ma première run (car comme pour Dark Souls une fois le jeu fini on ne peut plus récupérer sa sauvegarde et si on veut voir la gueule du DLC il faudra tout se retaper, et je n'avais pas envie de commettre la même erreur) et j'ai trouvé cette partie mineure du jeu presque plus intéressante que le jeu en lui-même tant pour le coup The Old Hunters condensait tout ce qui aurait pu faire de Bloodborne un grand jeu, sans se morfondre dans les digressions et balourdises quand même très dispensables de l'aventure principale...
Mais tout ça pour une question finale, car c'est celle-ci que je me suis posée pendant toute ma partie : admettons que Bloodborne ait été mon premier FromSoftware, que ma prise de contact avec la philosophie sans pitié du studio se soit faite à Yharnam plutôt qu'à Lordran. Aurais-je été autant à l'affut de ces défauts ? Est-ce que mes soucis avec Bloodborne sont pertinents ou sont-ils tout aussi présents dans Dark Souls mais que je n'ai simplement pas voulu les voir ?
Honnêtement c'est fort probable. Dark Souls, quand bien même je vénère ce jeu je n'arrive pas encore à tout lui pardonner.
Mais voilà, même si techniquement le jeu est un peu dépassé, que son gameplay est aujourd'hui hyper rigide (plus encore que celui de Bloodborne, pour dire), j'ai adoré son univers, j'ai été constamment émerveillé de la construction de sa carte, je me suis attaché à ma hache de gargouille que je suis allé arraché dans la douleur à l'une des deux gargouilles de la cloche qui ont été ma première immense difficulté en tant que joueur tous jeux confondus, j'étais presque en larmes quand j'ai vaincu Ornstein & Smough à Anor Londo après un gros mois (et une petite pause) à bloquer dessus et que j'ai allumé ce satané feu de camp qui surplombait l'arène du boss que je venais de mettre à mes pieds après le plus épique de mes combats, j'ai été ému au-delà des mots quand j'ai entretenu la flamme au fond du Kiln de la Première Flamme et que les crédits sont enfin apparus après 85 heures à me faire casser la bouche àLordran.
J'ai vécu un truc.
Pas dans Bloodborne.
C'est bête, hein. Totalement arbitraire. mais c'est comme ça.
Si j'avais eu ma PS4 sous la main avant de commencer Dark Souls j'aurais sûrement eu un différent Ornstein & Soumgh. J'aurais sûrement eu une différente hache de gargouille.
Et je me serais sûrement retrouvé dans Dark Souls en chialant sur le fait que je n'ai pas mon flingue, qu'il n'y a pas de voyage rapide, que j'aimais bien quand on devait se taper 6 temps de chargement entre chaque tentative face à un boss en début de jeu... ;-)
Mais bon, le cœur, la raison, tout ça quoi.
C'est sûrement mieux comme ça.