Viscéral. Si cet adjectif définit une des attaques clés d’une des principales exclusivités PS4 de 2015, il qualifie aussi parfaitement mon ressenti vis-à-vis des presque 100 heures que j’ai passées à parcourir Yharnam et ses alentours. Il faut savoir en premier lieu que malgré mon attirance pour la série des Souls, je n’ai pourtant que très peu joué aux différents épisodes de la très estimée saga de From Software, faute de temps, mais aussi probablement à cause de ma rigide méfiance envers le développeur, responsable de titres m’ayant laissé de mauvais souvenirs, à l’image des King’s Field sur la première Playstation. Mais il faut parfois savoir oublier le passé, et il me semblait inconcevable en tant que joueur d’ignorer encore une fois un titre d’un des créateurs Japonais les plus appréciés des gamers au cours de ces dernières années.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la découverte de la ville de Yharnam, principal théâtre de nos futures diverses (més)aventures de chasseur, s’avère sinon déstabilisante, assez mystérieuse. Notre futur personnage se réveille ainsi dans un lit de la clinique de Iosefka, sans trop savoir si les créatures préalablement observées dans un demi-sommeil étaient le fruit d’un cauchemar… ou de la réalité. Après avoir finalisé notre avatar via un mode création qui permettra beaucoup de fantaisies, mais plus difficilement de créer quelque chose de convaincant, on se retrouve bientôt face à un loup-garou extrêmement bien animé et agressif, qui tuera sans ménagement la plupart des joueurs qui essaieront de le combattre à mains nues, bien que la défaite ne soit pas inéluctable, ou qu’il soit toujours possible de fuir. Quoi qu’il en soit, que ce soit par la mort, ou par l’activation d’une lanterne, faisant ici office de check-point salvateur, on se retrouve tôt ou tard propulsé dans le seul véritable havre de paix de Bloodborne : Le Rêve du Chasseur. C’est ici que l’on récupèrera ses premières armes, une de corps à corps et une à distance, et que l’on rencontrera le premier PNJ du jeu, Gehrman, qui vous sortira quelques répliques dont vous vous souviendrez longtemps, tant elles définissent parfaitement ce que ressentira le joueur durant une bonne partie de l’aventure. Perdu dans ce monde au scénario nébuleux, très partiellement illustré par de rares cinématiques, le joueur passera la majorité de son temps à tuer des monstres, à faire évoluer son personnage, tout en cherchant à donner une cohérence à un scénario dont les clefs se situent plus dans son background que dans les évènements racontés, ce qui en déstabilisera un certain nombre. Peu narratif, Bloodborne est avare en explications jusque dans son tutorial, plus que discret, au point que l’on sera contraint de pratiquement tout découvrir par soi-même, qu’il s’agisse du fonctionnement d’éléments comme les donjons calices, ou plus simplement de comment s’équiper d’une arme. En somme, une façon de découvrir le jeu à l’ancienne, même si cette rétention d’informations volontaire aboutira au fait qu’une partie des joueurs seront malheureusement susceptibles de passer à côté de la quasi-totalité des quêtes annexes.
Mais le gros de l’apprentissage se fera bien entendu au contact des nombreux adversaires qui demanderont une attention de tous les instants. Car si occire le loup-garou de départ ne devrait pas poser de problèmes majeurs une fois armé, survivre à un affrontement direct contre un groupuscule de chasseurs ou de bourreaux agressifs capables de vous sauter dessus sera une autre paire de manches, du moins au début. La réputation des titres From Software se focalise beaucoup sur leur difficulté sans concession, et le marketing autour de Bloodborne n’a pas fait exception à la règle, effrayant du même coup les quelques nouveaux venus, plus habitués à des challenges souvent désireux de ne pas perdre les joueurs en route à grand renfort de compromis. Et Bloodborne ne vous en fera pas, pouvant sanctionner d’une mort aussi soudaine que cruelle la moindre faute d’inattention ou d’excès de confiance. Et pourtant, en dépit de quelques passages incontestablement chauds et de quelques boss retors, ce serait une erreur de croire cette difficulté insurmontable, même pour un joueur moyen. Car le titre regorge de possibilités permettant de se sortir de toutes les situations, moyennant un minimum de réflexion et de patience, deux des clefs de la réussite dans Bloodborne. Chacun pourra ainsi choisir la méthode la plus adaptée à son style de jeu pour aborder à sa guise les différentes configurations d’adversaires. Cela passera en premier lieu par le choix de l’arme de corps à corps, transformable d’une simple pression sur L1, donnant ainsi accès à deux palettes de coups différentes. Une arme comme l’épée de Ludwig permettra par exemple de profiter d’une bonne vitesse de frappe ne laissant aucun répit aux ennemis sans avoir à sacrifier la puissance, redoutable une fois l’épée recouverte de son imposant fourreau. Il sera également possible de se reposer sur les armes à feux, soit pour faire des dégâts en augmentant la compétence « teinte sanglante », mais aussi et surtout pour contrer et ainsi étourdir les ennemis, afin de leur placer une des attaques les plus puissantes du jeu : l’attaque viscérale. Dans le principe tirer sur un ennemi juste au moment où son attaque s’abat sur vous le coupera net dans son élan, et vous pourrez profiter de son court état de choc pour lui infliger énormément de dégâts via une violente attaque de corps à corps. Ce fameux coup destructeur sera également réalisable à la suite d’une attaque chargée exécutée dans le dos de l’ennemi qui aura également pour effet de l’étourdir. Inutile de dire que cette attaque viscérale, une fois maîtrisée, vous sauvera la vie plus d’une fois, surtout lorsque vous l’aurez renforcée à l’aide de runes, comme celle vous remettant une certaine quantité de vie à chaque fois que vous la réussirez. Elle pourra même vous octroyer un avantage considérable en termes de farming avec la rune adéquate, vous permettant d’augmenter la quantité d’échos de sang récupérée à chaque ennemi tué. Un bonus non négligeable, tant les échos de sang, faisant office de points d’expériences, mais aussi, de monnaie du jeu, constitueront l’un des objectifs principaux, pour ne pas dire obsession, de tout chasseur qui se respecte. Nécessaires pour augmenter vos compétences, mais aussi pour acheter équipements et autres objets consommables, elles se récupèreront essentiellement en éliminant des monstres, comme dans n’importe quel RPG classique. Mais les jeux From Software n’étant pas réputés pour leur grande mansuétude vis-à-vis du joueur, Bloodborne se devait de respecter la tradition. Et bien sûr, comme dans un Dark Souls, le moindre trépas entrainera la perte de la totalité des échos de sang durement gagnés. Une contrainte qu’il conviendra d’accepter rapidement, d’une part à cause de son inéluctabilité, mais aussi parce qu’elle ne s’avère en aucun cas rédhibitoire. Outre la possibilité d’avoir une chance (et une seule !) de récupérer les échos de sang perdus lors de l’essai suivant, on aura aussi l’occasion d’en gagner gratuitement en consommant les rosées de nécrosang trouvées çà et là dans les niveaux, et l’utilisation d’une marque du chasseur téméraire vous permettra même de regagner le check-point le plus proche sans encombres. Cela sans risquer de perdre bêtement les échos accumulés qui vous auraient permis de gagner facilement deux niveaux d’un coup parce que vous avez fait le pas de trop qui vous a fait tomber dans l’embuscade à laquelle vous n’étiez pas préparés. Et c’est en remarquant au fur et à mesure les nombreux détails de ce genre nous facilitant la vie qu’on se rend compte que derrière son masque de challenge impitoyable excessivement dépourvu d’explications, se cache un titre qui récompensera toujours le joueur patient, ce dernier finissant toujours par trouver une astuce pour se sortir d’une situation paraissant désespérée.
Et c’est un des éléments qui rend Bloodborne aussi gratifiant qu’hypnotique. Rarement le plaisir de réussir quelque chose dans un jeu aura, pour ma part, atteint un tel niveau. Il me sera, par exemple, bien difficile de décrire ce que j’ai ressenti après avoir enfin battu le Père Gascoigne, au bout de quatre heures, séances de farming comprises et d’une quinzaine d’essais (bon…oui…je sais, beaucoup d’entre vous l’ont trouvé assez simple…snif…). Les amateurs de la série Dark Souls auront certainement déjà vécu ça, mais quel pied ce fut de ressentir une telle sensation. Elle sera, en outre, transcendée par les qualités intrinsèques du jeu, à commencer par le plaisir qui se dégage des combats, violents, et rythmés à la perfection, face à des adversaires tantôt classes, tantôt dérangeants, de par la qualité de leur animation et de leur visuel. Un visuel artistiquement extraordinaire, tant au niveau décors qu’en termes de chara-design, renforcé par une ambiance pesante au possible que n’auraient pas reniée certains survival-horror. L’efficacité de l’immersion sera également accentuée par un level-design hors-pair, pourtant parfois critiqué ; Yharnam et ses alentours multipliant les passages secrets, ennemis et objets cachés, nous incitant à fouiller le moindre de ses recoins.
L’ambiance sonore ne sera pas en reste, avec ses bruitages bien dégueulasses illustrant la violence des coups, ou encore ses musiques empreintes de mélancolie dans le rêve du chasseur, puis de tension lors des affrontements contre les boss, disparaissant lors des phases d’exploration, nous laissant seuls avec le bruit du vent, ou les rugissements lointains des monstres avoisinants. Et que dire de la jouabilité, certes, inhabituelle pour un amateur de beat them all classique, et nécessitant un léger temps d’adaptation, mais ne souffrant quasiment d’aucun heurt une fois dompté. Le joueur est responsable de chacune de ses morts et ne sera jamais tenté de pester contre sa manette… Enfin, presque jamais.
Car malgré tout le bien que je pense de Bloodborne, la perfection n’est pas de ce monde et le titre de From Software souffre lui aussi de quelques menus maux qui pourront malgré tout en arrêter certains. Ainsi, cette jouabilité presque parfaite sera tout de même entachée de quelques problèmes de ciblages et de caméras, particulièrement visibles lors de certains combats de boss de taille imposante et particulièrement mobiles. Il sera d’ailleurs conseillé d’éviter d’utiliser le système de lock dans ce genre de situation. Mais c’est surtout la technique, écueil récurrent dans les jeux From Software qui fâchera le plus ici, ne rendant malheureusement pas honneur à l’excellente direction artistique. On s’étonnera donc de s’extasier devant des décors au rendu d’ensemble tout à fait digne d’une PS4, parfois littéralement violés par d’horribles textures semblant tout droit sortis des mauvais jours de la PSOne. Une pilule qui pourra être légitimement difficile à avaler pour certains. Bien que peu gênant, le frame-rate très irrégulier, ne manquera pas de faire sourire (ou d’énerver) lors de passages comme l’amphithéâtre du centre de conférence avec ses nombreux locataires constituant une bien plus grande menace pour la fluidité de l’action que pour le joueur. Ce dernier saura toutefois s’accommoder des quelques bugs de collision, particulièrement lorsqu’il découvrira que certaines des confrontations les plus coriaces peuvent être contournées en anéantissant certains monstres de quelques coups bien sentis à travers un mur, voire même à travers une porte fermée. Attention toutefois, car les ennemis, s’ils peuvent avoir toutes les peines du monde à franchir une porte, bénéficieront des mêmes avantages que vous dans cette configuration. D’autre part, difficile de ne pas parler de ces fameux temps de chargement excessivement longs, problème d’autant plus agaçant dans un titre où la mort est sensée être assez fréquente. Si l’on ne pourra évidemment que s’en plaindre, force est de constater que le patch correctif sorti tardivement a tout de même sensiblement amélioré les choses. A défaut, ma sans doute trop forte complaisance m’a même poussé à y trouver un moment de répit salvateur entre deux échecs, me permettant d’évacuer la frustration d’un combat perdu ne s’étant joué à rien ou de prendre le temps de réfléchir à l’endroit où j’irais récupérer mes objets consommables perdus à l’issue d’une mort de trop, ces derniers n’étant pas restitués à l’essai suivant. Dernier point sujet à débat, le contenu du jeu, pointé du doigt par certains fans de Dark Souls pour sa pauvreté, au regard de ce que propose ordinairement la série phare de From Software. A cela, je répondrais que Bloodborne n’a jamais eu la vocation d’être Dark Souls 3(qui sortira en 2016), et qu’il m’a semblé suffisamment complet et long pour un jeu qui n’avait d’autre prétention que d’en incarner le pendant façon beat them all. Peut-être suis-je trop laxiste ? Mais en y réfléchissant, que représentent réellement ces anicroches au regard de la claque que j’ai prise avec Bloodborne ?
J’utilisais le terme de viscéral au début de ma critique et je ne trouve pas meilleur adjectif pour décrire les sentiments qui m’ont animé tout au long du jeu. Que ce soit par son ambiance servie par une histoire volontairement épurée pour mettre en valeur l’immersion et le rythme du gameplay , ou sa capacité à toujours me donner les armes, et la motivation pour persévérer, en dépit de moments parfois difficiles, Bloodborne est parfois carrément devenu une obsession, devenant le sujet principal des rêves de certaines nuits. Et une telle chose ne m’était pas arrivée dans le jeu vidéo depuis très, très longtemps. Fan que je suis des productions narratives comme les productions Quantic Dream ou ayant apprécié le récent The Order 1886, je me serais attendu à pester contre l’apparente vacuité du scénario.
Je devrais sans doute aussi m’insurger contre les quelques défaillances techniques, et j’aurais pensé m’agacer à plus d’une reprise devant une énième mort qui aurait dû avoir raison de ma fragile patience. Mais non. Je préfère ici ignorer tout cela, tout simplement parce que le plaisir de jeu et le ressenti sont tels que je n’en ai absolument rien à faire. Tout ce qui est proposé dans le dernier né de From Software est au service d’un gameplay parfaitement pensé, au challenge parfois éprouvant, mais jamais décourageant, et qui prend tellement aux tripes, que l’ensemble de ses défauts paraissent du coup bien peu de choses. Alors oubliez vos exigences techniques inhérentes à l’achat d’une nouvelle console, oubliez votre peur de la difficulté, et plongez corps et âme dans Bloodborne, l’une de mes meilleures expériences vidéo-ludiques de ces dernières années.