Je suis un poil dubitatif sur ce Brothers : A Tale of Two Sons. J'ai comme l'impression que le jeu a le cul entre deux chaises, entre un cinematic platformer et un jeu de plateforme plus classique. A mon sens, en voulant être un peu des deux, il échoue sur les deux tableaux et gaspille sa bonne idée de gameplay désynchronisé, qui en reste au stade de bonne idée.
Il lorgne du côté des cinematic platformer car, dans son level design, le jeu se déploie sur des rails, et demande aux joueurs d'effectuer des actions simples d'une façon plus ou moins cadencée. Mais là où un Inside bâtit le défilement de l'environnement et les actions à effectuer avec un sens du rythme et une certaine fluidité dans la mise en scène, Brothers échoue à emporter le joueur. Plateformes et environnements se succèdent de façon interrompues et saccadées, pas vraiment réfléchies pour soutenir la logique de travelling, au point d'en devenir, à la longue, franchement anesthésiants. Autre contrainte posée par le défilement sur rail : cela laisse peu de place aux interactions, tenues d'être contenues sur des environnements longilignes et fuyants, empêchant d'exploiter les potentialités de zones plus complexes, ouvertes et statiques.
C'est très probablement ce qui explique pourquoi Brothers ne parvient pas non plus à être un bon jeu de plateforme dans son sens plus classique, genre qui fait traditionnellement, de Mario à Prince of Persia, la part belle à des énigmes liées à ses environnements escarpés. Gameplay de duo oblige, l'ombre d'Ico plane sur le jeu. Mais la comparaison est cruelle tant, à l'inverse du masterpiece du Ueda, les puzzles proposés ici sont primaires, quasiment dépourvus de challenge, au point de donner l'impression que les premières idées jetées dans un brainstorm naïf (attirer le chien, ramer, faire des mouvements de pendule, diriger un planeurs, scier un arbre…) ont été instantanément adoptées. Demeurant au stade de gimmick, le gameplay désynchronisé n'est jamais pleinement exploité, et se renouvelle encore moins.
Il faut ajouter cela des considérations plus prosaïques, qu'il serait une erreur de considérer comme étant à la marge : les déplacements, plateformes et murs invisibles sont parfois clunky ; des bugs assez majeurs restent présents ; on renonce vite à manipuler la très rigide caméra ; les visuels et leurs animations ne sont pas mirobolants quand on s'approche de trop près ; la fin du jeu (le boss araignée, l'escalade de l'arbre) me parait carrément bâclée…
Le plus dommageable dans cette histoire, c'est que ces travers court-circuitent la grande force du titre, son sens de la coopération et de la synchronicité, qui lie mécanique de jeu et discours thématique, autour d'un récit de voyage fraternel épique et touchant. Seulement, avant d'être signifiante, une mécanique de jeu se doit d'être performante. Cerise sur le gâteau, se voulant être le paroxysme de la tragédie, le déplacement du frère décédé me semble être aussi poussif et risible que le fameux "Press F to pay respect", dans la désolante absence de choix proposée. Une fois le petit frère seul à la barre, le game feel en devient d'ailleurs terriblement plat.
Qu'on ne se méprenne pas sur mes critiques. J'ai bien conscience de la modestie du titre, notamment en termes de budget (même si je ne le connais pas). Je reconnais à qui veut bien l'entendre le mérite qu'il a de proposer quelque chose de finalement assez ambitieux et original, avec ses forces et ses faiblesses. Mais j'interroge les choix effectués pour soutenir le cœur du jeu, qui viennent contrecarrer ces ambitions dans un édifiant paradoxe : trop "gamey" pour être réellement cinématographique, il ne l'est pas assez pour proposer des mécaniques vraiment intéressantes